Mauritania: Interview with M. Moulaye El Arbi Ould Moulaye Mohamed

M. Moulaye El Arbi Ould Moulaye Mohamed

Directeur Général (SONIMEX)

2008-07-09
M. Moulaye El Arbi Ould Moulaye Mohamed


Q : Pourriez-vous nous donner un rapide historique de la Sonimex des années 60 à aujourd’hui et une idée globale de ses activités principales ?

R : La Sonimex a été créée quelques années après l’indépendance. Elle a commencé ses activités en 1967. A cette époque il n’y avait pas suffisamment de routes et donc les différentes localités éloignées du pays étaient difficilement accessibles. L’Etat avait jugé nécessaire de créer une entreprise qui se charge de l’approvisionnement du pays et du transport des denrées, essentiellement les denrées alimentaires de premières nécessités.
La Sonimex avait le monopole du riz, du sucre, du lait, du thé et cette activité a continué dans les années 60 jusqu’au début des 90 où l’Etat avait jugé nécessaire d’ouvrir le secteur du commerce. Particulièrement en ce qui concerne les produits alimentaires et de laisser émerger les importateurs privés pour accompagner la Sonimex dans sa lourde responsabilité d’assurer l’approvisionnement du pays.

Au début des années 90, la Sonimex a commencé à se retirer petit à petit, laissant émerger certains importateurs. Arrivée à un stade où pratiquement l’essentiel des importations étaient assurés par les importateurs privés, la Sonimex s’est spécialisée de plus en plus sur les opérations que l’Etat lui a confié, comme l’opération PADI dans le début des années 2000, qui était en faite une politique volontariste de l’Etat de promouvoir le riz local. La Sonimex a été chargée de promouvoir et de commercialiser ce riz local. Un peu plus tard, en 2002-2003, quand il y a eu une année difficile, elle a été chargée aussi d’assurer l’approvisionnement du pays dans toutes les localités.
Mais hors des prérogatives confiées par l’Etat, la Sonimex s’est retrouvée dans un environnement où elle avait perdu l’activité normale de l’importation et où les actions demandées par l’Etat devenaient de plus en plus rares, et donc elle se trouvait dans une situation où elle n’avait pratiquement pas l’objet précis. Ce qui a conduit un peu à une dégradation de son positionnement coomercial jusqu’au milieu des années 2000. Donc en 2005, il a fallu reprendre la Sonimex, lui redéfinir un nouveau cadre et lui confier une mission plus ou moins définie. Tout cela en sachant que l’objectif visé était d’avoir une entreprise capable d’opérer dans l’activité de l’importation, mais qui parallèlement devait être opérationnelle au cas l’Etat devait lui confier des opérations. Depuis la fin de l’année 2005 jusqu’au milieu de l’année 2007, la Sonimex est rentrée dans un processus de redressement et de redéfinitions des missions.

Aujourd’hui, la Sonimex redevient un importateur comme les autres, avec l’objectif d’assurer 25 à 35 % de l’approvisionnement des principaux produits alimentaires, comme le sucre, le riz, le blé, le lait en poudre et les huiles végétales ou alimentaires

Ce positionnement est choisi dans le but d’avoir un opérateur public, parce que l’on s’est rendu compte que chez les importateurs privés la notion commerciale était pondérant sur la notion de sécurité d’approvisionnement. On assistait régulièrement à des pénuries ou des spéculations qui sont effectuées par un monopole de fait, parce que l’on se retrouvait parfois avec une denrée disponible uniquement par un seul importateur. L’Etat a jugé nécessaire d’avoir un importateur neutre ou dépendant de lui, dont l’objectif n’est pas uniquement de faire des marges commerciales, qui pourraient concurencer les importateurs privés.

Aujourd’hui, la Sonimex a pour objectif, dans le marché de l’importation, d’assurer une présence continue de ces denrées pour éviter d’éventuelles spéculations ou d’éventuelles pénuries. En même temps, si l’Etat a besoin d’opérer une action de soutien de prix comme c’est le cas aujourd’hui pour la farine, ce sera naturellement à travers la Sonimex qu’il va entreprendre ce genre d’activités.

Q : Quel est votre positionnement sur le marché local et quels sont, d’après vous, vos avantages concurrentiels ?

R : En temps normal, nous agissons comme tout importateur. Nous achetons les produits et nous les mettons en vente au prix du marché. Tant que le prix du marché n’excède pas une marge de 15 % par rapport au prix d’achat et tant que les marges effectués par les importateurs se situent à ce niveau là, nous opérons comme tous les importateurs et nous vendons au prix du marché. Une fois que les marges commencent à dépasser ce seuil de 15 %, nous avons comme obligation d’essayer de mettre sur le marché ce dont nous disposons comme stock pour essayer de ramener le prix à un niveau de marge acceptable.

Il ne nous est pas demandé de vendre à perte, ni de créer une situation artificielle de prix, sauf si l’Etat le demande. Il nous est demandé d’être juste présent dans le marché, être capable d’apprécier le niveau du marché par rapport au prix international et par rapport à une structure de prix que nous avons préétabli avec l’Etat et donc de jouer ce rôle de veille, de surveillance des prix.

Q : Est-ce que vous développez de nouveaux marchés en ce moment ? Envisagez-vous de commercialiser vos produits dans des pays voisins ?

R : Pour l’instant, l’activité se concentre surtout sur le marché mauritanien. Effectivement, il est possible, en se positionnant sur certaines denrées internes, de pouvoir faire des marges. Mais cela n’a pas été encore adopté comme stratégie par la Sonimex et nous nous focalisons surtout sur l’évolution des prix sur le marché local. D’autant plus qu’une fois le redressement opéré, nous avons été confronté à la hausse spectaculaire des prix qui a commencé depuis 2006. Nous avons été pris par la vague et nous avons eu suffisamment de choses à faire sur le marché local, ce qui nous a plus ou moins empêché d’avoir une vision plus large.

Q : Quelles sont vos relations avec la France et/ou l’Europe ? Est-ce que vous avez, ou cherchez, des partenaires étrangers ?

R : Naturellement, nous nous adressons directement vers les entreprises européennes, particulièrement françaises, parce que la langue qui joue beaucoup. Mais comme nos produits sont plus ou moins spécialisés par pays, comme le sucre, où le principal exportateur est, de par sa situation géographique, le Brésil. Même si nous passons à travers des intermédiaires, c’est quand meme le sucre brésilien qui est importé en Mauritanie. En revanche pour certains produits, l’origine européenne demeure toujours la plus prisée, comme le lait et ses dérivés. Une bonne partie du blé, en général à partir du mois de juillet jusqu’au mois de décembre, est importé en Mauritanie essentiellement depuis l’Europe et particulièrement depuis la France.

A part ces deux principaux produits, les autres denrées, du fait de leur spécialité, comme les huiles végétales, viennent essentiellement de la Malaisie, le sucre du Brésil et le riz de la Thaïlande.

Q : Pourriez-vous nous donner quelques chiffres clés de la société ?

R : Nous avons repris une activité normale d’importation à partir du milieu 2006. En 2006 le total des importations a été de 60000 tonnes. En 2007 nous sommes arrivés à 97000 tonnes pour un total environ de 10.000.000.000 UM d’importation pour un chiffre d’affaire d’environ 40.000.000 dollars d’achat et 13.000.000.000 UM (à peu près 52.000.000 dollars) de chiffre d’affaires.

Q : Combien d’employés avez-vous ?

R : 146. Nous sommes présents sur les 12 régions , nous avons dans chaque région une agence régionale et nous avons un département logistique qui s’occupe de l’acheminement des produits de Nouakchott vers les différentes régions du pays.

Q : Quels sont les avantages que vous offrez à des investisseurs potentiels ?

R : Je pense que les avantages principaux de la Sonimex sont sa crédibilité vis-à-vis des fournisseurs, son positionnement sur l’ensemble du pays et son lien avec le gouvernement. La Sonimex a tous les atouts pour inspirer la confiance de quelqu’un qui veut investir. Que cela soit dans une production locale ou dans un produit similaire aux denrées que nous importons pour sa distribution dans sur le marché local. Eventuellement dans la sous région, parce que à travers notre position, nous savons aussi ce qui transite par la Mauritanie pour aller vers le Sénégal, vers le Mali. Pour tout investisseur qui est intéressé dans une activité de production de l’un des produits que nous importons ou que nous distribuons, nous sommes bien positionnés pour assurer la distribution et éventuellement de trouver des débouchés dans les pays voisins.

Q : Vous envisagez donc à terme un développement hors des frontières mauritaniennes ?

R : Tout à fait. Je pense que malheureusement cette année et la fin de l’année dernière ont été un peu difficiles en terme de commercialisation de produits alimentaires. Mais je pense que le développement naturel de la Sonimex serait bien sûr en interne. Il faut voir toutes les possibilités de développer une activité agroalimentaire nationale, puis de chercher des débouchés à l’extérieur, ce qui était jadis le rôle de la Sonimex. Dans les années 60 et 70, la Sonimex exploitait la gomme arabique. C’était une valorisation d’une denrée qui continue d’exister en Mauritanie, qui subissait un petit traitement avant l’exploitation. Maintenant il va falloir y penser avec les données de l’époque actuelle, et voir tout ce qu’il est possible de produire, de valoriser localement ou de mettre sur le marché international suivant des normes précises.

Q : Avez-vous une échéance pour y parvenir ?

R :En terme de développement sur le moyen terme, je dirais.

Q : Comment voyez-vous l’avenir de votre secteur et le développement de l’économie dans les années à venir ?

R : Je pense que avec tous les paramètres dont nous disposons actuellement, il y a un réel espoir de la Mauritanie fasse un bond économique assez important, particulièrement dans les 3 à 5 années à venir. Sur ce plan, je pense que la part de l’activité agricole devrait être très importante. D’ailleurs cette année sera déclarée par le gouvernement comme une année agricole. Je pense que le développement de la Sonimex se situera essentiellement dans la valorisation des produits locaux.

Q : Lesquels ?

R : Je pense qu’il y a suffisamment de domaine pour lequel il y a matière à faire. Nous avons cité la gomme arabique et la viande. Je crois que la Mauritanie à un potentiel pastoral assez important qui à notre avis n’est pas exploité suffisamment. Il y a la viandes et ses dérivés, comme les peaux, comme tout ce qui peut être extrait de l’abattage des animaux. Il y a le lait et les produits laitiers. Malheureusement tout ceci n’est pas exploité correctement car les zones où se trouve le plus grand nombre de bétail ne disposent même pas de centres de collecte.

Q : Quelles sont les zones qui présentent le plus grand potentiel ?

R : La zone Sud-est, où se trouve 60% du bétail, ne dispose meme pas d’un centre de collecte des denrées. Les deux centres de collecte sont au niveau de Rosso et de Kaédi. Entre les deux régions, les exploitants ne disposent pas d’infrastructures adaptées. Je pense qu’il y a un fort potentiel qui est inexploité sur ce plan là. Vous savez que la Mauritanie a quelques centaines de kilomètres de côtes et de vallées exploitables vu les prix actuels des matières premières agricoles. Il me semble qu’il y a un potentiel très élevé qui peut entre exploité et que la Sonimex devrait focaliser son expansion vers des partenariats qui visent à exploiter ces potentiels.

Q : Pourriez vous nous parler de votre parcours personnel et de votre plus grande satisfaction professionnelle ?

R : Comme la plupart des jeunes mauritaniens, je me suis retrouvé en France, à Nice, où j’ai fait un DEUG en mathématiques physique. J’ai continué en maths et en mécanique, puis j’ai intégré l’Ecole Centrale de Paris pour finir avec un diplôme d’ingénieur. Je suis rentré en Mauritanie fin 93 où j’ai commencé à travailler à la SNIM. Là, je m’occupais de l’approvisionnement et de la gestion des stocks. J’y ai passé 5 années, puis, pour des raisons personnelles, je suis venu à Nouakchott. J’ai travaillé 2 ans à la Socogim, où je m’occupais de l’aspect commercial, et j’ai créée un bureau d’étude. J’ai commencé à travailler comme consultant jusqu'à fin 2005, quand j’ai été appelé pour voir ce qui pouvait être possible pour la Sonimex. Celle-ci connaissait d’énormes difficultés juste après le changement de régime. Depuis fin 2005 jusqu’à aujourd’hui, je suis à la Sonimex. Je pourrais évoquer deux satisfactions personnelles : la première c’est à la Snim, où il y avait danger à terme dans la gestion des stocks. Grâce à la confiance qui m’a été accordée à l’époque, j’ai pu changé tous l’aspect de gestion des approvisionnements et des stocks. On a pu constater des résultats bénéfiques suite à ce changement. La deuxième est bien sûr la Sonimex, qui était au bord de la faillite, et qui aujourd’hui se permet d’avoir des ambitions, des perspectives et continue à exister sur la scène nationale.

Q : Quel serait votre message final aux lecteurs de L’EXPRESS et de www.winne.com, qui sont des gens d’affaires et des investisseurs potentiels ?

R : Ce serait que la Mauritanie est malgré tout pays jeune qui a d’énormes potentialités, qui a beaucoup de travail à faire, certes. Mais je pense que ce chemin à parcourir sera d’autant plus facile si l’on arrive à gagner la confiance des investisseurs. Notamment pour nous aider à créer du savoir faire, des activités et de la valeur ajouté sur le sol national plutôt que de nous envoyer des aides alimentaires ou de développement qui jusqu'à présent ont montré leurs limites. Je pense qu’avec tout ce qui s’est passé en Mauritanie, particulièrement ces dernières années où nous avons eu une transition démocratique, il s’agit une réussite. Cela a été en tout cas apprécié par bon nombre de personnes, en particulier les institutions qui commencent à se mettre en place de manière efficace et des élections transparents. Ce sera la garantie pour ces investisseurs que la Mauritanie va retrouver une stabilité politique qui va leur permettre d’assurer leurs investissements. La croissance économique que la Mauritanie a connu ces deux dernières années va continuer, ce qui nous met dans une situation où nous avons envie d’exploiter cette opportunité pour essayer de construire une Mauritanie nouvelle. Pour cela nous avons effectivement besoin d’investisseurs. Ce sera bénéfique pour eux, parce qu’il y a un vrai potentiel en Mauritanie. Nous comptons sur des retombées économiques considérables, mais ils nous permettront aussi de stabiliser encore plus vite le pays et d’atteindre un niveau économique qui nous mettra à l’abri de certaines secousses.