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Monsieur Jan Paul Sarr

Interview avec
MONSIEUR IBRAHIMA SOUMAH


Ministre des mines, de la geologie et de l'environnement
Q1 Vous êtes chargé du secteur le plus important pour le développement de la Guinée, pourriez vous nous présenter les grandes lignes du développement du secteur minier ces dernières années ?

A1 Je sais que vous avez assez d'informations sur ce secteur, et je ne peux que confirmer ce que vous venez de dire sur l'importance de ce secteur pour mon pays puisque c'est le moteur de l'économie nationale. En fait dans le secteur nous avons un Chiffre d'Affaires consolidé de 600 Millions de dollars. Nous avons 7 entreprises opérationnelles dans l'exploitation industrielle de la bauxite, de l'or et du diamant. Nous assurons 10 000 emplois permanents et plus de 100 000 si l'on tient compte de l'artisanat minier. Notre contribution directe au PIB dépasse 20% et elle est à plus de 80% pour les recettes extérieures. D'ailleurs, nous disons souvent que les 20% restants proviennent aussi des mines puisqu'il faut que nous puissions apporter les devises pour que les autres secteurs travaillent. Nous pouvons donc facilement dire que nous contribuons pour 95% à l'économie nationale. Voilà brièvement le secteur tel qu'il se présente. Mais nous ne voulons pas nous endormir sur nos lauriers car nous avons encore des ambitions plus importantes pour développer d'avantage le secteur. Au départ, nous devrions consolider le développement des entreprises qui opèrent dans le secteur, leur assurer une assise de rentabilité, de profitabilité. Aujourd'hui cela est devenu un acquis et la priorité immédiate est de développer nos projets pour que l'important potentiel du secteur soit mis en valeur en maximisant les retombées sur l'économie du pays.

Q2 Quelles sont aujourd'hui les priorités de votre Ministère?

A2 Les priorités ce sont d'abord les projets qui visent la transformation de nos produits miniers sur place en vue de créer la valeur ajoutée. Ces projets reposent sur une connaissance approfondie du potentiel qui est énorme. Si vous prenez la bauxite, nous avons les 2/3 des réserves du monde mais nous représentons seulement 15% de la production mondiale. La bauxite est utilisée pour fabriquer de l'alumine, laquelle est utilisée pour fabriquer l'aluminium métal. Les 15% de bauxite que nous produisons en terme de consommation mondiale sont déjà significatifs ; mais quand on arrive au stade supérieure, à savoir l'alumine, ce n'est plus que 2% de la production mondiale qui nous reviennent. Pour le métal c'est à dire l'aluminium, nous sommes à 0%. Par rapport à nos 2/3 de réserves mondiales de bauxite, il y a un paradoxe que nous voulons corriger. Nous voulons être au moins au niveau de l'Australie qui essaye, en terme de bauxite et de métal, d'être toujours au même niveau, à savoir entre 20 et 30%. Nous voulons avoir ce niveau là. C'est pourquoi nous avons identifié d'importants projets dans le domaine de la transformation de la bauxite en alumine et en aluminium. Nous avons, dans ce domaine, un projet dit de référence, qui part de la bauxite pour la transformer en métal en passant par le produit intermédiaire, qui est l'alumine. C'est un projet complexe puisque nous voulons le situer à côté d'un des plus grands fleuves de Guinée, qui a un potentiel énergétique important. Nous voulons coupler ce projet avec un barrage hydroélectrique de 700 Mégawatts pour produire de l'aluminium métal au niveau de 250 000 tonnes par an. Les investissements sont colossaux car il faut investir 2,5 milliards de Dollars pour un tel projet, qui va bien évidemment absorber une main d'œuvre importante, non seulement dans sa phase de construction qu'on a estimé à 20 000 emplois, mais aussi en phase d'exploitation puisqu' il représentera plus de 7000 emplois permanents. A cela il faut ajouter les autres emplois induits à travers toutes les activités formelles et informelles qui viendront se développer autours de l'usine.

A côté de ce projet de référence, nous avons des projets dits " d'opportunité ", toujours dans le secteur de la bauxite. Nous les appelons ainsi parce que ce sont des projets qui nous permettent de fabriquer tout de suite de l'alumine à partir de la bauxite . Il y a un marché pour l'absorber, car il y a beaucoup de fonderies à travers le monde et qui sont localisées partout où il y a assez d'énergie. Ces usines ont besoin d'alumine, et pour faire l'alumine il faut déjà disposer de la bauxite en quantité et en qualité. Et puisque nous avons la bauxite et l'énergie, nous pouvons donc facilement produire de l'alumine. Nous avons 4 projets d'alumine dans le pays, le premier est celui qui est lié au projet de référence dont j'ai parlé tantôt. En fait, c'est l'extension d'une usine existante, l'usine de Friguia qui est reprise par la société ACG (ndlr : Aluminium Company of Guinea). Toujours au Nord ouest, dans la zone de Sangarédi, nous avons le projet d'une usine de grande capacité pour assurer 2,5 millions de tonnes d'alumine, et nous voulons développer cette usine avec d'autres investisseurs. Nous avons aussi la possibilité de faire une usine d'alumine avec la société Alcoa des Etats Unis d'Amérique. Les russes veulent aussi faire une usine, toujours dans la même zone, dans une région appelée Diandian. Ces projets sont très avancés du point de vue de la promotion. Si je prends le cas d'Alcoa, je peux vous montrer le protocole que nous venons de signer avec eux pour une usine qui va commencer à 400 000 tonnes pour atteindre les 2 millions de tonnes d'alumine par an. C'est un accord qui vient d'être négocier avec l'assistance de la Banque Mondiale, qui a mis à disposition un avocat qui a fait ce protocole d'accord signé par moi même et le Président d'Alcoa World Aluminium. C'est très récent et c'est un projet qui avance. Ces 2 projets coûteront beaucoup plus cher. On pense à 2 milliards de dollars pour le projet de Sangarédi. Celui de Kamsar sera moins cher au départ vu sa taille, mais au final avec ses 2 millions de tonnes, il coûtera au moins un milliard de dollars. Celui de Sangarédi profite de la présence de la bauxite sur les lieux. La capacité de cette mine est au moins de 15 millions de tonnes de bauxite par an, il y a un chemin de fer et de l'eau en quantité, ce qui est très important aujourd'hui. On veut aussi aménager cette grande rivière le Cogon qui passe à côté, et faire un barrage de 50 Mégawatts pour approvisionner ces industries. Il faut compter environ 150 à 200 millions de dollars pour faire ce barrage.

En ce qui concerne le fer, nous avons de grands projets, dont celui à la frontière avec le Libéria et la Côte d'Ivoire. Nous avons des réserves de fer à teneur exceptionnelle, avec plus de 65% de fer. De nouvelles recherches géologiques montrent que des gisements de fer plongent vers le Nord de la Guinée. On a de nouvelles possibilités pour avoir des réserves pour plus de 100 ans d'exploitation à raison de 20 millions de tonnes par an. C'est le groupe BHP- Billiton premier groupe minier du monde qui est intéressé par ce projet. Juste à côté, il y a une chaîne de montagnes, le Simandou, qui est prospecté par Rio Tinto, un autre géant de l'industrie minière mondiale qui a déjà mis en évidence plus 1,2 milliards de tonnes de minerai à haute teneur. Ils veulent développer dans cette zone une mine de 40 millions de tonnes en production de croisière. Si on additionne les quantités, on atteint les 60 millions de tonnes, et il est possible de sortir ce minerai par un chemin de fer trans-guinéen, dont la rentabilité exigerait 50 millions de tonnes. Avec les 60 millions indiqués précédemment, ce projet devient réalisable. Le chemin de fer coûterait 2 milliards de dollars, et les 2 mines coûteraient 1,5 milliards de dollars, ce qui implique d'énormes investissements. Aujourd'hui c'est le dernier grand gisement de taille mondiale qu'on vient de découvrir dans cette zone du Simandou. C'est la raison pour laquelle les 2 plus grandes entreprises minières du monde sont intéressées. BHP Billiton a une capitalisation de 30 milliards de dollars et un chiffre d'affaire de 20 milliards de dollars. Rio Tinto a une capitalisation de 25 milliards de dollars. Ce sont vraiment des géants avec lesquels nous avons déjà négocié et paraphé des conventions. On attend le feu vert du gouvernement pour les signer, et ils seront aussitôt actifs sur le terrain.

Dans le secteur de l'alumine, nous ambitionnons de faire 3 usines dans la région de Boké (ndlr : dans l'ouest du pays). Ces usines consomment beaucoup de carburant. Actuellement, l'usine d'alumine de Fria à elle seule, consomme autant de carburant que toute la Guinée. Si on double la capacité, la consommation de Fria sera logiquement 2 fois la consommation de l'ensemble la Guinée. Si on créé 3 nouvelles usines, la consommation va exploser. Actuellement, on prend le carburant un peu partout dans les raffineries voisines de Côte d'Ivoire, des Caraïbes, mais en ce moment on ne pourra plus faire de cabotage. Il faut faire une raffinerie tout de suite sur la côte guinéenne pour l'approvisionnement. Et ça, ce n'est pas la Guinée qui va le faire. C'est un pétrolier qui va venir construire la raffinerie, tout simplement parce qu'il a devant lui des marchés solvables, qui payent en devises et immédiatement.

C'est la même chose pour la soude caustique. Pour faire l'alumine à partir de la bauxite, c'est une espèce de cuisine qui date du siècle dernier mais qui est encore valable, on appelle ça le procédé Bayer. On ²cuit² la bauxite dans une solution de soude. Cette soude est importée. Friguia par exemple, consomme environ 50 000 tonnes de soude caustique. Suivant des analyses statistiques, pour un produit comme la soude caustique, et par rapport à la consommation mondiale ou la consommation sur le continent africain, il y a tout de suite un paradoxe. En fait, en Afrique il y a 2 pays qu'on ne peut pas mettre sur la même échelle graphique, la Guinée et l'Afrique du Sud. Pour l'Afrique du Sud, on comprend parce c'est un pays émergent, mais pour la Guinée on se demande pourquoi. C'est tout simplement parce qu'il y a l'usine d'alumine de Fria. Et si l'on fait plusieurs usines, on ne va pas pouvoir importer ce produit, on sera obligé de créer des usines de fabrication de soude caustique. Nous savons que pour faire la soude caustique, il faut faire l'électrolyse du sel marin. Avec ce sel marin, on fait la soude et on obtient un sous produit qui est très important le chlore dont vous ne savez que faire. Mais le chlore, allié au produit pétrolier, permet de produire des matières plastiques. Ainsi, on entre de plein pied dans la pétrochimie. Ainsi, soit vous importez du pétrole ou du gaz avec les raffineries, soit vous rejoignez un autre volet des méga projets, qui est la recherche pétrolière. Actuellement nous faisons de la recherche en eaux profondes.

Nos priorités touchent aussi nos richesses traditionnelles, qui sont l'or et le diamant. L'or est dans une zone située au Nord Est de la Guinée. Nous sommes des producteurs séculaires d'or et aujourd'hui nous passons à la phase moderne avec 3 mines opérées par des sociétés internationales, notamment ghanéenne, norvégiennes et marocaines. Toutes ces sociétés ont un plan de doublement de la capacité. Nous sommes aujourd'hui parmi les 5 premiers pays producteurs d'or d'Afrique, mais nous serons facilement le 3ème quand nous aurons terminé ce programme d'augmentation de capacité.

Pour ce qui est du diamant, les gisements sont situés assez près de ceux de fer, dans le sud-est du pays. C'est du diamant alluvionnaire que l'on produit jusqu'à date, mais notre ambition est de faire du diamant primaire, à partir des kimberlites. Les grands groupes s'intéressent de plus en plus à ces projets, dont Rio Tinto. Notre volonté est de produire au moins autant de diamants que le Botswana. Si vous ajoutez tous les programmes que nous venons de passer en revue, nous avons l'ambition d'investir près de 7 à 8 milliards de dollars dans les 10 prochaines années. Nous avons fait des simulations qui indiquent que cela permettrait de doubler le PIB de la Guinée, et le revenu national augmenterait au moins de 50%. On sortirait de la pauvreté et c'est cela notre ambition.

Voilà un peu les perspectives qui s'ouvrent dans ce pays qui pourrait être la locomotive de l'ouest africain sur le plan économique. Nous avons fait des présentations multimédias un peu partout sur la contribution de la Guinée à ce qu'on appelle " le NEPAD "(ndlr : New Partnership for African Development) mais " le NEPAD " vu d'une manière beaucoup plus agressive. Par exemple, si nous proposons une liste d'infrastructures à réaliser par des investisseurs qui ne viendront jamais le faire; parce que si nous demandons par exemple à des investisseurs suédois de faire la route entre Mandiana et Bougouni, ils ne peuvent pas mettre leur argent la dedans. Bien que ce soit utile pour nous, les gens ne viendront pas... Par contre si nous proposons que nous allons investir pour faire de l'aluminium qui sert à faire des canettes pour les boissons suédoises, ça les gens comprennent tout de suite. Nous disons que nos projets sont des projets porteurs dans le contexte de la mondialisation. On n'a pas besoin de faire du porte à porte. On les met sur le marché et les investisseurs viennent, retirent ce dont ils ont besoin, et en passant la Guinée se développe.

Q3 Et comment pensez-vous attirer ces investisseurs ?

A3 Nous profitons de la croissance du marché, de l'incitation et de la promotion des projets. Pour le marché de l'aluminium par exemple, avant le 11 septembre 2001, c'était 3%, il a fait un fléchissement et il est remonté, parce que les avions comptent beaucoup dans la consommation du marché. Comme les commandes d'avions sont reparties, la croissance est repartie, et dans les 10 années à venir, il faudra 10 usines d'aluminium d'une capacité normale de 250 000 tonnes. Ces 10 usines d'aluminium nécessitent 10 usines d'alumine au minimum. Quand on pense à l'alumine, il faut surtout penser à l'extension des usines existantes. Lorsqu'on aura fait toutes les extensions possibles, il faudra construire encore au moins 3 à 4 usines nouvelles d'alumine. Là, nous sommes candidats pour ces usines, et en compétition avec d'autres pays. Mais nous avons nos atouts, à savoir : la qualité de la bauxite, l'accessibilité, la place (puisque nous sommes à mi chemin sur le bassin atlantique, on peut rejoindre l'Amérique ou l'Europe en bateau en moins d'une semaine, et en avion en quelques heures), des atouts naturels tels que l'eau en quantité. Nous avons aussi des atouts en ressources humaines que vous avez noté, et des atouts touristiques avec notre diversité culturelle. Nous avons donc des atouts importants qui nous permettent d'être compétitif et d'attirer des investisseurs.

Q4 Attirer les investisseurs dépend également du code minier. Quel type de réformes avez vous réalisé récemment concernant ce code?

Nous avions commencé par cela dès 1995. Tout ce qu'on a fait jusqu'à maintenant a été fait dans le cadre de ce code. Par rapport à nos concurrents, notre code est plus compétitif sur le plan fiscal, sur le plan des garanties. Sur le plan institutionnel, nous avons simplifié pas mal de procédures, et nous avons un guichet unique pour les visiteurs, le CPDM (ndlr : Centre de Promotion et de Développement Miniers). Sur place, nous avons des banques de données informatisées, qui permettent d'avoir très vite l'information dont on a besoin. Le CPDM est également en liaison avec toute l'administration nationale pour faciliter les démarches des investisseurs.

Q5 Vous avez parlé de la pollution, un point très important pour la Guinée, un pays qui respecte beaucoup l'environnement. Quel est le cadre légal que votre ministère a mis en place pour sauvegarder ce dernier?

A5 Il y a le code de l'environnement qui est en vigueur depuis 1987. On n'a pas attendu de se lancer dans les méga projets pour cela. Ce code est très sévère. Il oblige tous les grands projets, et surtout les projets miniers, à effectuer l'étude d'impact environnemental, dont les recommandations sont prises obligatoirement en compte dans le coût du projet. Mais je peux vous assurer que les sociétés minières aujourd'hui, en tant que multinationales, aident beaucoup à la protection de l'environnement et de la faune.

Q6 Comme dernière question, nous aimerions vous demander de nous parler un peu de votre parcours professionnel, et nous aimerions savoir quelle est votre plus grande satisfaction en tant que Ministre des Mines de la Géologie et de l'Environnement ?

A6 D'une manière générale, je suis très satisfait. J'ai évolué dans ce secteur, et j'ai pu assister à la naissance des grandes sociétés minières comme la Compagnie des Bauxites de Guinée, qui est aujourd'hui le poumon de l'économie Guinéenne. J'ai également participé à la mise en œuvre de grands projets et je suis convaincu qu'en me confiant ce secteur, le Chef de l'Etat voulait en même temps récompenser les efforts fournis pendant de longues années.

Q7 Un message final pour nos 800 000 lecteurs de l'Express ?

A7 J'invite tous les investisseurs à venir en Guinée pour participer à une coopération internationale saine et mutuellement avantageuse. Les investisseurs sont accueillis ici à bras ouverts. Le fait que depuis plus de 30 ans, les plus grandes sociétés d'aluminium du monde travaillent ici sans qu'il y ait aucun incident majeur, est une indication forte du fait que la Guinée a de grandes possibilités d'accueil et de valorisation des ressources et des investissements.