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MONSIEUR CHAKIB KHELIL, Ministre de l'Energie et des Mines
Interview avec
M. CHAKIB KHELIL


Ministre de l'Energie et des Mines

le 19 Septembre 2001

Dominican Republic's flag

L’Algérie s’apprête à libéraliser le secteur de l’énergie à la faveur d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures. Quels seront les contours de cette ouverture et ces enjeux ?

L’Algérie a déjà engagé depuis un certain temps l’ouverture de son économie. Nous allons donc vers une économie de marché, parce que jusqu’à maintenant l’économie était planifiée, aujourd’hui elle se dirige vers un marché plus concurrentiel, vers encore plus de transparence et elle négocie maintenant son adhésion à l’Union européenne qui va, probablement être signé vers la fin de l’année et en même temps, elle négocie son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui est en bonne voie également. En plus de cela, nous croyons dans le développement d’autres grands blocs économiques, il y a l’Union du Maghreb arabe dans lequel se trouve plusieurs pays de l’Afrique du nord qui sont en train de développer un ensemble où se fera le commerce libre. Cet ensemble sera constitué de plus de 70 millions d’habitants, donc un ensemble très important.

L’Algérie occupe une position très stratégique au niveau des pays de l’Afrique du nord mais étant un pays arabe, nous avons aussi des relations privilégiées dans le monde arabe ; c’est également un pays qui est proche du sud de la France, ce qui en fait un pays particulièrement stratégique et qui exporte déjà du gaz naturel à travers deux gazoducs : l’un traversant le Maroc à l’ouest pour relier le système du gazoduc en Espagne, et l’autre qui traverse la Tunisie pour rejoindre le système de gazoduc italien.

Nous avons plusieurs projets pour directement interconnecter l’Algérie à l’Espagne tant par des projets de gazoducs sous-marins que par des projets de câbles ; nous comptons nous relier au système électrique et gazier européen et nous avons l’intention de mener la même démarche pour l’Italie ; ce qui veut dire que nous voulons interconnecter l’Ile de Sardaigne qui est à peine à 200 km au Nord de la côte algérienne par un système similaire.

Nous avons ainsi conclu un accord avec le Nigeria pour l’étude d’un gazoduc qui partirait de là vers l’Algérie pour alimenter et approvisionner le marché européen plus une route et une  fibre optique et ce qui permettra à l’Algérie d’être totalement interconnecté avec l’Union Européenne et avec l’Afrique à l’avenir. C’est dans ce contexte qu’il faut placer les réformes que nous faisons en Algérie et les réformes déjà faites dans les hydrocarbures rentrent dans ce cadre-là.

Ce que nous voulons c’est : attirer beaucoup plus d’investissements, diversifier les exportations, améliorer la qualité et les services de nos produits, développer beaucoup plus les sociétés de services, etc.… et pour cela, nous avons donc préparé un avant-projet de loi qui sépare le rôle de l’Etat qui s’occupe de la politique énergétique et de la régulation du rôle des entreprises qui doit être purement commercial. Cet avant-projet de loi donne la possibilité à toutes les entreprises d’entrer en concurrence dans un environnement ouvert, transparent et où il n’y aura plus de monopole aussi bien sur les prix que sur la liberté d’importation et d’exportation ; l’idée étant de créer de la richesse pour le pays dans un système compétitif régional et mondial.

Pour donner des règles claires aux investisseurs, l’avant-projet de loi met donc en place un environnement institutionnel où de nouvelles agences vont être créées qui feront uniquement la promotion de l’investissement et, qui elles, vont octroyer par exemple, des contrats d’exploration et de production, des concessions pour les gazoducs et les oléoducs et qui s’assureront que le marché fonctionne d’une manière ouverte et compétitive en assurant l’accès libre avec des tarifs non discriminatoires. Sonatrach, devient dans ce cadre une entreprise purement commerciale et n’aura plus la puissance d’entreprise publique qu’elle a actuellement ce qui devrait davantage encourager les investisseurs étrangers qui sauront que, lorsqu’ils discutent avec la société nationale c’est avec un partenaire commercial qu’ils négotient et non avec un partenaire économique et représentant l’Etat. Cette séparation est très importante. Cet avant-projet de loi donne des contrats à travers un appel d’offres ouvert et transparent et se sera à celui qui offrira le plus de rente à l’Etat.

Nous avons signé deux contrats et nous avons lancé un avis d’appel d’offres de dix blocs d’exploration qui a été ouvert le 1er octobre (5 déjà octroyés), ce qui nous permettra pour cette année seulement, de tripler le nombre de contrats que nous allons signer dans l’exploration et la production - et probablement les revenus de l’Etat dans les années à venir. Cinq gisements ont été offerts en partenariat par avis d’appel d’offres qui ont déjà été lancés et qui seront ouverts en février 2002. Un autre avis d’appel d’offres a été lancé pour deux raffineries au Sud de l’Algérie, l’une à Adrar et l’autre à In-Aménas. Nous allons lancer une autre unité pour l’exportation d’hélium, qui est un gaz rare, et qui est demandé dans l’industrie spatiale où il y a très peu de compagnies qui le commercialise.

Bientôt nous lancerons des avis d’appel d’offres pour des projets intégrés de développement de gisements de gaz, de construction de gazoducs et d’exportation de gaz, ainsi que pour le lancement de la production de propylène à partir du gaz à l’Ouest, et du naphta à l’Est ainsi que pour des raffineries de condensat.

Jusqu’à maintenant, nous avons pu soumettre au gouvernement trois lois en l’espace de deux ans. En Juin dernier la loi sur les mines a été approuvée et le premier avis d’appel d’offres a été fait pour la vente de 57 kg d’or le 6 octobre de cette année. Des opérations similaires seront organisées chaque mois en Algérie.

Un avis d’appel d’offres a été lancé pour l’exploration du diamant et de l’or dans le sud-ouest de l’Algérie. Nous avons cherché des partenaires pour la production et l’exploration d’or, et, d’autre part, des avis d’appel d’offres seront lancés pour un partenariat dans le zinc et le plomb.

Nous venons de lancer un appel d’offres de 50 petites mines de marbre, de pierres décoratives, d’agrégats, de sel, etc. Ceci pour vous dire que, non seulement nous faisons des lois mais aussi des projets.

Avec la loi sur l’électricité,  Sonelgaz n’aura plus de monopole. Elle sera transformée en société par actions avec la possibilité de vendre des actions tout en conservant l’Etat comme actionnaire majoritaire ; l’investisseur privé aura ainsi l’occasion de se lancer dans la production d’électricité. Mais, ce qui est plus important, se sera d’exporter de l’électricité vers l’Europe ce qui explique le câble sous-marin entre l’Algérie et l’Espagne dont on a parlé puisqu’un accord a été signé entre nos deux pays.

Nous avons aussi crée une société conjointe entre Sonatrach (la compagnie nationale du pétrole) et Sonelgaz ( la société nationale d’électricité et de gaz) qui s’appelle Algerian Energy Company qui a déjà lancé un avis d’appel d’offres pour une centrale de 2000 mégawatts qui est le tiers de la capacité du pays (6000 mégawatts). De ces 2000 mégawatt, 1.200 seront destinés à l’exportation vers l’Espagne. Nous avons déjà obtenu cinq offres de la part des plus grandes compagnies d’électricité mondiales dont EDF (France), ENEL ( Italie), ENDESA ( Espagne), et AES ( USA). Dans ce projet-là, nous avons formé avec les Espagnols une compagnie d’études pour le câble sous-marin entre l’opérateur électrique espagnol RED ELECTRICA, Sonelgaz et notre nouvelle compagnie AEC (Algerian Energy company) pour l’étude et la construction du même câble. Nous avons aussi formé avec les espagnols une compagnie conjointe avec Cepsa et la compagnie nationale Sonatrach (en plus d'autres compagnies) pour la construction du gazoduc.

Nous n’attendons pas la loi, nous avançons déjà avec des projets relatifs à la consommation interne mais aussi à l’exportation.

Voici ce que nous faisons en Algérie; nous faisons beaucoup de choses et surtout avec la plus grande efficacité, dans un esprit de transparence et d’ouverture.

Avant, pour exister et établir ses activités en Algérie une compagnie étrangère devait s’associer à Sonatrach et selon la nouvelle loi, elle devrait simplement passer par l’Agence ALNAFT. Quelle est exactement la différence au niveau de la procédure ?

Dans le cas de l’avant-projet de loi, donc la nouvelle loi puisque nous faisons tout par avis d’appel d’offres, toutes les compagnies peuvent répondre seules ou en association. Dans le cas où elles ne voudraient pas s’associer à Sonatrach, elles n’ont pas à le faire, elles peuvent faire une offre et si elles gagnent, elles auront un contrat avec ALNAFT directement comme n’importe quelle autre compagnie.

Dans cet avant-projet, il est prévu que si cette compagnie trouve du pétrole et du gaz, 25 % seront donnés à Sonatrach pour une participation dans le cadre de cette découverte.

Ce n’est pas Sonatrach qui délivre le contrat ce qui permet à l’Etat d’avoir la meilleure offre en ce qui concerne les conditions fiscales et un traitement égal pour toutes les compagnies.

Sera-t-on pour autant dans un marché totalement libre compte tenu des résistances au sein des syndicats ?

Il y aura un marché libre à partir du moment où cet avant-projet de loi est adopté par l’Assemblée Nationale et le Sénat, il deviendra bien sur la loi du pays.

Maintenant, en ce qui concerne la Sonatrach, elle est déjà majoritaire dans la production qui est de 85 %, ce qui lui permet de garder une production importante en Algérie ; en plus de cela, elle a une participation très importante dans le domaine minier puisqu’elle a déjà plusieurs blocs d’exploration et sur lesquels elle peut développer des partenariats.

Sonatrach garde tous ses gisements (plus d’une centaine) ; elle a des milliers de kilomètres de gazoducs transcontinentaux, elle a toutes les raffineries de l’Algérie et en parallèle, c’est une compagnie qui est classée au douzième rang mondial, donc elle ne deviendra que plus importante avec cet avant-projet de loi, qui permet de lui donner la participation mais aussi le cadre légal et juridique qui va lui donner accès à beaucoup de choses que les compagnies privées peuvent faire mais que les entreprises publiques telles que Sonatrach ne peuvent pas faire actuellement.

Par exemple Sonatrach ne peut pas faire de projects financing sur ses gisements. Elle est obligée de faire financer ses projets sur la base de son bilan; nous allons donc lui donner à travers cet avant-projet de loi des contrats sur chacun de ses gisements (des contrats qu'elle signera avec ALNAFT) ; de ce fait, elle aura un cadre juridique qui lui permettra de se faire financer sur les ressources financières du gisement (avec à l'appui ses contrats et ses études techniques) comme le font toutes les compagnies privées et que Sonatrach ne peut pas faire actuellement – c’est là le premier avantage. Ce qui est plus important maintenant, c’est qu’elle est obligée par l’Etat de construire les oléoducs et les gazoducs. Cet avant-projet lui donnera la liberté de ne pas le faire et de laisser cela aux soins des sociétés privées. L'autre avantage qui est très important pour Sonatrach, c'est que dans ces oléoducs et  gazoducs, elle investit  700 à 800 millions de dollars, alors que cette activité de transport n’est pas aussi rentable qu’une activité d’exploration et de production. On obtient 10 % sur le transport et 25 % sur l’exploration. Nous savons ainsi qu’avec les 700 ou 800 millions de dollars, nous pouvons faire beaucoup de projets d’exploration.

Notre ambition est de transformer Sonatrach en une compagnie internationale qui soit le leader dans la commercialisation du gaz en Méditerranée et dans le Bassin atlantique. Elle est presque d’ailleurs le leader dans la commercialisation du GPL et du condensat dans ces deux bassins, ce qui lui permet d’avoir des activités au Pérou dans le cadre du développement d’un gisement de gaz important et la possibilité de créer à partir de ce projet des unités de liquéfaction qui permettraient d’approvisionner le marché californien. Comme vous le savez, nous alimentons déjà le marché américain et nous voulons obtenir un rôle très important dans ce pays en collaboration avec des sociétés de trading.

A Sonatrach, nous voulons devenir l’une des sociétés leader dans le trading du pétrole et du gaz,  mais aussi dans le trading du gaz et de l’électricité en Europe.

Nous travaillons avec des partenaires tels que BASF en Espagne pour la production du propylène - un accord sera signé avec eux très prochainement pour faire des activités en Algérie. Nous avons aussi des activités d’exploration au Yémen avec AGIP et, nous allons très bientôt développer des activités avec les pays limitrophes.