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M. Bouhafs, Président Directeur Général de SONATRACH Interview de
M. Bouhafs,


Président Directeur Général de SONATRACH

11 septembre 2000

Récemment vous avez dit : " Nous voulons que Sonatrach ait le statut d'une compagnie de pétrole et de gaz, et uniquement cela, libérée des fonctions gouvernementales, et exerçant avec toute sa capacité d'initiative et de réactivité ". A quel point êtes vous prêt à consolider cette séparation de l'état et la Sonatrach?

C'est un processus qui est progressif, et nous y arriverons dans les mois prochains. Il est clair que l'étape décisive est quand la loi sera modifiée pour que l'on ne fasse plus de Sonatrach un partenaire obligé pour les compagnies pétrolières pour faire de l'exploitation en Algérie. Nous avons donc créé l'Agence qui doit promouvoir le domaine minier Algérien, transmettre les appels d'offres et négocier les contrats pour le compte de l'état.

Sonatrach deviendra une compagnie comme une autre qui devra se soumettre aux mêmes règles de concurrence, qui sera soumissionnée pour les appels d'offres et qui développer. L'an 2001 sera une étape décisive pour cette transformation de l'entreprise avec des missions d'état en une compagnie qui n'aura que des missions industrielles, commerciales, et qui réagira avec les logiques et les références d'une compagnie pétrolière qui sera nationale parce que tout est dans l'intérêt de la nation. Elle sera aux normes internationales dans son mode de fonctionnement et dans son processif décisionnel.

Il y a une mutation qui doit se faire au sein de l'entreprise ; l'autre doit se faire dans son environnement et notamment au niveau de l'état. Il faudrait qu'à ce niveau on arrive à faire la distinction entre l'état actionnaire qui doit réagir avec le même mécanisme et la même logique, et l'état publique qui doit réguler de manière neutre, pas en fonction de l'opérateur qui intervient. Si on peut adapter la première face, la seconde peut aller très vite ou moins vite selon l'évolution des mentalités, et certains indices démontrent que ces derniers évoluent.

Les ressources fiscales de l'état proviennent à 60% des ressources pétrolières, donc comment va faire l'état pour compenser ce manque de revenus une fois que Sonatrach sera privatisée?

Pour le moment Sonatrach intervient pour le compte de l'état en s'associant avec des partenaires. Il est communément admis dans des échanges avec l'administration que lorsque cette agence sera crée - quand Sonatrach deviendra une compagnie comme une autre il n'y aura pas réactivité - elle conservera les blocs sur lesquels elle intervient. La contrepartie est que l'état maintienne le niveau de recette fiscale qu'elle tient de ces blocs. Il y aura certainement des régimes fiscaux différents qui s'appliqueront aux projets, aux blocs et aux activités des gens qui peuvent être obéissants à des conditions spécifiques pour maintenir ce niveau de recette et de fiscalité qui sera commune à toute les compagnies.

La fiscalité n'est pas uniforme dans le domaine pétrolier; on prévoit plusieurs niveaux de fiscalité en fonction de la zone où on intervient et la méthode de production que l'on met en œuvre. Sonatrach subit la fiscalité la plus élevée puisqu'elle intervient dans des zones où initialement il n'y a pas de difficultés et c'est uniquement pour les futurs projets qu'elle bénéficiera des régimes plus favorables.

Le Ministre de l'Energie et vous même avez de grandes ambitions au niveau du marché du gaz. Quelle est la stratégie de l'exportation du gaz, face à la nouvelle concurrence, dans le but d'accélérer les changements au niveau du marché Européen ?

L'invariant est le marché Européen, l'Europe du sud et plus globalement le bassin Méditerranée. Nous continuerons à cibler ce marché, car c'est un marché qui est proche et qui connaît une bonne expansion. C'est une expansion de qualité qui est tirée par l'électricité, qui valorise mieux le gaz et, en plus, qui assure un débouché stable, sans fluctuations saisonnières, ce qui est un phénomène très précieux. Ces marchés sont entrain de se déréglementer et nous aurons ainsi une garantie de débouchés qui sera opérationnelle et qui sera plus rassurante que les garanties de débouchés contractuelle, ce qui est nouveau.

Le rôle du segment de l'électricité et la déréglementation du marché Européen va se traduire par deux orientations : la première est que nous allons accroître nos exportations de gaz vers l'Europe, et la deuxième est que nous n'allons pas nécessairement exporter sous forme de gaz naturel mais plutôt sous forme d'électricité, soit en gaz naturel (GNL) par gazoduc.

Est ce qu'on peut transformer le gaz naturel ici en Algérie ?

Les deux solutions sont envisagées, soit transformer l'électricité ici en Algérie, car nous avons une association avec Sonelgaz pour ceci, ou transformer le gaz a l'étranger.

N'est il pas rentable de la transformer ici ?

Cela dépend des marchés, des distances et des volumes. Nous étudierons pour chaque opportunité les différentes alternatives de gaz par gazoduc qui traverse des pays de transite, ou gaz par gazoduc directe en traversant la mer, GNN ou électricité, ou bien nous nous associerons avec des sociétés d'électricité européennes, exporter le gaz en Europe et transformer sur place l'électricité. Cela c'est le troisième volet de notre stratégie - nous voulons être vendeurs présents sur le marché avec des acteurs qui immergent sur différents marchés, avoir des investissements de réception de gaz comme les centrales électriques, et nous voulons être présents aussi dans le commerce. Nous allons agir avec des acteurs sur place pour aller directement aux consommateurs, y compris avec des formules de commercialisation à cour terme.

En effet, cette stratégie internationale est déjà une réalité puisque elle a déjà été mise en œuvre, notamment en Espagne, en Italie, et en France grâce à une coopération entre Gaz de France et Sonatrach sur le marché Européen.

A l'heure actuelle en Algérie, les institutions des ministères sont en train de mettre en place les réformes nationales, et notamment sur la privatisation. En ce qui concerne Sonatrach, elle est prévue pour une privatisation en 2005… mais quel va être le processus ? Vous avez parlé de joint-venture, et de ventes de certaines parts de certaines filiales, mais est-ce que la majorité devra se soumettre à l'état ?

Je pense que c'est le ministre qui a annoncé cette échéance, qui est raisonnable car elle laisse le temps pour Sonatrach de devenir une compagnie pétrolière sans attache et sans mission gouvernementale. A ce moment là Sonatrach pourra commencer à se préparer à recevoir des capitaux privés, soit sous forme de privatisation partielle, soit sous forme de cotation en bourse. C'est un processus continu, qui se traduira sur le plan des statuts de l'entreprise, sur le plan de son mode de fonctionnement et sur le plan de ses performances.

On parle de la concrétisation des effectifs, et certains experts disent que la privatisation entraînera plus ou moins 40% de suppression d'effectifs. Qu'en est il ?

Je ne pourrais pas vous dire ce qu'il en est car nous ne sommes pas arrivés à ce stade là. Cependant, il est possible qu' il y ait compression d'effectifs dans les activités, et j'espère qu'il y aura un développement d'activités qui finira par se traduire en redéploiement de 50% et une création d'emplois. Pour les créer il faut qu'il y ait des richesses, et pour qu'il y ait des richesses il faut une efficacité des performances. Nous devons donc développer notre part d'activité, et en même temps dans chaque activité chercher une efficacité, soit rechercher la taille optimale d'effectifs d'après les activités que nous aurons à développer.

Les années 90 ont été des années de partenariats pour Sonatrach au niveau de la gestion et du management interne. Qu'est ce que ces partenaires ont apporté à la gestion de l'entreprise?

Ils avaient pour objectif primordial de réactiver l'exploration en Algérie, car qu'elle était en panne. Avant les années 90, les compagnies pétrolières n'intervenaient pas en Algérie, donc il fallait rouvrir le domaine minier Algérien au partenaires internationaux et réactiver l'exploration et renouveler les découvertes. Nous étions entrain de produire, de consommer, et d'exporter des réserves qui étaient en train de diminuer, de sorte que certains scénarios prévoyaient en 2005 que nous aurions une capacité inférieure à notre capacité de raffinage qu'il fallait importer. Il fallait inverser cette tendance, et grâce à cette initiative nous avons renouvelé 30 années de consommation de production et d'exportation de pétrole et de gaz. Cette année nous allons avoir des recettes records que nous n'avons jamais connu - ce n'est pas seulement en raison des prix parce que nous avons connu des prix de 40$ dans le début des années 80, sans connaître ce niveau de recettes, il y a en effet de prix qui est réel et un effet de volume.

Vous planifiez un chiffre d'affaires de combien pour l'an 2000 ?

Environ 20 milliards USD. Le maximum que nous avions atteint, c'était des chiffres de 13 milliards quand le prix était de 40%. Sur le plan du management interne il y avait des mutations qu'il fallait faire - adopter de nouveaux mécanismes, changer l'approche de nos managers face au partenariat, le partage des profits et le partage des risques.

Fallait il faire un plan de sensibilisation ?

Oui, nous avons fait des campagnes de sensibilisation, de formation et de conviction, mais nous avons été dépassés par l'ampleur des événements et le succès des nombreuses découvertes qui ont été faites. Avec d'importants nouveaux gisements, nous étions en déficit de ressources humaines par rapport à nos partenaires qui mettaient l'emploi des équipes très importante, alors que nous ne pouvions pas fournir tout ça. C'est dans ce domaine que nous devons nous renforcer ; nous devons être un partenaire totalement actif et participatif.

L'expérience du partenariat était probante en terme de résultats pétroliers - elle était fructueuse en terme de changement de mentalité, mais sur le plan organisationnel et sur le plan mobilisation il y a encore du travail à faire, et maintenant il faut que nous rattrapions ce cap ce qui est l'intention de l'entreprise.

Dans ce cadre vous êtes en train de supporter la signature de nouveaux contrats, mais certains opérateurs se plaignent de la lenteur des exécutions, de la bureaucratie et des problèmes de sécurité. Que répondez vous à ceci?

Le problème de la sécurité n'est plus une préoccupation pour les partenaires. Je dois dire qu'il a cessé d'être un problème, au moins pour ceux qui travaillent au Sahara. Je n'ai pas entendu un partenaire se plaindre ou évoquer ça comme une contrainte pour venir travailler. Pour ce qui est de la bureaucratie, nous ne serons plus des intermédiaires avec les responsables de l'administration, nous agirons avec les partenaires pour faire activer les choses au niveau de l'administration, et nous allons être au même titre que les compagnies qui interviennent en Algérie, en train de défendre nos dossiers en administration pour activer les décisions et modifier un certains nombres de réglementations ou de tarifications.

Comme vous le savez, nos lecteurs sont en perpétuels recherches d'opportunités d'investissements. Dans quel secteur d'activités souhaiteriez vous attirer des partenaires ?

La première opportunité est traditionnellement l'exploration et l'association pour développer la meilleure récupération du gisement qui sont déjà exploités par Sonatrach. Nous avons un projet de développement important dans la pétrochimie, dans la transformation des hydrocarbures.

La pétrochimie constitue le deuxième secteur où il existe de nombreuses opportunités de partenariats qui peuvent intéresser des partenaires de taille et de caractéristique très différencié, car dans un programme de pétrochimie nous avons des petits projets de transformation qui nécessitent de petits capitaux. Créer de l'emploi est un retour en capital rapide aux grands complexes, et la production de produits de base ne peut être faite qu'avec des partenaires qui peuvent partager les capitaux, apporter une part de technologie et développer une part de marché.

Avez vous d'autres projets internationaux en voie d'aboutissement ?

Un gisement a récemment été découvert en association avec la société Indienne ONGC, et nous avons aussi des discussions avec des sociétés Canadiennes pour un projet d'exploration au Niger.

Vous êtes un enfant de la Sonatrach, et maintenant vous êtes le n°1. Quel a été l'une de vos plus grandes satisfactions depuis que vous êtes PDG ?

De retrouver Sonatrach en janvier de cette année et d'avoir retrouvé une équipe qui a réussit dans des circonstances très difficiles d'insécurité, d'instabilité politique, et pendant une baisse de prix du pétrole. Ma satisfaction est d'avoir multiplié par deux les exportations de gaz en les faisant passer de 30 à 60 milliards pendant la période 1990-1994.

Quel serait votre message final pour nos lecteurs?

Vos lecteurs sont des milliardaires - j'aimerais bien qu'ils investissent leurs milliards chez nous, et je peux leur assurer qu'ils auront encore plus de milliards ici.