Strategy Interview de
Monsieur Ousmane Aribot,
Directeur Général
Q: Pouvez-vous nous faire un bref rappel historique de votre société ?
R: Notre société a été créée en 1989. En fait, cest au moment où le gouvernement sest lancé dans la restructuration de son économie que lidée a germé. Lidée était de voir quelle structure donner au secteur de leau. A la faveur de la politique de libéralisation, des sociétés dEtat ont été soit fermées soit privatisées ou transformées en sociétés mixtes.
Le secteur de leau na pas échappé à cette vague de changement. Ainsi les bailleurs de fonds et particulièrement la Banque Mondiale se sont intéressés de près à ce secteur primordial. La lutte contre la pauvreté passe par laccès des populations à leau potable.
Après avoir fait le diagnostic de la société existante, ils ont constaté quelle nétait pas performante. La société nétait pas autonome. Elle navait pas dargent et il était donc difficile de remplacer les équipements ou dacheter des produits chimiques pour le traitement des eaux. Il était même difficile de payer les travailleurs.
Leau, au même titre que lélectricité et le téléphone, est un domaine sensible du gouvernement parce quil touche directement les populations. Par conséquent, le gouvernement ne voulait pas privatiser ce secteur tout de suite. Il a fallu trois ans de négociations avec la Banque Mondiale pour en arriver au schéma que nous avons aujourdhui. Ce schéma comprend une société de patrimoine, la SONEG (Société Nationale des Eaux de Guinée) et une société dexploitation, la SEEG (Société dExploitation des Eaux de Guinée). Dans ce schéma, lEtat guinéen a concédé à la SONEG toutes les installations. Celle-ci est chargée de la recherche des financements, de la préparation et de lexécution des projets, et du remboursement de la dette qui nous incombe effectivement. La SONEG, à son tour, a passé un contrat dexploitation avec la SEEG. Il faut noter au passage que la SEEG est une société mixte ou le partenaire étranger détient 51% du capital ce qui impose une gestion rigoureuse du secteur. La SEEG est chargée de tout ce qui touche à lexploitation de leau. Il sagit du traitement, du transport, de la distribution et de la commercialisation de leau. Depuis dix ans quil existe, le schéma fonctionne bien. Les résultats obtenus sont plus quélogieux. Nous avons même été cité en exemple par la Banque Mondiale. Depuis, beaucoup de pays sont venus voir et sinspirer du schéma guinéen. Les gens sont venus du Mozambique, du Ghana, du Cameroun, du Sénégal et de plusieurs autres pays africains.
Ce schéma fonctionne depuis 1989. Aujourdhui nous sommes pratiquement au terme du contrat qui nous liait pour dix ans à la société dexploitation, la SEEG. Nous nous sommes lancés dans la préparation dun nouveau contrat. Le gouvernement a donné son aval pour la reconduction du même schéma. Il faut voir cette reconduction comme lexpression de la satisfaction du Gouvernement, des bailleurs de fonds et des populations. Nous avons dailleurs rencontré lassociation des consommateurs de Guinée qui nous a exprimé sa satisfaction en ce qui concerne le schéma mis en place. Entre 1989 et 1998 des changements remarquables ont eu lieu dans la distribution de leau tant à Conakry quà lintérieur du pays.
Q: Le contrat dexploitation va-t-il être reconduit sur le même modèle ?
R: Nous voulons conserver le même schéma avec deux alternatives. Soit nous passons en négociations directes avec le partenaire actuel qui est la SEEG, soit nous lançons un avis dappel doffre pour de nouveaux partenaires. La Banque Mondiale nous a recommandé de commencer par les négociations. Au cas où celles-ci naboutissent pas, nous allons procéder par appel doffre.
Le contrat expire le 31 juillet 1999. Cest pour cela que nous voulons commencer les négociations très tôt, cest-à-dire dans un mois. Comme cela nous aurons le temps de savoir quel sera le futur partenaire ?
Q: Quavez-vous fait exactement pour être cité comme exemple ?
R: Il faut dire que le schéma mis en place était nouveau en Afrique et même dans le monde. Cest la raison pour laquelle la Banque Mondiale a incité plusieurs pays à sinspirer de lexemple de la Guinée. Il est très rare que la Banque Mondiale apprécie une société mais dans son rapport de 1994, elle a écrit que le schéma guinéen méritait dêtre vu. Cette allusion à notre pays fut pour nous un signe dencouragement. Limpact a été la visite de nombreux pays, dont Haïti, pour voir le schéma guinéen.
Q: Quel est le fonctionnement de ce schéma ?
R: Cest très simple. Dun côté, il y a lEtat qui sest réellement désengagé du secteur de leau ; de lautre il y a la SONEG qui est chargée du remboursement de la dette. Quant à la SEEG, elle a fourni de gros efforts dans la distribution de leau. Nous savons que beaucoup reste à faire, mais nous sommes confiants. Par rapport aux années précédentes, le service est bien meilleur aujourdhui. Il y a moins de dix ans, les gens erraient dans les rues de Conakry à la recherche de leau. Nous étions, à lépoque, obligés de sevrer un quartier pour fournir un autre. Heureusement, aujourdhui presque tout le monde a de leau à Conakry. 80% de la population a accès à leau soit à domicile soit à une borne fontaine. Je voudrais rappeler que leau qui est servie aux consommateurs est potable, cest-à-dire quelle est sans éléments pathogènes.
Lassociation des consommateurs na pas manqué de nous exprimer toute sa satisfaction.
Q: Quand vous dites que leau est potable, cela veut-il dire quon peut la boire ?
R: Dans le passé, Il y a eu des crises de choléra qui nous obligeaient à prendre certaines précautions. Aujourdhui, ces crises se sont atténuées suite à la potabilité de leau du robinet.
Notre challenge actuel est de fournir de leau à tout le monde à Conakry comme à lintérieur du pays. La croissance exponentielle de la population de Conakry demeure un défi dans la réalisation de cet objectif. En 1985, la population était de 700.000 habitants. En 1993, elle était de 1.300.000. En 1998, cette population a atteint 1.500.000 habitants. A cela sajoute le retour de nombreux guinéens de lextérieur. Nous ne nous décourageons pas pour autant. Lensemble de la société est motivée par la réalisation de ces objectifs.
En 1989 il ny avait que sept villes qui avaient ladduction deau en Guinée. Aujourdhui, on en compte vingt-quatre. Nous espérons atteindre le nombre de trente villes, sur les trente trois préfectures que compte le pays, dici à lan 2000.
Q: Jimagine que cela na pas été facile ?
R: Cela na pas été facile du tout. Chaque ville voulait être la première à bénéficier de ladduction deau. Heureusement que nous avons su gérer la situation. Nous avons atteint ainsi le nombre de 24 villes équipées en adduction deau.
Aujourdhui leau semble disponible en grande quantité mais en réalité elle se raréfie. La bataille sera de préserver cette denrée rare quest leau pour lavenir.
Q: Quels sont les problèmes que vous avez rencontré dans votre tâche ?
R: Le premier problème auquel nous avons été confrontés était la vétusté du réseau existant. En effet, ce réseau qui datait de lépoque coloniale ne satisfaisait plus aux besoins. Il a donc fallu le changer. Le travail consistait à installer des stations de traitement, à faire des forages et à installer des panneaux solaires et des groupes électrogènes.
Malgré le coût élevé des investissements à faire, nous avons toujours eu lappui des bailleurs de fonds parce que le schéma était fiable. Ainsi nous avons pu bénéficier des financements de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement, lAgence Française de Développement, la Banque Européenne dInvestissement, et lensemble des pays arabes et de la KFW (Kredit Anstalt fur Wieder Aufbau). Partout où nous avons sollicité, nous avons obtenu des financements. Avec tout cet argent, nous avons fait des investissements. Notre premier gros investissement date de 1989 lors de la mise en place du schéma. Nous avons alors obtenu cent millions de dollars US. Grâce à ce financement, nous avons pu doubler la conduite dexploitation. Il faut rappeler que leau que nous buvons à Conakry traverse près de 120km. Elle est traitée à 60 km de Conakry. Pour en revenir aux investissements, nous avons construit une nouvelle station de traitement et nous avons installé de nouveaux groupes. Nous avons remplacé les 3/4 du réseau. La capacité de stockage a été augmentée grâce à de nouveaux réservoirs.
Le diamètre du réseau est de 1000 pour leau brute et de 1100 pour leau traitée. Nous sommes passés de 50.000 mètres cubes par jour à 100.000 mètres cubes par jour.
Maintenant quil y a suffisamment deau, nous procédons aux branchements. Nous voulons étendre le réseau afin que le plus grand nombre de personnes ait accès à cette denrée. Cest ce que nous faisons avec le troisième Projet-Eau-Assainissement commencé il y a un an. Ce projet a été négocié à Washington à raison de dix-huit millions de DTS soit vingt-cinq millions de dollars US. Par ce financement, nous allons accroître le nombre de branchements sur la presquîle.
Q: Quand commence le troisième projet ?
R: Il a déjà commencé en ce sens que les négociations sont terminées. Les premiers lots du projet sont actuellement sur la table de négociations. Dans trois mois, nous allons lancer les premiers projets. Nous allons installer de nouveaux réservoirs et densifier le réseau. Grâce à ce projet, une bonne partie de Conakry va bénéficier de leau potable grâce aux branchements qui seront faits.
Q: La Guinée est considérée comme le château deau de lAfrique, envisagez-vous un jour dexporter de leau ?
R: Quand vous me dites que nous sommes le château deau de lAfrique, cela me ramène à mon enfance. Aujourdhui, leau est de plus en plus rare. Pas seulement chez nous mais partout dans le monde. Dans mon village par exemple je me souviens quil y avait un grand fleuve. Aujourdhui ce fleuve est à sec. Cet exemple pour vous dire que je suis pour le fait que les Guinéens se réveillent et voient la réalité en face. Nous ne sommes plus ce château de lAfrique tant vanté. Même si nous avons encore des avantages dans ce domaine par rapport à des pays comme le Burkina Faso, le Mali ou le Sénégal.
Il y a quelques mois, nous sommes partis à Siguiri pour linauguration de ladduction deau de cette ville. Là bas, jai saisi loccasion dun discours pour lancer un appel pressant aux populations pour la préservation de lenvironnement sans lequel il ny a pas de vie. Jai dit la même chose à Bamako, où on accusait les Guinéens dempêcher leau du Niger darriver. Nous sommes de ceux qui font tarir les lits des rivières en nuisant à la nature par les feux de brousse et la déforestation.
Je pense quaujourdhui, il est important de préserver cette nature qui est source de toute vie. Il faut au plus vite prendre les mesures qui simposent pour empêcher la destruction de lenvironnement.
Mon département soccupe de la répartition de leau. Il y a, à cet effet, une direction nationale de la gestion des ressources en eau chargée de répartir leau. Dans certains pays comme le Burkina Faso, il existe même un ministère chargé spécialement de leau. Il est grand temps de mettre en place un code de leau. Ce code facilitera les décisions à prendre sur la répartition de leau. Ainsi, selon les besoins, on donnera de leau à un secteur ou à un autre. Leau disponible pourra alors être répartie entre lagriculture, la production délectricité et la boisson.
Q: quel est votre message final pour nos lecteurs ?
R: Je leur dirai quavec la structure actuelle, nous avons un moyen sûr de venir en aide aux populations de la Guinée. Le combat contre la pauvreté passe inéluctablement par la distribution deau aux populations. Je parle de leau sous toutes ses formes : leau de boisson, leau pour lagriculture, leau pour la production délectricité.
Nous avons donc un grand défi à relever. Nous sommes prêts à collaborer avec le peuple américain pour léradication de la pauvreté à travers la distribution deau.