Guinea, Republic of: Interview with S.E. Mamady Youla

S.E. Mamady Youla

Premier Ministre, Chef du Gouvernement (Gouvernement de la République de Guinée)

2016-12-07
S.E. Mamady Youla

Spécialiste du secteur minier guinéen et international vous avez été nommé Premier Ministre pour atteindre l’objectif premier du Président de la République de soutenir la reprise économique et la création d’emplois en Guinée et d’accélérer le développement du pays. Quelles sont vos prévisions et attentes sur la performance de l’économie dans les mois à venir?


Tout d’abord, il faut rappeler que je viens de passer onze années dans le secteur privé, minier notamment, et bien avant cela j’avais commencé ma carrière à la Banque Centrale de la République de Guinée comme économiste. Ensuite j’ai travaillé pour l’administration, notamment au Ministère des Mines suivi d’un bref passage à la Primature.


Aujourd’hui je suis à la tête du Gouvernement suite à ma nomination par le chef de l’Etat -le Professeur Alpha Condé- après sa réélection pour son second mandat. Le Chef de l’Etat a souhaité cette fois-ci mettre l’accent sur l’économie, l’investissement -notamment privé- et la création d’emplois. Il a donc cherché des compétences en matière de gestion économique, avec des personnes ayant une expérience dans le secteur privé, mais aussi une connaissance de l’administration et de l’international, ce qu’ont les membres de l’équipe gouvernementale que nous avons constituée. Ceci est l’une des raisons qui a conduit le Chef de l’Etat vers l’objectif affirmé d’apporter de nouvelles façons de gérer notre pays, notre économie et notre administration.


Nous avons été nommés dans un contexte difficile fin 2015 car la Guinée venait de traverser deux années très dures et le défi était donc très grand. Nous avions, fin 2015, une croissance nulle et une situation difficile avec nos partenaires techniques et financiers, en particulier les partenaires au développement comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, et tout autre bailleur de fonds qui assiste les pays en développement. Le dialogue était compliqué car le programme que nous avions avec le FMI était suspendu en raison de sérieux dérapages dans nos agrégats macroéconomiques. Aussi nous étions dans un contexte international très difficile avec, depuis quelques années, un ralentissement économique mondial, et la chute drastique des cours des principales matières premières.


Le défi auquel nous étions confrontés était donc immense mais très rapidement, grâce à la nouvelle équipe mise en place par le Chef de l’Etat et avec le soutien sans failles de ce dernier, de nombreuses réformes ont été entreprises pour relever l’économie. Nous avons donc commencé par renouer le dialogue avec nos partenaires techniques et financiers et en l’espace de trois mois nous avons pu remettre sur les rails le programme avec le FMI. Nous avons aussi initié un certain nombre de mesures visant à améliorer la gouvernance de manière générale. Pour cela nous avons rationnalisé le rôle de la Primature en tant que coordinateur de l’action gouvernementale à travers des séminaires gouvernementaux, clarifié les objectifs et formalisé les lettres de missions pour les membres du Gouvernement.


En tant que Chef du Gouvernement, je préfère regarder vers l’avenir, dire que nous sommes sortis de la période difficile aujourd’hui et que nous avançons vers des objectifs plus clairs et plus ambitieux. Mais aussi nous avons beaucoup plus d’attentes et de motifs d’espoir en se disant que nous avons des projets qui peuvent drainer des investissements, créer de l’emploi, ouvrir de nouvelles opportunités et soutenir la croissance dans les secteurs comme le développement rural, les mines, l’énergie et les infrastructures.

 

 

Etant donné ses ressources énergétiques, minières et agricoles, la Guinée a le potentiel pour devenir une plaque tournante en Afrique de l’Ouest, et un véritable nid pour des investissements étrangers. Quelles sont les mesures prises par votre Gouvernement pour faire de ces potentialités une réalité?


Pour traduire en programme de gouvernement la vision du Chef de l’Etat, nous entendons initier et mettre en œuvre au cours des prochains mois un ensemble de mesures susceptibles de relever le défi de la relance économique de la Guinée. Pour atteindre cet objectif, nous envisageons tout d’abord d’améliorer et de renforcer la capacité du Gouvernement et de l’Administration Publique en général, à mieux concevoir, mettre en œuvre et coordonner l’Action Gouvernementale et les politiques publiques, d’une part, et de cibler de manière précise certaines des contraintes qui entravent le développement socio-économique de la Guinée et de fixer un certain nombre de priorités en matière économique, d’autre part.


Au rang des priorités économiques, nous avons le secteur rural – agriculture, élevage, pêche et aquaculture – et toutes les activités connexes susceptibles d’être développées autour de ce secteur. La politique que nous entendons mener dans ce secteur sera mise en œuvre suivant deux axes : (i) le développement et le renforcement des productions vivrières et (ii) la promotion d’un certain nombre de cultures d’exportation. A cet égard, le Chef de l’Etat en personne a montré la voie à suivre en lançant le Programme Accéléré de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et de Développement Agricole Durable (PASANDAD) pour lequel il a recruté un expert international de haut niveau comme Conseiller Spécial. Des initiatives intéressantes ont été lancées dès 2011 à travers notamment un programme d’accompagnement de certaines cultures par la fourniture d’engrais et de produits phytosanitaires ; ces initiatives seront poursuivies et renforcées pour soutenir le développement de ce secteur d’activité englobant plus de deux tiers de la population active guinéenne.


Le secteur de l’énergie figure également au rang des priorités du Gouvernement. Le premier mandat du Président de la République a enregistré la réalisation du Barrage Hydroélectrique de Kaléta qui est le plus important ouvrage réalisé dans ce secteur en Guinée depuis l’Indépendance ; dès après sa réélection, le Chef de l’Etat a lancé le projet de Barrage Hydroélectrique de Souapiti dont la capacité est de plus du double de celle du Barrage Hydroélectrique de Kaléta. Parmi les projets envisagés dans ce secteur figure l’aménagement de sites situés au Nord-Est de la Guinée, sur le fleuve Bafing, où nous envisageons de réaliser trois barrages hydroélectriques dans le cadre de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et le barrage hydroélectrique de Fomi un peu plus à l’est.


Evidemment, qui dit barrage hydroélectrique dit aménagement hydraulique, maîtrise de l’eau et aménagements hydro-agricoles qui pourraient être réalisés dans le cadre de certains de ces projets, comme celui de Fomi, où des dizaines de milliers d’hectares sont susceptibles d’être aménagés et irrigués en Guinée et dans certains pays voisins. Ces aménagements découlant des projets dans le secteur de l’énergie font le lien avec le Programme Accéléré de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et de Développement Agricole Durable et favorisent dans cette même optique le développement de la pisciculture qui figure au rang des priorités du Gouvernement.


Au niveau du secteur minier qui est le secteur qui habituellement draine le plus d’investissements étrangers en Guinée, les projets initiés depuis quelques années, notamment dans la filière bauxite-alumine et dans une moindre mesure dans la filière aurifère, se poursuivent avec satisfaction en dépit d’un contexte international quelque peu morose. En effet, le projet d’extension de la capacité de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et le projet intégré Infrastructures-Bauxite-Alumine de la société Guinea Alumina Corporation ont pris leur envol et vont bientôt atteindre leur vitesse de croisière pour des investissements cumulés de plus de USD sept (7) milliards sur les cinq prochaines années. En plus de ces deux projets phares, il y a lieu d’évoquer le projet développé par la Société Minière de Boké (SMB) qui est déjà entré en phase de production et le projet ALUFER, sans oublier les projets en phase de négociation avec des investisseurs chinois.


En 2014 la production de la Guinée dans la filière bauxite-alumine tournait autour de 18 millions de tonnes de bauxite et zéro pour l’alumine. Avec les investissements attendus et les mesures d’accompagnement envisagées par le Gouvernement nous serons à l’horizon 2022 en mesure de tripler notre production de bauxite et de mettre sur le marché une production d’alumine comprise entre deux et quatre millions de tonnes par an.


Le potentiel de la Guinée en matière de minerai de fer est bien connu, avec notamment les plus importantes réserves connues et non encore exploitées de la planète. Le projet Simandou, qui est le plus important projet de développement de minerai de fer au monde, vient de faire l’objet d’un accord stratégique avec la Chine et nous espérons voir le développement de ce projet reprendre son cours dans les prochains mois.


Parmi les priorités sur lesquelles le Gouvernement entend mettre un accent particulier au cours des prochaines années figure également le développement et le renforcement des infrastructures. En plus des infrastructures ferroviaires, portuaires, routières, etc., prévues dans le cadre du développement des grands projets miniers, le Gouvernement entend, en effet, initier un vaste projet de renforcement des infrastructures pour lever les contraintes au développement des projets identifiés dans les secteurs productifs. A cet effet, un effort particulier sera consenti pour le renforcement des réseaux routiers primaire et secondaire et pour l’amélioration du réseau de pistes rurales desservant les zones de production en vue d’un meilleur accès aux principaux marchés de consommation.


Le programme de renforcement des infrastructures touchera également les infrastructures de communication en relation avec les nouvelles technologies de l’information et un certain nombre d’infrastructures dans les secteurs sociaux.

 

 

Avant d’être nommé Premier Ministre, vous avez été le premier guinéen à occuper les fonctions de Directeur Général d’une société créée par une multinationale dans le secteur minier, en étant à la tête de la Guinea Alumina Corporation (GAC) pendant plus de 10ans, vous avez également travaillé à la BCRG, sans parler de vos nombreuses années au sein de différentes instances de gouvernance dans des sociétés comme le Port Autonome de Conakry, l’Entreprise Nationale d’Electricité de Guinée, la Compagnie des Bauxites de Guinée, la Société Guinéo-Norvégienne de Transport Maritime, etc. Etant donné cette riche expérience, quelle empreinte souhaitez-vous laisser à ce poste à la suite de votre passage ?


C’est une ambition tout à fait légitime d’apporter sa contribution au développement de son pays. Avec le parcours que j’ai eu dans le public -d’abord à la Banque Centrale et au sein du Ministère des Mines-, puis dans le privé -où j’ai travaillé plusieurs années pour promouvoir l’investissement-, il y a de nombreuses expériences que j’ai accumulées et que je souhaite aujourd’hui mettre à la disposition de mon pays à la tête du Gouvernement.


D’après le constat qu’il m’a été donné de faire, nous avons aujourd’hui besoin d’améliorer la gouvernance dans notre administration, dans la gestion du pays et de notre économie, car il y a beaucoup de problèmes auxquels nous sommes confrontés qui ne sont pas correctement pris en charge par les agents de l’Etat. J’entends également promouvoir de meilleurs standards au sein du Gouvernement, les meilleures pratiques en matière de gouvernance, ce qui devrait permettre d’avoir un impact très important sur les résultats et l’efficacité de l’action que nous menons.


Un autre aspect que nous devons d’avantage prendre en considération est la promotion de la valeur ‘’travail’’. C’est une valeur qui peut paraître évidente mais qui n’est pas acquise par tous, il faut se rappeler que le travail est nécessaire pour que les résultats suivent. Les choses ne se font pas toutes seules et il faut, dès l’école et jusque dans la vie active, dans notre administration notamment, inculquer ces valeurs du travail à nos concitoyens.


Il faut bien admettre aujourd’hui que les pays qui montrent le plus fort dynamisme à travers le monde et qui progressent parfois de façon spectaculaire -notamment les pays asiatiques- sont ceux qui ont le mieux intégré l’importance et la valeur du travail.


Les pays asiatiques et certains grands pays émergents prennent de plus en plus de place dans l’économie mondiale ; cet état de fait n’est pas le fruit du hasard mais résulte d’une démarche qui intègre à la problématique du développement économique des valeurs comme le travail, la rigueur, l’éthique et la bonne gouvernance. Nous ne disons pas que ces pays représentent l’idéal vers lequel nous devons absolument nous tourner ou que cette approche est la panacée et la seule voie du salut.

 

 

Les lecteurs de eBiz Guides incluent une majorité d’hommes d’affaires et de décideurs politiques parmi les plus influents du monde entier. Avez-vous un message final à leur adresser sur la Guinée qui les inciterait à venir faire des affaires dans votre pays?

 

Dans la sous-région Ouest-africaine, la Guinée jouit d’une position particulière en étant une synthèse des caractéristiques et spécificités géographiques, culturelles et économiques -du potentiel économique plus précisément- des pays de la sous-région. En effet, la Guinée a quatre grandes régions naturelles relativement distinctes où vous trouvez la forêt, la savane, les hauts plateaux, les plaines côtières ainsi qu’une façade maritime, ce dont pratiquement aucun pays de la sous-région ne dispose dans cette configuration et avec le potentiel économique qui s’y attache. Ces quatre régions naturelles reflètent le potentiel très diversifié que la Guinée peut avoir dans un large éventail de secteurs d’activités.


Le potentiel minier de la Guinée est des plus diversifiés avec des ressources de classe mondiale parmi les plus importantes de la planète pour certaines d’entre elles. Par ailleurs, la Guinée qui est souvent qualifiée de château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, abrite les sources de certains des plus importants fleuves de la région voire même du continent. En outre, avec une façade maritime de plus de 300 km et de nombreuses iles, la Guinée offre un bon potentiel de tourisme balnéaire en plus d’un potentiel avéré pour un tourisme culturel et même pour le géo tourisme.


Enfin, j’ajouterais que depuis l’avènement du Pr Alpha CONDE à la Magistrature Suprême en Guinée en fin 2010, notre pays mène une véritable politique d’ouverture tant sur le plan diplomatique que sur les plans économique et commercial. Nous serons donc heureux de recevoir en Guinée tous les décideurs politiques et économiques, mais aussi les simples citoyens du monde, qui partagent cette vision de l’avenir de l’humanité basée sur les valeurs de collaboration et de coopération, de convergence d’intérêt, de préservation de notre environnement, de respect mutuel, de solidarité et de paix.