Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l’historique de la NCA et des derniers changements qui y ont eu lieu?
Il y a eu une profonde mutation qui n’a pas été définie. L’entreprise agroalimentaire achetait des matières premières auprès des agriculteurs, les transformait, les conditionnait et les vendait.
C’était presque une activité intégrée qui existait déjà dans les pays occidentaux, il y a une dizaine ou une quinzaine d’années. Dans ces pays, nous avons observé une mutation qui commence à s’installer en Algérie.
Nous étions transformateurs et conditionneurs de matières premières. Maintenant, nous conditionnons et distribuons mais nous ne les transformons plus, car c’est un autre métier, une autre activité de l’agroalimentaire. La chaîne a été rompue en deux. Il y a un nouveau métier, qui est le métier de transformateurs de fruits et légumes à destination des industries de conditionnement et il est probable que la chaîne se scindera plus tard, lorsqu’il y aura une spécialisation dans la distribution. Nous ne ferons que le conditionnement et nous vendrons aux entreprises qui distribuent. Ceci élargira évidemment l’éventail de vente et, bien que cela sécurisera un peu moins l’outil de production, c’est probablement quelque chose d’inévitable. Il y a les grands de la distribution qui arrivent.
Nous avons vécu cette mutation. En effet, jusqu’à la fin des années 90, nous faisions la transformation, le conditionnement et la vente. A la fin des années 90, nous avons progressivement arrêté notre transformation des fruits et légumes en achetant des produits semi-finis, en faisant nos recettes nous-mêmes et en assurant le conditionnement et la vente. Nous avons tous nos circuits, directs ou indirects.
Ce sont toutes de nouvelles notions qui sont indispensables pour les produits alimentaires, comme également les notions de qualité, d’assurance-qualité, de certification des normes de travail.
Formaliser est nouveau en Algérie. Depuis les années 60, nous savons qu’il y a des procédures de travail, mais qui pourtant n’ont jamais été mises en place, n’ont jamais été formalisées sous forme d’une certification. Il y a un réel besoin d’organisation parce que le consommateur est de plus en plus exigeant, il nous amène et nous pousse à être innovant, à améliorer nos produits. Les impératifs de compétitivité nous obligent évidemment à produire à un moindre coût et avec un meilleur apport qualité-prix. Tous ces efforts ont été entrepris par la nouvelle conserverie algérienne et non pas à cause des contraintes imposées par le marché extérieur. Nous avions déjà l’intention de mettre en place tous ces mécanismes. Donc, nous n’avons pas attendu la pression du marché pour entamer tout ce processus, appelé communément mise à niveau. C’est plus qu’une mise à niveau, c’est un changement d’attitude culturel dans la perception de l’outil de production et ce changement d’attitude n’est pas concentré uniquement au niveau managérial mais il est communiqué jusqu’à la base de l’entreprise.
Je considère que la mutation culturelle dans la perception de ce qu’est une entreprise est majeure au niveau de la NCA. Les employés ont fait ce travail eux-mêmes et les résultats sont là.
L’histoire est très importante, parce que c’est l’histoire qui donne un peu la culture de l’entreprise. Nous sommes historiquement une entreprise familiale extrêmement paternaliste. Ce côté paternaliste ne s’accommode pas avec la réalité économique. Nous avons progressivement expliqué cela aux employés et ils ont compris que la démagogie n’a plus de place actuellement. Nous sommes proches des préoccupations sociales des travailleurs mais nous ne sommes plus démagogues. Nous nous sommes rendu compte que cela ne servait à rien, que cela n’apportait pas grand-chose et n’aidait pas le travailleur. Il valait mieux être juste que démagogue.
Au niveau d’actions concrètes ?
Au niveau d’actions concrètes, nous sommes certifiés ISO. Nous avons des programmes de mise en certification ISO 14000 et un programme pour mener l’entreprise à une certification achat CCP. Nous sommes extrêmement préoccupés par l’environnement, mais nous n’avons pas une entreprise qui pollue beaucoup. Nous travaillons beaucoup sur nos rejets et sur des programmes d’économie d’énergie. Les équipes qui travaillent autour de moi prennent très à cœur toutes ces questions et essayent d’apporter les solutions qu’il faut et qui sont disponibles sur le marché local, bien qu’il y a des questions qui se posent et pour lesquels nous n’avons pas encore de solutions concrètes. Si vous parlez d’environnement, dans les pays occidentaux des programmes sont mis en place pour convaincre les entreprises de se préoccuper d’environnement et des formations. En effet, il y a des choses que nous ignorons en terme de pollution et que nous avons besoin de mettre à jour.
Quel est l’impact des réformes libérales ?
L’impact des réformes libérales est extrêmement positif parce qu’elles nous ont permis de diversifier nos sources d’approvisionnement, de stimuler la compétition, puisqu’il y a eu d’autres acteurs qui se sont positionnés rapidement sur le marché. Et qui dit compétition, dit croissance.
Quel a été l’impact de la présence des entreprises étrangères ?
Vous voulez dire la compétition internationale ? Une entreprise comme, Coca-Cola, Pepsi Cola qui sont représentants de marques internationales, ce n’est pas le secteur agroalimentaire comme nous le pensons, mais c’est le secteur boissons. Que font-elles ? Elles ont apporté à l’environnement une approche marketing qui n’existait pas en Algérie. Elles ont permis à beaucoup de jeunes de se former et au consommateur algérien de commencer à bien comprendre ce que c’était le service en termes de livraison de produits et de qualité. Le consommateur commence à comprendre ce que c’est la qualité, parce qu’avant l’arrivée de ces grands groupes internationaux, le marché était fourni avec des produits de qualité douteuse et dont l’emballage était vraiment désastreux. Certains industriels ne se préoccupaient absolument pas de ce qu’ils vendaient. La demande était tellement supérieure à l’offre que tout était faussé, tout était biaisé. L’arrivée de ces grands groupes internationaux, même si la demande était supérieure à l’offre lors de leur arrivée, ont maintenu une ligne de conduite qui était de qualité et dirigée au consommateur. Tout était orienté vers le consommateur. Evidemment, les profits sont toujours importants à regarder mais la préoccupation majeure était le consommateur. Parce que des profits aujourd’hui, sans regarder le consommateur, c’est des déficits demain.
Quelle est votre part du marché par rapport à la concurrence locale ?
Nous avons actuellement 30 % de parts du marché.
En Algérie, il y a vraiment un problème de chiffres. Il est très difficile d’avoir accès aux statistiques. Vous avez touché un point qui est en fait majeur en Algérie, à savoir la fiscalité. Les lois sont tellement dépassées. Les chiffres que nous obtenons sont déduits par extrapolation, via les relevés de marchés, ou par les enquêtes que nous faisons.
Au niveau international, les jus de fruits s’exportent mal et il y a très peu de mouvements. Les jus de fruits sont des produits sur lesquels il y a de très faibles marges, car ils supportent très mal le déplacement ou le transport. Dès que vous déplacez un produit, cela coûte cher et vos marges ne vous permettent pas de continuer à être compétitifs lorsque vous allez attaquer un autre marché. Par contre, sur des marchés où il n’y a pas de producteurs et la demande est très forte, vous pouvez arriver avec des marges extrêmement élevées. Par exemple, en Arabie Saoudite, où le pouvoir d’achat est très élevé, je peux augmenter mes prix.
| Et en termes de diversification ?
En termes de diversification, nous avons des axes de diversification packaging et des axes de diversification vers les produits lents.
Des projets sont en cours, quelques-uns vont démarrer cette année et s’étalent sur les cinq à six prochaines années. L’innovation est toujours un impératif, afin de répondre aux attentes du consommateur. Je reviens toujours à la phrase “being the leading national beverage provider and maintain this position”. Quand nous disons leader, cela veut dire produits, innovation, visibilité et qualité. Nous avons l’intention d’être des leader dans les boissons. Et nous le serons.
Quelle est votre vision sur le secteur agroalimentaire en Algérie ?
Je pense qu’il va y avoir de très forts développements. Il y a une volonté gouvernementale à encourager l’agriculture. Il faut s’attendre à voir, à très court terme, des excédents agricoles en Algérie. Il faut forcément qu’il y ait un travail de rapprochement entre le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire et ce, afin que les agriculteurs comprennent quel type de produit nous pouvons transformer ou utiliser dans l’industrie agroalimentaire.
Il va y avoir de très forts développements et il est évident que le lien doit être fait avec l’agriculture. Il doit y avoir de très forts rapprochements qui seront menés entre les industriels de l’agroalimentaire et les agriculteurs, qui doivent faire l’effort de comprendre et qui doivent acquérir le savoir-faire. Le savoir-faire ne peut leur être donné que par l’Etat en mettant à leur disposition les hommes qui vont encadrer le secteur de l’agriculture, afin qu’ils soient plus à même de comprendre les attentes des industriels. Ce rapprochement va créer une fusion ou un lien entre les deux secteurs d’activité et il va y avoir des flux de produits et d’échanges.
Quelle est votre vision de l’Algérie en général et comment va être le futur ?
J’ai toujours eu une vision très optimiste mais je l’exprime de façon très pessimiste, c’est-à-dire, je me plains beaucoup, parce que j’ai trouvé que c’était la meilleure méthode pour faire avancer les choses. Je veux me battre et je me bas comme si cela était vraiment désespéré ; mais au fond de moi-même, je suis extrêmement optimiste.
Il y a un important réservoir de jeunes dans ce pays qui ont un très fort potentiel inexploité. C’est-à-dire, que si, aujourd’hui, nous formons cette jeunesse, si nous soutenons par exemple l’activité de services, l’Algérie explosera du jour au lendemain en termes activités économiques. Si nous continuons à ignorer cette activité, nous ne pourrons pas nous développer. Les avantages offerts aux investisseurs étrangers ne concernent pas les activités de services. Est-ce que vous vous imaginez une économie moderne sans activité de services ?
Par exemple, je ne veux pas construire une usine mais j’ai envie de faire une entreprise de jeunes coursiers sur mobylettes, une entreprise de cireurs de chaussures. Vous pouvez la faire, mais vous ne bénéficierez pas des avantages dont vous devez bénéficier. Vous n’aurez pas accès aux crédits, pas d’avantages fiscaux. J’ai envie d’avoir une société qui va se spécialiser dans la formation et je n’ai aucun avantage, rien !
Je crois beaucoup en ce pays. Il faut qu’il y ait une révolution culturelle en Algérie. Je pense que la révolution culturelle algérienne est en marche. C’est la jeunesse algérienne qui va la faire. Il y a de vieux réflexes qui doivent disparaître. Il y a un changement de mentalité énorme qui doit intervenir et qui va intervenir inévitablement.
Je suis optimiste pour l’Algérie. Je ne connais pas les pensées de la relève, mais je me dis qu’elle s'imposera d’elle-même, c’est-à-dire, que même s’ils n’y pensent pas, elle va venir d’elle-même prendre le relais.
Votre parcours professionnel ?
Je suis ingénieur informaticien de formation, ingénieur réseau. J’ai fais mes études en Tunisie. J’ai vécu quelques années au Canada où j’étais impliqué dans une entreprise qui fesait de l’informatique en arabe. Au début des années 90, je suis rentré pour m’impliquer dans les entreprises familiales et apporter du sang neuf et une autre génération à la famille.
Qu’est-ce que ce sang neuf à apporté au sein de votre entreprise ?
C’est une démarche qui nous a emmené à créer une entreprise citoyenne à un plus haut point. nous nous impliquons dans beaucoup d’activités et participons à la vie sociale du pays.
Dans quel genre d’activités?
Nous avons créé le grand prix Rouiba de cyclisme. Je ne veux pas parler d’œuvres caritatives, car toute action caritative ne mérite absolument pas d’être médiatisée.
Nous sommes dans différentes associations, tant patronales, que dans le circuit de réflexion. Nous contribuons de façon diplomate, ou parfois de façon agressive, à l’évolution économique de l’Algérie.
Pour moi, actuellement, je considère que la principale préoccupation de l’Algérie devrait être l’environnement, parce que vraiment l’environnement est extrêmement dégradé et c’est donc sur ce que nous essayons de travailler actuellement.
La formation est mon cheval de bataille. Je me suis battu sur des textes de loi qui n’ont rien à voir avec la formation. Je passe à la formation parce que je considère que c’est vraiment notre talon d’Achille et cela rejoint la question que vous avez posé sur l’avenir de l’Algérie. La formation en Algérie doit être la principale priorité ou nous n’avancerons pas. Avec la formation, le développement des activités de services, l’Algérie fonctionnera. Les problèmes sociaux se résoudront d’eux-mêmes.
Un message final aux investisseurs ?
Qu’ils viennent. Il y a, je pense, suffisamment d’informations, de cabinets d’avocats qui sont excellents et qui peuvent parfaitement les informer sur toute la réglementation en vigueur.
Il est vrai qu’il y a beaucoup trop de textes de loi, mais ils doivent venir dans un esprit extrêmement ouvert. Il y a tellement de choses à développer. Qu’ils intègrent la culture algérienne dans leur processus de décisions. Il faut qu’ils comprennent que ce n’est pas un pays différent des autres pays, mais que chaque pays a sa spécificité.
Investisseurs étrangers, venez nous voir et n’ayez pas peur de vous associer à des partenaires locaux. Il y a un dicton arabe qui dit: « La meilleure façon de rentrer dans un pays, c’est avec les gens du pays ».
Donc, il faut mettre en avant ces côtés-là. Il faut être humble. |