CAMEROON
The new locomotive of Western Africa

V.I.P. INTERVIEWS



Interview de:

Mr. Joseph Owona,
Ministre de l’Education Nationale

18 Décembre 2000
Q. 1: Monsieur le Ministre, vous êtes en charge de la gestion de l'Education Nationale depuis le mois de mars 2000. Une vaste réforme structurelle de l'enseignement a été lancée depuis, qui implique décentralisation et meilleure gouvernance. Avant de parler plus en détails de cette réforme, voudriez-vous nous expliquer ce qui a motivé sa mise en place, en bref, la politique qui la sous-tend.

R. 1: Depuis un certain nombre d'années, le Cameroun est victime d'une crise économique et cette crise s'est répercutée notamment sur les systèmes de santé et d'éducation. Le taux d'alphabétisation a baissé, nous avons vu le délabrement presque complet des infrastructures scolaires, un certain nombre d'écoles ont été fermées d'où aujourd'hui un déficit du nombre d'enseignants dans le primaire comme dans le secondaire. Rien que pour le niveau primaire, nous nous sommes rendus compte que plus de 10 000 nouvelles salles de classe étaient nécessaires.

Le gouvernement, sensible à ces dysfonctionnements a voulu une restructuration complète de l'Education Nationale. Cette prise de conscience a commencé avec la réunion des Etats Généraux de l'Education en 1995 qui a permis de tracer quelques grandes orientations concrétisées aujourd'hui par la mise au point, grâce à la collaboration de la Banque Mondiale, de ce que nous appelons la « Politique Sectorielle de l'Education ».

Les grands axes de cette politique sectorielle seront basés sur l'amélioration de la qualité du système éducatif, c'est à dire retrouver les taux de scolarisation d'antan et une meilleure qualité des enseignants, ainsi que sur l'accès au plus grand nombre au système éducatif.

Cela va nous amener à lancer une action très prononcée dans un certain nombre de provinces, notamment dans l'extrême nord, l'Adamaoua, et dans l'est. Mais que l'on ne s'y trompe pas: la sous-scolarisation est présente aussi à Yaoundé. Notre effort portera donc aussi sur les zones suburbaines de la capitale.

L'éducation des jeunes-filles nous préoccupe aussi beaucoup, notamment dans les régions où la religion islamique est majoritaire.

Deuxième point important, dans la mouvance générale de la décentralisation qui est inscrite dans la constitution, nous allons bien sûr décentraliser mais également déconcentrer la gestion du personnel enseignant en éliminant le rôle d'un certain nombre de ministères qui intervenaient dans la gestion du corps enseignant comme ceux de la Fonction Publique ou des finances.

Beaucoup plus de choses seront centralisées directement au niveau du ministère de l'Education, avec des postes budgétaires créés au niveau des provinces pour que les enseignants puissent y rester sans être obligés de revenir dans la capitale y toucher leur salaire ou prendre connaissance chaque année de leur affectation.

Un pas de plus sera marqué dans la décentralisation en reconnaissant une certaine responsabilité aux régions comme aux départements ou aux municipalités. Le rôle du ministère de l'Education demeurant surtout un rôle de régulation, de définition de la politique ainsi que d'arbitrage en matière d'investissement et de répartition du personnel.

Le rôle du ministère est aussi de veiller à la qualité des diplômes et à l'amélioration du statut et des conditions de travail de l'enseignant. Un nouveau statut de l'enseignant vient d'être signé par le chef de l'Etat, et sera complété par un texte sur les moyens financiers de cette politique.

Nous nous préoccupons de même de la gouvernance: au sein du ministère, nous avons créé un observatoire de la gouvernance dont les membres viennent d'être nommés. Nous avons également prévu une réforme structurelle de l'administration de tous les établissements. L'administration tournant autour d'un certain nombre d'assemblées auxquelles sont associées les collectivités, les associations de parent d'élèves, le tout s'articulant en un projet que nous avons baptisé « projet d'établissements ».

Voilà ce qui sous-tend cette politique de réforme de l'enseignement et les projets que nous allons mener à bien. Nous pensons que nous pouvons améliorer la qualité du système scolaire et de l'enseignement au Cameroun.

Q. 2: Vous avez évoqué la décentralisation qui entraîne une régionalisation du système éducatif camerounais. Va t-on voir naître des académies indépendantes, complètement autonomes ?


R. 2: Nous avons en effet proposé la création d'académies au niveau régional avec un universitaire à la tête de chacune d'elles. Celui-ci sera le représentant du ministre de l'éducation au niveau de la province. Son rôle sera un rôle d'animation et il agira de concert avec les nouvelles structures décentralisées qui seront mises en place comme le Conseil régional et le Commissariat Général à l'éducation. Ce responsable sera relativement indépendant puisqu'il se verra doté de moyens importants autant financiers qu'humains.

Dans cette direction, nous pensons aussi améliorer l'inspection générale des services, qui restera du ressort du ministère, de même que l'inspection générale de la pédagogie qui pour sa part sera décentralisée et implantée sur le terrain pour pouvoir mieux encadrer les enseignants et garantir l'homogénéité de l'enseignement dans tout le pays.

Il est prévu aussi de décentraliser le système des examens. Nous reconnaîtrons progressivement aux régions la capacité d'organiser un certain nombre d'épreuves de façon à décongestionner notre ministère de Yaoundé d'où sont gérés tous les examens, excepté le concours d'entrée en sixième.

Q. 3: Sont contenus dans la régionalisation de l'enseignement, une distribution ventilée des périodes de vacances et l'élaboration des programmes scolaires à un niveau local. Des programmes différents selon les régions n'entraînerait-il pas, selon vous, une disparité dans le niveau d'apprentissage des élèves quand le but serait de garantir à ces même élèves un niveau uniforme d'éducation à travers tout le pays ?

R. 3: Concernant les différences de calendrier entre les régions, les décalages n'existent plus car nous les avons unifiés. Cependant, cela peut dépendre des saisons et nous pourrions penser à des calendriers adaptés notamment en ce qui concerne l'enseignement technique. Nous adapterons de même les infrastructures d'accueil des élèves pour qu'elles s'insèrent au mieux au milieu dans lequel elles seront implantées.

Pour ce qui est de l'élaboration de programmes différents selon les régions, je pense que cela doit être mis en place progressivement. Le système devra être à la fois souple et centralisé. La priorité étant d'assurer la qualité et la valeur d'un diplôme uniformément dans toute la république. L'élaboration des programmes restera donc sous la responsabilité du ministère de l'Education nationale alors que l'adaptation des programmes pourra se faire au niveau local.

Q. 4: Concernant le livre scolaire et son coût qui paraît élevé, un sommet s'est tenu à Kribi le mois dernier autour de ce thème. Qu'en est-il ressorti ?

R. 4: Il en est ressorti un certain nombre de stratégies qui permettront d'améliorer la distribution, de rendre le livre scolaire présent et disponible sur tout le territoire national et enfin de faire en sorte que le contenu des manuels soit de qualité.

Tout d'abord, il faut dire que le gouvernement a brisé le monopole concernant la production de livres scolaires. Nous continuerons par une politique d'aide à toute la chaîne de production du livre, ce qui suppose, non seulement l'intervention du ministre de l'Education nationale mais aussi celle du ministre de l'Economie et des finances afin d'obtenir, de l'élaboration du manuel à sa fabrication, une bonne qualité à un prix raisonnable.
Q. 5: Envisagez-vous une aide étrangère à la production des manuels ? Nous avons vu que certains éditeurs français étaient récemment très impliqués dans le marché du livre scolaire camerounais.

R. 5: Nous n'excluons pas les livres étrangers et envisageons même à court terme des partenariats avec les éditeurs étrangers. Ils sont détenteurs d'un certain savoir-faire et pourraient travailler de concert avec les éditeurs camerounais à la production de manuels scolaires de qualité.

Q. 6: Le 10 février 2000, le Président Biya a annoncé que l'enseignement primaire obligatoire serait désormais gratuit, cependant les budgets alloués par l'Etat aux écoles pour commencer l'année ne semble pas suffisant, ni pour les instituteurs, ni pour les élèves: comment voyez-vous le problème résolu à terme ?

R. 6: Nous avons tout fait en effet pour mettre en place un enseignement primaire gratuit et nous avons réussi. Pour le démarrage de l'année scolaire, nous avons dépensé plus de 4 milliards de Francs CFA pour fournir aux écoles ce que nous appelons le « paquet minimum ». Comme son nom l'indique, cette allocation, qui n'a pas été facile à obtenir ne couvre pas les frais pour toute l'année scolaire mais sert seulement à démarrer la rentrée, à équiper les salles de classe de matériel pédagogique. En plus de cela, des crédits sont prévus pour faire marcher les écoles en permanence.

Nous ne fournissons cependant pas les livres aux élèves. Car il ne faut pas encourager le système de la gratuité à tout prix, ce qui est mauvais. Nous préférons suivre une politique qui met à disposition des élèves des manuels scolaires de bonne qualité à bas prix, disponible sur tout le territoire. Les parents même ne demandent pas plus. Dans certaines zones appelées « zones d'éducation prioritaire », nous pourrions, de façon exceptionnelle, fournir les livres. Mais en aucun cas cette pratique ne pourrait être envisagée sur l'ensemble du territoire, sinon l'Etat ne pourrait pas s'en sortir.

D'ailleurs, même si nous le voulions, nous ne pourrions pas distribuer les manuels gratuitement, nous n'en aurions pas les moyens: le marché du livre au Cameroun est évalué à 540 milliards de Francs CFA.. A raison de plusieurs manuels par élève, jamais l'Etat ne pourrait supporter cette dépense. Par contre, dans certaines régions, nous aidons à ce que les stocks des libraires soient suffisamment important pour répondre à la demande et à ce que les auteurs et les éditeurs créent de bons manuels.

Q. 7: Une des priorités de la réforme structurelle est celle du développement des infrastructures. Comment est déterminé le statut de « Zones d'éducation prioritaire » que vous évoquiez à l'instant ?

R. 7: A partir de statistiques. Nous sommes en train de mettre en place une « carte scolaire » qui nous permet de nous rendre compte que dans certains quartiers de Yaoundé par exemple, des classes accueillent plus de 200 élèves à la fois. A partir de ce constat, nous pouvons agir et multiplier les infrastructures scolaires.

Nous souhaitons que le gouvernement adopte une politique de développement des infrastructures avec des principes très précis. Cette politique vise à multiplier, à construire de plus en plus de salles de classes, adaptées, qui résistent au temps, et qui pourraient à terme nous permettre d'atteindre l'objectif de l'universalisation de l'enseignement de base. Cela ne peut se faire qu'une fois qu'un état des lieux a été c'est fait. C'est ce que nous sommes en train de finaliser en ce moment a travers « la carte scolaire ».

D'autre part, pour suivre le développement des infrastructures, nous allons intégrer les anciens enseignants vacataires et en recruter de nouveaux, diplômés de l'enseignement supérieur. Nous continuons d'ailleurs à en former à l'école normale supérieure et à l'école normale supérieure technique.

En évoquant les professeurs, il est important de préciser que nous avons aussi pour objectif de moderniser notre enseignement. Nous installerons probablement Internet dans les établissements, nous amplifierons l'usage des micros ordinateurs et généraliserons le bilinguisme Français-Anglais.

Q. 8: Un autre des principes contenus dans le projet de réforme structurelle du système éducatif est celui de la Bonne Gouvernance. Lutter contre les fraudes et les malversations semble important aujourd'hui. Certes, un barème de sanctions existe déjà mais on déplore un manque de sensibilisation des professeurs, qu'en pensez-vous ?

R. 8: Nous n'avons pas besoin de sensibiliser mais de sanctionner et nous l'avons fait. Nous avons relevé de leurs fonctions quelques 14 directeurs d'écoles.

Un effort est fait pour limiter ce type de phénomènes que nous ne pouvons pas du tout accepter. Un observatoire de la bonne gouvernance a d'ailleurs été créé à cet effet. Il n'y a pas de raison que quand le président de la République décrète que l'école primaire est gratuite qu'un responsable d'école demande aux parents de verser de l'argent pour inscrire l'enfant. Dans ce cas nous sanctionnons.

D'autre part, les professeurs reçoivent des cours de déontologie dans leurs écoles normales. Mais la prévention ne suffit pas toujours.

Q. 9: Dans le champ de l'éducation, quels sont les différents partenaires du pays, en terme de soutient logistique, financier et humains ; quels sont les différents programmes de soutien à l'éducation en cours ?

R. 9: Au plan national, le gouvernement finance près de 70% des écoles. L'enseignent privé représente les 30% restant comprenant les écoles laïques, catholiques, protestantes et musulmanes.

D'autre part, le gouvernement travaille avec de nombreuses coopérations soit bilatérales avec la France, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, soit multilatérales. Nous travaillons en effet beaucoup avec la Banque Mondiale pour la restructuration de l'ensemble du système éducatif camerounais.

Q. 10: Avec 167 490 000 000 de Francs CFA, le budget de l'Education est le premier dans le budget de l'Etat pour l'année 2000/2001: ce chiffre est-il en augmentation ?

R. 10: Tout à fait ! Les frais de fonctionnement s'élèvent à 146 500 000 de Francs CFA et l'investissement à 21 milliards. Ce qui représente une augmentation de 54 millions par rapport à l'année dernière.

Q. 11: Etes-vous satisfait du montant de cette enveloppe ?

R. 11: Il faudrait que nos chiffres correspondent aux normes universellement acceptées. Mais un effort déjà très important a été consenti puisque que cela représente le premier budget camerounais, même bien au-delà du budget de la défense.

Q. 12: Combien de temps vous donnez-vous pour réformer complètement le système éducatif camerounais ?

R. 12: Je ne me fixe pas de limite. Je poursuivrai ce travail tant qu'on me fera confiance. Le plan de réforme structurelle quant à lui donnera vraiment des résultats dans trois ou quatre ans.


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© World INvestment NEws, 2001. This is the electronic edition of the special country report on Cameroon published in Forbes Global Magazine, October 1st, 2001. Developed by Agencia E.