CÔTE D´IVOIRE / IVORY COAST
Reshaping the nation














Savané Vassiriki, Directeur Général

Interview de

Mr. Savané Vassiriki,
Directeur Général

6 septembre 1999
Pouvez vous nous donner un aperçu historique de la compagnie Air Ivoire ?

Air Ivoire a été crée au début de l'indépendance parce que la Côte d'Ivoire indépendante en août 1960 a voulu avoir un instrument d'intégration nationale par le biais d'une compagnie aérienne, surtout en raison du manque d'infrastructures routières. A sa création vers 1963, c'est la compagnie française UTA qui a eu à parrainer la compagnie. Le représentant UTA en Côte d'Ivoire était le directeur général d'Air Ivoire, ils avaient un ou deux DC3 avec des navajots: ce sont des avions qui reliaient principalement Abidjan - Bouaké, Abidjan - Man, Abidjan - Korhogo, Abidjan - San Pedro et Abidjan - Tabou. Avec UTA, Air Afrique est devenu un des actionnaires avec 20% gardant et UTA 20%, l'Etat ivoirien gardant les 60%. Les exigences commerciales d'UTA et d'Air Afrique ne pouvaient pas se concilier avec nos structures d'intégration nationale. A partir des années 76, j'étais directeur de l'aviation civile et on m'a demandé de racheter toutes les actions d'UTA et d'Air Afrique pour que Air Ivoire devienne 100% national. Les négociations ont commencé en 76 et c'est en 77 que nous avons eu à racheter toutes les actions ; de là un problème se posait, je me suis toujours trouvé au carrefour des décisions de l'aviation en Côte d'Ivoire, le transport aérien a été nationalisé au plan national mais cela coûtait cher pour les personnes de prendre l'avion. Le président Houphouet Boigny avait l'esprit d'ouverture pour que tout le monde se sente ivoirien donc il est allé faire une visite dans le Nord. A la préparation de son arrivée, les cadres de la région se sont réunis pour voir ce qui les intéresseraient au mieux et moi en tant que directeur de l'aviation civile je leur ai demandé qu'on vulgarise l'aviation afin de faciliter l'accès pour tous, dans toutes les régions. Le président l'a admis mais la population a demandé que le prix soit assez attrayant pour la grande masse. Je leur avais dit que nous avons des pilotes militaires qui sont payés et qui ne font rien puisque nous n'avons pas d'armée de l'air vraiment de ce nom, nous pouvons les utiliser dans le développement, j'ai été chargé de donner la licence civile aux pilotes militaires et on a basculé Air Ivoire chez les militaires. J'ai été administrateur de cette compagnie depuis 1972 jusqu'à 84. Pendant 12 ans, j'ai été à l'origine de ces transformations: le rachat des actions, le transfert aux militaires qui a été fait en 79 - 80. Le gouvernement leur a donné les moyens parce que l'avantage était qu'ils étaient pratiquement des fonctionnaires mais pour les motiver on leur donnait des indemnités pour qu'ils soient plus productifs. Au moment où on nationalisait on avait deux avions japonais, ils les ont éliminés pour acheter des avions à réaction, des fokker 28, jusque vers les années 89 nous sommes allés jusqu'à 9 avions (5 fokker 28, 2 fokker 27 et 2 kinger 200). En 1989 nous avons décidé de changer les types d'avions, nous avons acheté 2 fokkers 100 qui sont des avions modernes, après cela nous nous sommes retrouvés avec 2 fokker 100, 1 fokker 28 pour l'intérieur et 2 kinger 200. Nous avons commencé à avoir le premier fokker 100 en 1990 et le deuxième en 91et bien entendu nous nous sommes débarrassés des fokker 28 qui consomment beaucoup de carburant et qui font assez de bruit. Les fokker 28 ou 100 étant des avions qui font 850 ou 900 km/h et n'étaient pas à utiliser uniquement à l'intérieur parce qu'en matière d'aviation plus la distance est longue moins cela coûte cher du point de vue exploitation. Depuis les années 76, en tant que directeur de l'aviation civile, j'ai commencé à signer des accords aériens dit de voisinage avec tous les pays environnent (Guinée, Liberia, Burkina Faso, Mali et le Ghana) pour que nous puissions aller dans les capitales. Quand on a procédé au transfert, les gens avaient déjà ces droits de trafic qu'ils ont commencé à exploiter là bas. Il fallait concilier maintenant la desserte nationale à la desserte de voisinage mais comme Air Afrique seule avait le monopole de faire ces capitales, c'est en 1979, à la date où le transfert devait être que, nous avons essayé de revoir la convention du traité de Yaoundé pour pouvoir permettre aux compagnies nationales de déborder les frontières. Cela c'est bien passé et nous avons commencé à aller à Bamako, Conakry etc. Il y a eu un engouement réel parce que nous sommes passés de 11 000 passagers vers les années 75-76 à 280 000 passagers en 81-82. Il y a eu un problème qui était le fait que les militaires n'étaient pas des commerçants, moi j'avais suggéré qu'on leur donne le côté exploitation technique, pilotage et maintenance mais pas le côté commercial c'est à dire que la compagnie est une compagnie civile mais on utilise les militaires uniquement pour le besoin de la cause. Le directeur général était en même temps le chef pilote du président de la république et il ne tenait pas compte de l'amortissement des appareils. Quand un avion se cassait, il demandait au président de le remplacer aussitôt sans tenir compte des contraintes de gestion moderne. Les principes généraux du transport aérien commercial n'étaient pas appliqués, il y a eu une mauvaise gestion mais c'était des gens valables dans la mesure où il y avait des ingénieurs et du personnel technique qualifié. Quand nous avons fini d'acheter les fokker 100 et quand le président Bédié est devenu chef d'Etat, le ministre des transports qui était là, à demander que désormais le tout soit du côté civil. Nous avons pris un jeune financier qui avait fait ses études aux Etats Unis mais n'a jamais fait d'aviation comme auditeur interne de la compagnie et après il est devenu directeur financier. Etant donné que l'autre directeur est décédé j'ai demandé que le directeur financier le remplace parce qu'on passait à la phase de privatisation, malheureusement il n'était pas du transport aérien, ce qui nous a causés beaucoup de désagréments. On n'avait deux fokker 100 au prix mondial, chaque mois on a une revue qu'on appelle avemarc et qui donne le prix des avions que ça soit d'occasion ou neuf, les deux fokker 28 qu'ils ont loué coûtent très chers 1900 dollars l'heure de vol. On m'a nommé il y a pratiquement 4 mois, à mon arrivée j'ai négocié avec les mêmes personnes pour ramener l'heure de vol à 1685 dollars.

Qu'en est-il de la situation d'Air Ivoire aujourd'hui ?

Il y avait deux fokker 28 à mon arrivée loués en Indonésie, ces deux avions ne sont plus adaptés au réseau actuel d'Air Ivoire parce que le traité de Yaoundé permet désormais d'aller dans toute la zone couverte par le traité de Yaoundé, alors ils ont mis le fokker 28 pour faire Dakar qui fait 3h de vol Abidjan - Dakar. L'initiative est bonne mais l'avion n'est pas adapté parce qu'un avion ne peut décoller qu'avec un poids de constructeur. Le fokker 28 ayant son poids maximum au décollage en faisant du direct Abidjan - Dakar pour un avion qui a 85 places ne peut pas prendre plus de 40 personnes à bord donc il y avait une perte énorme de 30 millions sur la ligne de Dakar, 28 millions sur Niamey et 22 sur Cotonou etc. J'ai fait arrêter tout cela depuis mon arrivée.

Justement la mission de votre mandat est de redonner à Air Ivoire toute sa vitalité ?

Exact, ma mission est de donner à Air Ivoire toute sa vitalité d'abord parce que nous sommes en période de privatisation car sinon les privés viendront prendre la compagnie pour zéro franc.

Monsieur Savane, quelles sont les grandes lignes de conduite de votre stratégie ?

Au niveau de l'exploitation, il fallait mettre un peu d'ordre, ne pas desservir des points qui ne sont pas rentables où on perd de l'argent. Avant ils faisaient à peu près 130 millions cfa de déficit par moi, actuellement nous l'avons ramené à 15 - 20 millions cfa donc nous faisons une économie d'exploitation d'à peu près 10 millions, ensuite il n'y avait pas une bonne organisation au niveau du personnel parce que se sont des amateurs, ils ne connaissent rien de l'aviation et il y a trop de malversations à l'intérieur, il fallait mettre de l'ordre et les discipliner.

Je suis ingénieur d'aviation civile, j'ai pratiquement 30 ans d'expériences. J'ai été directeur de l'aviation civile de Côte d'Ivoire, c'est moi qui est négocié tous les accords aériens depuis 74 jusqu'à maintenant ensuite j'ai été président de la commission africaine de l'aviation civile pendant dix ans de 85 à 95, j'ai été conseiller du ministre, administrateur d'Air Afrique, directeur des escales d'Air Afrique avant que je ne vienne à Air Ivoire. Mon directeur d'exploitation qui a fait ses études à l'université du Névada, il est ingénieur de construction aéronautique et ingénieur navigant. Le directeur des affaires juridiques et des ressources humaines qui après l'université d'Abidjan a fait le droit aérien spatial à Montréal, le directeur financier a fait l'économie en Côte d'Ivoire et après MIT à Boston, il a une maîtrise en économie du transport aérien. C'est l'équipe que je viens de mettre en place pour restaurer la compagnie.

Comment se fait-il que l'appel d'offre ait été infructueux?

Air Ivoire a beaucoup de dettes qui sont estimées aujourd'hui à 18 milliards Fcfa. Nous avons un problème, nous avons formé près de 150 techniciens en Géorgie et au Texas, ce sont des gens extrêmement compétents qu'on peut utiliser rationnellement le gouvernement a demandé que le privé qui viendra, devra utiliser ces personnes quitte à lui de leur donner la discipline civile. Il y a aussi le fait qu'il y ait eu une mauvaise gestion et on avait exigé dans le premier appel d'offre qu'il fallait desservir 8 villes à l'intérieur du pays or nous savons qu'en réalité ces dessertes ne sont pas rentables. Ce sont ces quelques données qui ont fait reculer les repreneurs. Le gouvernement prend en charge les 18 milliards afin que celui qui arrive ne prenne pas cela en compte, en outre il y aura une concession pour la desserte des villes de l'intérieur c'est à dire qu'il y aura un contrat entre l'Etat et le repreneur, il fera ses calculs s'il trouve qu'il y a des déficits, l'Etat se chargera de payer ces déficits pour le service public, en ce qui concerne les ressources humaines, il a la liberté de pouvoir utiliser tout ou une partie du personnel de la compagnie ou des militaires. Il y a une certaine souplesse qui permet aux gens de s'intéresser plus. Aujourd'hui il y a au moins 10 repreneurs.
Que pensez-vous de la libéralisation de l'espace aérien et la venue des compagnies américaines ?

J'ai négocié les accords aériens Côte d'Ivoire - Etats Unis, la PANAM venait ici avant. Je pense que le marché africain francophone n'est pas très connu par les Américains pour plusieurs raisons (la barrière de la langue), depuis un certain moment avant même la tournée du président Clinton, ils commencent à s'intéresser à l'économie des pays africains, ceci étant j'avais eu des contacts avec Africa Air Line en son temps. Concernant la venue des compagnies aériennes ici, je crois qu'elles ont réellement du trafic en Côte d'Ivoire parce qu'aujourd'hui les problèmes de visas pour les pays européens sont tels que les francophones sont plus tournés vers l'Amérique du Nord que vers l'Europe, s'il y a des compagnies aériennes qui peuvent faire l'alliance entre nos compagnies ici, il n'y a pas de problème. Le seul qu'il peut y avoir c'est le problème de sécurité dans les aéroports parce qu'il faut effectivement une discipline de fer pour. Quand j'étais directeur d'aviation civile, j'ai envoyé des policiers ivoiriens à Palma City aux USA parce que c'est l'un des grands centres de sécurité aérienne malheureusement quand ils reviennent on les envoie dans les frontières civiles alors qu'il faut les spécialiser, nous sommes obligés de repartir à zéro actuellement c'est pourquoi il y avait une délégation américaine qui était là. Quand j'étais conseiller de madame le Ministre Safiatou il y a peu près 2 ans, il y a eu une première délégation américaine qui était venue avant l'arrivée du président Clinton, nous sommes allés voir le Premier ministre et j'avais expliqué à l'Ambassadeur des Etats Unis qui était là que nous en tant que nationaux, même si nous sommes des spécialistes nous sommes moins à l'écoute que les gens qui viennent de l'extérieur donc que lui, ambassadeur des Etats Unis pose le problème devant le Premier Ministre. C'est ce qui a été fait et aujourd'hui le Premier Ministre est très sensibilisé à ce problème de sécurité. Si le problème de sécurité est résolu parce que le gouvernement américain y tient beaucoup, il n'aura pas de problème.

Nos lecteurs sont en perpétuelle recherche de nouvelles opportunités d'investissement. Dans quel secteur de vos activités seriez-vous intéressé à attirer des partenaires ?

Dans le cas d'Air Ivoire, nous voulons jouer au partenariat avec toute compagnie aérienne, il y a même une compagnie aérienne américaine qui est candidate pour la reprise d'Air Ivoire. Si nous avons des partenaires nous tenons à ce que nous soyons des consommateurs mais de bons consommateurs. Tout partenariat qui va dans le sens de transfert de technologie c'est à dire la formation du personnel, la discipline et qui en même temps dans une certaine mesure peut nous emmener du matériel volant pour faire une structure assez dynamique sur le plan commercial et surtout dans la perspective de développer le tourisme.

Quels sont les outils que vous utilisez pour attirer des partenaires ?

J'ai eu une réunion avec le conseil d'administration qui m'a donné le feu vert de négocier avec qui je veux, qu'il y ait privatisation ou pas pour que la compagnie ne tombe pas parce qu'il y avait des chances que cela arrive si je n'étais pas venu, et ce n'est pas une question d'autosatisfaction. Quand je suis arrivé à la tête, tous les comptes bancaires de la compagnie étaient bloqués par Ghana Airways parce qu'il y avait des différents entre eux. Le directeur de l'aviation civile étant un ami, j'ai dû aller au Ghana pour trouver une solution. Air Ivoire doit 746 000 dollars à l'espace aérien conjoint Guinée - Liberia - Sierra Leone, c'est le directeur de l'aviation civile de Guinée qui est le manager, il avait dit que si le 30 avril 99 on ne payait pas au moins 200000 dollars, aucun de nos avions ne passera chez eux, étant des gens que je connais également, j'ai téléphoné pour leur dire que je viens d'arriver et que je viens prendre la compagnie dans un état des plus défectueux surtout au plan financier, qu'il me laisse le temps de m'organiser afin de voir ce qu'on peut faire. Moi je suis obligé moralement ne serait ce que pour mon honneur de mettre de l'ordre pour qu'effectivement demain, s'il y a de nouveaux repreneurs, la compagnie puisse être attractive. Nous avons négocié avec un certain nombre de personnes, j'étais allé en Ethiopie pour qu'on me donne un avion malheureusement je suis arrivé une semaine en retard, après c'était Kenya Airways, nous avons supprimé notre représentation à Dakar pour des questions financières et nous l'avons confié actuellement à la compagnie de Hong Kong, c'est pareil pour Conakry, nous allons le faire quand nous allons ouvrir Lagos et Cotonou. Nous avons pris contact avec Air Mauritanie parce que nous avons l'intention de faire Abidjan - Nouakchoctt - Casablanca, la semaine dernière on a eu un contact avec le Congo Brazzaville, nous voulons faire Abidjan - Cotonou - Pointe Noire ou Brazzaville et pourquoi pas l'Ouganda demain. Ce sont des projets que nous sommes entrain de mettre en place. Nous sommes à la recherche d'un Boeing 737/ 300 qui fait à peu 148 à 150 sièges, c'est un avion très rentable parce qu'il a la même consommation que le fokker 28 mais il prend deux fois plus de passagers. Actuellement nous avons du trafic, nous annulons parfois des vols qui ont 110 passagers parce que l'avion ne peut pas les prendre. J'ai une délégation qui devait aller au Mexique parce qu'on a un 737/300 qui a une immatriculation américaine qui s'y trouve et qu'on doit nous louer. Il coûte relativement bon marché à l'heure de vol mais on nous demande de l'utiliser 10 heures par jour, c'est excessif parce que nous ne disposons pas d'un atelier de maintenance performant donc nous sommes en négociation avec eux.

Comment voyez-vous la compagnie dans 5 ans et quelle serait votre plus grande satisfaction ?

Je pense que dans 5 ans si Air Ivoire est géré par des professionnels qui arrive à trouver un lien entre le côté purement commercial et le côté service public, si d'une manière intelligente on peut arriver facilement à le faire, aujourd'hui avec l'ouverture vers le Congo, le Maroc, Dakar ,etc. On peut rentabiliser cette compagnie. Sans autosatisfaction, sans vantardise si on me donnait cette compagnie, en moins d'un an, moi je mets de l'ordre et on va faire du profit si on a des avions adaptés parce qu'uniquement avec le Boeing 737 que nous sommes entrain de chercher avec seulement 50% de coefficient de remplissage c'est à dire pour un avion de 148 places, si vous faites en moyenne 70 passagers par vol vous arrivez déjà à près de 60 millions de profit par mois, toutes dépenses étant déduites. Avec le manque d'avion qu'il y a dans la zone c'est sûr et certain que si vous avez un ou deux de ces avions, vous pouvez par mois faire près de 200 millions de profit mais cela suppose une discipline du personnel.

Quel est le message final que vous allez adresser à nos lecteurs ?

L'Afrique est très mal connue du point de vue potentialité à l'extérieur, il serait souhaitable que, de plus en plus les investisseurs ou les professionnels dans les différentes activités se rapprochent des responsables africains de développement, cela est possible par les magazines comme les vôtres mais également par le contact direct. On a souvent une mauvaise image des africains parce que d'une manière générale les gens ne sont pas utilisés rationnellement. Ce serait très bien de voir venir les investisseurs dans notre pays mais il faudrait qu'ils procèdent à un sondage réel de la capacité, de la compétence des individus avec lesquels ils vont travailler. Nous avons des compétences en Afrique mais qui souvent ne sont pas connues.

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© World INvestment NEws, 2000.
This is the electronic edition of the special country report on Côte d'Ivoire published in Forbes Global Magazine.
August 21th 2000 Issue.
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