CAMEROON
The new locomotive of Western Africa

V.I.P. INTERVIEWS




Interview avec

Monsieur Jean Paul Veziant
son Excellence l’Ambassadeur de France au Cameroun

Le 1 Décembre 2000
Question 1: Quels sont les grands axes de la coopération entre la France et le Cameroun ?

Réponse 1: Depuis plusieurs années, la coopération entre la France et le Cameroun est orientée autour de 4 axes majeurs, à savoir, l’enracinement de la démocratie et le renforcement de l’Etat de droit, l’accompagnement de la relance économique et des réformes structurelles, l’appui au développement des ressources humaines, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, et enfin la participation de la société civile à la lutte contre la pauvreté. On peut dire que globalement, ces axes arrêtés d’un commun accord avec la partie camerounaise, s’inscrivent bien dans la stratégie de développement économique et de réduction de la pauvreté mise en place par le Gouvernement du Cameroun dans le cadre de l’initiative d’allègement de la dette dite “ Pays Pauvres Très Endettés ” (PPTE).

Au titre du 1er axe, l’enracinement de la démocratie et le renforcement de l’Etat de droit, la France a notamment mis en place ou prévoit de financer des projets de coopération et d’appui aux secteurs des droits de l’homme (administration pénitentiaire et ONG), de la police et de la gendarmerie (dans les deux cas, renforcement de la déontologie et rapprochement avec la population – forces de proximité), de l’appui au droit (notamment à son enseignement, via l’Ecole Nationale de l’Administration et de la Magistrature et les universités).

Au titre du 2ème axe, l’accompagnement de la relance économique et des réformes structurelles, la partie française a accompagné et soutenu le Gouvernement camerounais, d’une part en mettant en oeuvre un Programme d’Appui aux Administrations Economiques et Financières (PAAFIE), d’autre part en accordant des Prêts d’Ajustement Structurel dans le cadre du programme d’ajustement structurel qui s’est terminé positivement en juin 2000 et a permis au Cameroun d’accéder au point de décision de l’initiative PPTE . Par ailleurs, à travers divers instruments et financements mis en œuvre par le Service de Coopération et d’Action Culturelle de son Ambassade ou l’Agence Française de Développement (AFD) et sa filiale PROPARCO, la France a soutenu le développement du secteur privé camerounais, notamment dans le cadre des privatisations.

En ce qui concerne le 3ème axe, l’appui au développement des ressources humaines, la coopération française mène plusieurs projets dans les secteurs de la santé (projet FAC Santé Nord, santé urbaine Yaoundé et Douala) et de l’éducation (enseignement primaire, secondaire et supérieur).

Le 4ème axe est davantage transversal, mais on peut retenir à ce titre l’appui de la coopération française à l’organisation des producteurs dans le secteur rural (projet “ Appui à la Professionnalisation des Organisations de Producteurs du Cameroun – APOPC - et projet “ Développement Paysannal et Gestion de Terroirs ” - DPGT), l’amélioration des conditions de vie des populations, notamment en zone urbaine, à travers les nombreux projets menés dans le cadre du Fonds Social de Développement.

Sans être exhaustive, cette liste d’actions témoigne de l’importance de la coopération franco-camerounaise, de sa diversité, de son insertion et de son adéquation aux stratégies gouvernementales visant à renforcer la croissance économique et à lutter contre la pauvreté.

Q 2: Quels sont les secteurs de l’économie où les sociétés françaises sont les plus présentes et ceux qui semblent les plus prometteurs ?

R2: Malgré la crise que le pays a traversé de 1986 à 1994, les entreprises françaises ont résisté et maintenu leur présence à un niveau élevé. La France demeure aujourd’hui le premier investisseur étranger au Cameroun avec près de 140 filiales françaises employant quelque 30.000 personnes et plus de 200 entreprises de droit camerounais appartenant à des ressortissants français dans tous les secteurs d’activité, soit plus de la moitié du flux d’investissements étrangers (55,6 %) en 1998. En outre, la France est très impliquée dans le programme de privatisations en cours.

Les entreprises françaises sont principalement implantées dans les secteurs de l’industrie (pétrole avec Elf Total Fina, ciment avec Lafarge, aluminium avec Péchiney,…), de l’agriculture et de l’exploitation forestière (Compagnie fruitière, Rougier, Thanry), du commerce de biens de consommation et de biens d’équipement -notamment automobile- (CFAO), des transports et des télécommunications (Bolloré, France Telecom…).

Selon les statistiques disponibles, les secteurs les plus prometteurs sont les services marchands, l’industrie et l’énergie qui recueillent environ 75 % des investissements français au Cameroun, et plus précisément les secteurs métallurgie, transport ferroviaire, télécommunications, banques et assurances, la filière agro-alimentaire (sucre, palmier à huile, banane) et la filière bois.

S’agissant de l’oléoduc Tchad-Cameroun, si le consortium mis en place pour l’exploitation du pétrole de Doba (Tchad) ne compte plus de participation française en capital, en revanche, plus de 3 milliards de FF de contrats de travaux et de services ont été adjugés à des entreprises françaises pour la construction de l’oléoduc jusqu’à Kribi.

Ainsi, la construction de routes et d’infrastructures directement liées à l’oléoduc sera confiée à des entreprises françaises (Sogea-Satom au Cameroun et Bouygues au Tchad), de même que ce qu’on appelle les ‘’field facilities’’ (développement des champs: installation de la production, travaux bases vie), ainsi que la fourniture et la pose du pipeline (consortium européen), et diverses opérations de logistique.

Je souhaite souligner le fait que le nombre des filiales françaises est, depuis quelques années, à nouveau orienté à la hausse. Au cours des deux dernières années, seules deux filiales françaises se sont retirées en capital du Cameroun (Plantécam et ADP) alors que de nouvelles entreprises se sont installées ou sont en voie de le faire. Il s’agit de grands groupes qui décident de venir ou de revenir investir au Cameroun, en particulier à la faveur de privatisations (Camrail-Bolloré, SNEC-Lyonnaise des Eaux…). Mais il y a aussi des PME françaises attirées par ces grands groupes, notamment pour des opérations de sous-traitance, ou plus globalement par la réactivation de la croissance, et qui souhaitent profiter des opportunités nouvelles offertes par la relance des investissements et aussi par la relance de la demande extérieure.

Q3: Comment se profile le “Sommet France-Afrique” qui se tiendra au mois de Janvier et quelles sont les objectifs qui sous tendent ce sommet en terme de coopération ?

R3: Le Sommet Afrique-France se prépare, et sur le plan matériel (celui de l’accueil, de l’organisation) et sur celui des contenus. Le Cameroun, pays hôte du Sommet, en a choisi le thème: “ L’Afrique face aux défis de la mondialisation ”... Deux séminaires/colloques ont déjà eu lieu l’été dernier à Yaoundé pour échanger sur ce thème qui n’est pas, contrairement aux apparences, un sujet convenu: les Etats africains représentent 41 pays sur les 139 membres de l’OMC, mais la part de l’Afrique est de moins de 2% des exportations mondiales... Le continent représente moins de 1% du PIB mondial et 40% de la population de l’Afrique vit avec moins de 1 dollar US par jour... La marginalisation économique de l’Afrique n’est pas, pour la France, une fatalité... Le choix de ce thème ne signifie pas qu’on ne reviendra pas, dans les débats, sur la dominante du précédent sommet, qui était la sécurité, la prévention et de la gestion des conflits, trop nombreux sur ce continent…
Comme vous le savez, un premier sommet Union Européenne Afrique a eu lieu au Caire en avril dernier... Est-ce à dire que les sommets Afrique France n’ont plus leur raison d’être ? Il appartient aux pays africains de répondre à cette question, s’ils estiment qu’elle doit être posée....En ce qui nous concerne, nous estimons que tous les fora qui permettent à l’Afrique de se faire entendre, à l’OMC ou ailleurs, d’affirmer sa manière de penser le monde contemporain, ses problèmes, tout ce qui lui permet de se mettre en ordre de bataille pour faire entendre sa voix et s’organiser est utile... Mon pays est prêt à relayer les aspirations de l’Afrique, dans la mesure ou ses demandes lui paraissent de nature à favoriser un développement durable, qui ne peut plus être atteint que dans le cadre d’entités sous-régionales...Des questions seront posées pendant les débats, et la France, par la voix de son Président de la République, dira sa manière de voir, la contribution qui peut être la sienne pour résoudre, par la coopération, par un partenariat renouvelé, les défis auxquels fait face ce continent..... Laissons venir le sommet, les réflexions des chefs d’Etat pour préciser les objectifs que ce cénacle pourrait dessiner en termes de coopération. Comme vous le savez encore, notre relation au monde, notre politique étrangère ont un caractère universel: nous avons le devoir de développer des relations de coopération scientifique et technique avec les pays les plus avancés en termes de technologie, Etats-Unis, Japon ou autres...Nous avons le même devoir, de solidarité, avec les pays engagés dans la voie du développement: c’est la raison pour laquelle la France a créé le cadre de la ZSP (Zone de solidarité prioritaire) où elle intervient avec l’ensemble de ses moyens et de ses opérateurs (assistance technique, projets de l’agence française de développement…).

Q4: Comment expliquer l’absence des sociétés françaises au rang des grandes entreprises présentes dans le projet du pipeline qui relie le Tchad au Cameroun ?

R4: Deux sociétés, membres à l’origine du consortium piloté par EXXON, s’en sont retirées: Shell et Total-Fina-Elf sont des sociétés privées qui répondraient mieux que je ne saurais le faire à votre question. Elles ont leurs stratégies d’entreprises, des intérêts pour telle ou telle qualité d’huile, qu’on trouve ici ou au Vénézuéla, des appréciations qui peuvent être différentes quant aux taux d’actualisation sur lesquels est fondée une décision de nature économique et financière... J’observe cependant que des appels d’offres ont été lancés par le consortium pour la réalisation des travaux, des équipements, la logistique... La qualité des réponses de certaines sociétés françaises (travaux publics et équipementiers) leur a permis, comme je viens de le dire, de se placer en nombre compte tenu de leurs savoir-faire.

Q5: Selon vous quelles sont les retombées possibles en terme d’investissement de l’Etat camerounais dans le pays après son élection au bénéfice de la réduction de la dette ?

R5 L’élection du Cameroun au point de décision de l’initiative HIPC salue un effort de redressement remarquable conduit depuis trois ans. Le Cameroun a rétabli, avec une rigueur qu’il faut saluer, les grands équilibres macro-économiques. Des réformes de structure, avec un programme de privatisations qui touche à son terme, inscrivent dans les faits, sinon encore dans tous les esprits, la libéralisation de l’économie. Il reste encore beaucoup à faire et l’on peut s’étonner, par exemple, de la lenteur avec laquelle le PAD (Port autonome de Douala) se met en ordre de marche pour devenir la plate forme portuaire efficiente dont le pays, mais également toute la sous région, ont besoin pour leur développement. Trop d’intérêts particuliers entravent le raccourcissement des délais de sortie des conteneurs au port de Douala, alors que d’autres ports de la côte, comme Abidjan, ont su faire leur révolution...

En termes budgétaires, d’importantes marges de manœuvre vont être dégagées dans les mois qui viennent ( 36 milliards de FCFA environ pour l’année budgétaire en cours) et, après le point d’achèvement, ces marges de manoeuvre seront considérables. C’est dire les perspectives qui sont ouvertes aux autorités camerounaises pour investir dans des secteurs (santé, éducation, infrastructures urbaines et rurales) où les équipements sont dégradés ou absents… Les mécanismes adoptés par les autorités camerounaises sont déjà connus, ouverture d’un compte spécial à Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC), mise en place d’un comité de suivi comprenant, avec les pouvoirs publics, divers représentants de la société civile (grandes confessions religieuses, ONG,…), les bailleurs de fonds....Ce comité de suivi appréciera l’affectation des marges de manœuvre et entendra ainsi, au plus près de leurs besoins d’accès aux soins de santé ou à l’éducation, les couches de la population que la crise a marginalisées... La mise en œuvre de ces investissements suppose la transparence des marchés, le suivi des réalisations sur le terrain et les décisions adéquates pour leur entretien ou leur fonctionnement, ou leur environnement. A quoi servirait de réaliser des hôpitaux si les chirurgiens qui y sont affectés par le Ministère de la santé ne rejoignent pas leurs postes et si les pharmacies sont vides de médicaments… A quoi servirait d’encourager l’investissement, si le système judiciaire et fiscal n’est pas neutre ?

Q6: Quel est le potentiel de croissance du pays et sa capacité à assainir les finances publiques et le fonctionnement en général de son administration ?

R6: Cette question est très importante: c’est en effet la croissance qui permettra de distribuer des revenus et de juguler, au premier chef, la pauvreté, de créer des emplois pour les jeunes qui sortent du système de formation, avec ou sans diplômes, de “ formaliser ” le fonctionnement de l’économie dans un cadre réglementaire et fiscal modernisé.

Le potentiel de croissance est immense: les conditions naturelles, la géographie qui donne au Cameroun une place toute particulière en Afrique Centrale, sont éminemment favorables. Le tissu industriel est très varié, les hommes sont bien formés, l’esprit d’entreprise existe, ce sont des fondamentaux qui permettent de dire qu’une croissance à deux chiffres n’est pas hors de portée, pour peu qu’on veuille s’en donner les moyens. L’assainissement des finances publiques a été réalisé, le système bancaire a été, à grand prix (650 Milliards de FCFA dit-on) restructuré. Mais tout cela serait fragile si la volonté politique venait à faire défaut. Volonté politique de moraliser l’environnement des affaires tout d’abord: nombre de décisions de justice, qu’on ne commente pas, apparaissent surprenantes: le fonctionnement d’une partie de l’institution judiciaire, il faut le dire, est de nature à mettre en cause certains des acquis comme la restructuration réussie du système bancaire ou à décourager voire à ruiner les efforts des petits entrepreneurs... Si l’on veut produire plus, mettre en place des infrastructures de production plus nombreuses et plus modernes, pour réveiller et stimuler la croissance, il faut que l’environnement des affaires soit sécurisé.

La capacité à assainir le fonctionnement d’une partie de l’administration, avec l’aide d’une assistance technique étrangère, existe: elle doit être assise sur une volonté politique forte de sanctionner les détournements de fonds ou de procédures. Les autorités camerounaises savent que l’appui des Institutions de Bretton Wood et des bailleurs de fonds leur est, dans ce combat inéluctable, acquis. La solidarité internationale peut aider à combler certains handicaps, mais elle se fera toujours plus exigeante quant à ses modalités de mise en œuvre.

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You can find the version published in Forbes Global or Far Eastern Economic Review

© World INvestment NEws, 2001. This is the electronic edition of the special country report on Cameroon published in Forbes Global Magazine, October 1st, 2001. Developed by Agencia E.