MADAGASCAR
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Interview de

M. Bruno de Foucault
Président du Groupement des Entreprises Franches et Partenaires (GEFP)

Pourriez vous nous dresser un bref bilan de la situation économique aujourd'hui ? 

J'aurai tendance à vous dire qu'aujourd'hui n'est pas le bon exemple, car on peut parler d'il y à trois mois ou de dans quatre mois. Mais aujourd'hui, nous sommes dans une période où il est assez difficile d'apprécier la situation parce que nous sommes dans le contexte des récents événements aux  USA et également en période électorale. Il est donc assez difficile de faire des prévisions.

Ceci dit, il est vrai que les taux de croissance dans le secteur textile ces dernières années ont été de l'ordre de 20% par an, ce qui est une performance remarquable compte tenu des infrastructures générales et du code général des affaires de Madagascar. Cependant, malgré les premières estimations plutôt optimistes, les attentats des USA ont un impact aujourd'hui qui semble être suffisamment important pour mettre certaines entreprises en difficulté. Sur la zone Océan Indien, la baisse des commandes provenant des USA est évaluée à 30%,  sur les 3 derniers mois. Nous sommes actuellement dans une période où les différents acteurs s'interrogent, et plus précisément les acheteurs, car eux même sont faces à des décisions qui sont documentées par des baisses de prix, provenant notamment de certains pays asiatiques, et puis d'autre part, par une mauvaise visibilité sur les ventes de la prochaine saison qui font qu'ils retardent aujourd'hui les ordres d'achat.

Ce qu'on peut dire de manière absolument certaine c'est que l'on a pris trois mois de retard sur les ordres et que ça tombe très mal car on était en pleine période de transition entre deux saisons, et donc certaines entreprises sont en situation délicate aujourd'hui.

A cela s'ajoute malheureusement le manque de possibilité de réaction des entreprises malgaches, qui est principalement  lié à deux choses: le taux de change et l'administration. Le taux de change étrangle les entreprises et l'administration n'a aucune réactivité pour accompagner la réduction des coûts des entreprises pour leur permettre de rester présentes dans la négociation des prix sur le marché international. Nous sommes actuellement dans ce cas de figure malheureusement. En ce qui concerne le futur, on espère que c'est un phénomène conjoncturel lié à des réflexes de prises de commande. Ceci dit les USA ont offert au Pakistan les même avantages dont bénéficie Madagascar, on aurait pu espérer pendant un temps que Madagascar allait récupérer les commandes adressées au Pakistan, ça n'est pas forcément faux, mais rien  ne permet de l'affirmer pour le moment. Alors tout le monde s'interroge. Cela se traduit par des réactions des chefs d'entreprises face à la sous charge de travail, dans un premier temps la prise de congés, donc certaines usines en ce moment épuisent leurs congés. Dans quelques semaines nous allons passer à du chômage technique, qui risquerait de se transformer en licenciements à horizon de fin janvier début février. Cela correspond à 6 à 8% de la zone franche aujourd'hui, qui au total représente 100 000 personnes. C'est peu mais on ne constate aucune réaction de l'administration malgache, probablement parce qu'aujourd'hui la priorité est donnée à la campagne électorale et non pas à l'industrie malgache.  

Quel est le rôle du GEFP et les projets sur lesquels vous vous concentrez actuellement ? 

Le rôle du GEFP est d'essayer de prévoir les problèmes qui vont se poser et d'aider les entreprises à mieux se comporter et réagir à ces problèmes. Et aujourd'hui nous n'avons plus d'interlocuteur car l'administration est absente, car elle a d'autres préoccupations que les problèmes des entreprises. Le risque, dans une période comme celle ci, c'est qu'une semaine de retard nécessite trois ou quatre mois à terme pour rattraper ce retard. Ce manque de réactivité de l'ensemble de Madagascar, que ce soit le secteur privé ou l'administration, va se traduire par une saison très nettement marquée par la baisse de volume ; et une saison correspond à six mois. Les acheteurs passent commande et nous livrons entre six et huit mois plus tard. Donc les six à huit mois qui viennent vont être très difficiles pour les entreprises textiles malgaches.

Vous venez de connaître une croissance spectaculaire, est ce que vous restez optimiste malgré ces facteurs ? 

Oui, on reste optimiste car Madagascar reste un pays intéressant pour l'investissement. Ce ne sont pas six mois de baisse d'activité qui vont entamer le capital confiance de Madagascar, mais cela peut avoir des effets induits importants. Le fait que la zone franche malgache aujourd'hui soit dans une phase difficile pourrait permettre à certains décideurs de mettre en avant l'argument que la zone franche est fragile ; cela serait très mauvais pour le développement futur de notre activité. Aujourd'hui, l'installation du doute face à ce que pourrait représenter la zone franche à horizon 5 ou 10 ans, passe par un jugement tout à fait conjoncturel qui, à terme, pourrait nuire au développement de la zone franche malgache. C'est une façon de voir les choses. Maintenant, il faut savoir également que les sociétés asiatiques provenant notamment du Sri Lanka, du Bahreïn, du Pakistan,  investissent actuellement sur Madagascar. Ce sont des gens qui maîtrisent parfaitement le secteur de la confection depuis des décennies, et c'est quand même rassurant de voir ces gens qui maintiennent leur confiance sur Madagascar dans les circonstances actuelles.

Le textile et la zone franche ont été le moteur de la croissance, quels autres secteurs pourraient permettre de pérenniser et accélérer cette croissance puisque 6,5% par an ne représente pas forcément un taux suffisant ?

Non, on sait aujourd'hui qu'avec un taux de 6,5% il nous faudra 30 ans pour récupérer le niveau de vie d'il y a 30 ans. Il est évident, à mon avis, que les malgaches n'attendront pas 30 ans pour mesurer une réelle amélioration de leur niveau de vie ou de leur pouvoir d'achat. Nous sommes donc condamnés à aller beaucoup plus vite que ça. Le problème du textile à Madagascar, c'est qu'il n'y a pas de vision partagée d'une stratégie pérenne pour rester sur le marché international, et il n'y a pas de vision sur la verticalisation qui est pourtant une nécessité absolue pour la survie du textile à Madagascar. Quand on connaît les règles de l'Africa Bill, dans 3 ans maintenant nous aurons des conditions d'origine que nous n'avons pas aujourd'hui, on a perdu un an face aux décisions qu'il faut prendre pour le futur.

Madagascar est un pays parfaitement adapté pour le textile. Le textile est traditionnellement le premier niveau d'industrialisation d'un pays, Madagascar a la chance d'avoir une main d'ouvre extrêmement habile et intéressante, mais cela ne suffit pas. Il faut se tourner vers d'autres secteurs qui sont créateurs de valeur ajoutée, puisqu'aujourd'hui, le seul véritable avantage comparatif de Madagascar par rapport aux autres pays, c'est le rapport qualité/prix de sa main d'ouvre. Il y a l'informatique au sens large, qui englobe le premier niveau, la saisie de données, mais également les niveaux supérieurs comme la fabrication de logiciels où les malgaches ont un fort potentiel. Il y a également tout ce qui concerne le graphisme, la digitalisation, la mise en forme d'informations. On se heurte à des problèmes sur lesquels les chefs d'entreprises ne peuvent pas accepter de butter. Par exemple, les douanes malgaches freinent l'expansion de ce secteur d'activité, tout simplement parce que les flux d'exportations ne sont pas matériels. Le contrôle des facturations à l'export leur pose donc problème. C'est ridicule. Il y a dix ans un des objectifs principaux lors de la création du régime franc, était la rentrée de devise car Madagascar en manquait crucialement. Aujourd'hui cela reste un de nos objectifs, mais ce n'est pas l'objectif principal. Aujourd'hui l'objectif principal c'est la création d'emploi, l'augmentation de la masse salariale distribuée, et puis c'est l'acquisition de savoir faire qui dépasse celui du textile, et l'informatique pourrait être un très bon créneau pour le développement malgache. Il y a également tous les métiers très consommateurs de main d'ouvre tels que les ont connus les Dragons du Sud Est asiatique il y a 15 ans. Il faut amener sur Madagascar ce qu'ils faisaient à cette époque, cependant le cadre général est bien adapté au textile aujourd'hui, mais il n'est pas forcément adapté aux autres activités.

L'environnement économique a beaucoup évolué, pensez vous que les schémas des Dragons du Sud Est asiatique soient reproductibles à Madagascar ?

Aujourd'hui, à part les nouvelles technologies, la production mondiale a toujours les mêmes structures. Bien sûr il y a des évolutions technologiques, mais on utilise toujours les mêmes types de produits, il faut bien les fabriquer. Vous avez certains pays, par exemple les Philippines qui ont su attirer d'autres choses que le textile. Maurice, malheureusement, a du mal a attirer autre chose que le textile. Il faut que Madagascar pense tout de suite aux secteurs dans lesquels vont muter la main d'ouvre à l'horizon de dix ans. Aujourd'hui je peux vous dire qu'il n'y a aucune réflexion commune. Il y a peut être une réflexion de l'administration et une réflexion du secteur privé, mais elles ne sont pas concertées, et ce phénomène est dramatique. Aujourd'hui, l'outil essentiel pour le développement économique de Madagascar, c'est le secteur privé ; cependant il n'y a pas d'information sur la vision de l'administration sur les 10 ou 15 prochaines années. Le vrai problème est donc l'absence de plan de bataille concerté, et partagé qui permette à tout le monde d'avancer dans le même sens.

Est ce qu'il y a eu par le passé des consultations ou des coopérations qui se sont soldées par un succès ? 

On a des consultations, mais malheureusement ça ne débouche sur rien de concret. Par exemple sur le sujet de la verticalisation du secteur textile, cela fait deux ans qu'on en parle. Cependant rien ne se fait. Quand on regarde le Programme National de développement du Secteur Privé, le PNSP ; c'est un document très intéressant mais il n'y a rien de fondamentalement important sur la vision à terme de l'industrie malgache. On parle de la zone franche, mais ce n'est qu'un régime fiscal, ce n'est pas une activité. C'est ce qui manque aujourd'hui, il faut des structures qui réfléchissent à horizon de 20 ans. 

Est ce que les bailleurs de fonds soutiennent les efforts du secteur privé ? 

Les bailleurs de fonds comprennent notre position, mais concrètement leur soutien ne se matérialise pas. J'irai même jusqu'à dire que les institutions internationales portent une lourde part de responsabilité dans ce qui se passe actuellement. Car c'est à eux de susciter cette réflexion. Nous avons trois entités, l'administration, les bailleurs de fonds et le secteur privé, et ces trois entités ne construisent pas ensembles. Elles n'ont pas de vision commune. Dans le textile à Madagascar, il faut quand même être conscient que nous avons créé 100 000 emplois en l'espace de dix ans. Soit 100 000 emplois ça ne représente rien  à l'échelle mondiale, mais à l'échelle de Madagascar, avec les années qui ont été vécues, je trouve que c'est quand même un certain encouragement. Le problème c'est qu'on a en face de nous une administration, à mon avis, qui reconnaît que le textile a aidé à l'amélioration de l'image internationale de Madagascar, mais à la limite on peut se demander s'ils veulent vraiment du textile à Madagascar. A mon avis ils n'en veulent pas. Le textile n'est pas suffisamment noble pour Madagascar, c'est un peu ce que je ressens. On préférerait aller vers la création d'une usine qui ferait du montage de véhicules, ou bien vers les nouvelles technologies. Mais lorsqu'on connaît la position géo-économique de Madagascar, on peut s'interroger sur l'opportunité d'imaginer que demain Madagascar pourrait être un fabricant mondial d'automobiles. 

Sur quels atouts Madagascar devrait jouer actuellement ? L'agro-industrie d'abord ? 

Sans aucun doute. D'abord je crois qu'il faudrait favoriser encore la croissance du textile, parce que c'est la première étape de l'industrialisation,  et son intérêt est considérable, car il y a  un apprentissage de la discipline, du délai, et de la qualité qui sont des éléments importants à intégrer. De plus nous avons des marchés et encore la possibilité de prendre des parts de marché. La verticalisation jusqu'à la plantation du coton pourrait permettre aux entreprises malgaches de mieux réagir sur le marché, car une intégration verticale permettrait des économies d'échelle, permettrait des coûts plus intéressants et des marges, donc de la valeur ajoutée nationale, plus intéressantes pour nous.

D'autre part, il est évident que l'avenir de Madagascar ne se situe pas dans le textile et dans la zone franche. En revanche, il se situe sans aucun doute, dans tout ce qui gravite autour de l'agriculture. Il y a deux façons de voir ce problème. La première est l'exportation de produits de rentes comme la vanille, le girofle, le café en l'état. La deuxième est d'essayer d'utiliser cet avantage comparatif de l'agriculture à Madagascar pour y appliquer de la valeur ajoutée et pour exporter de la valeur ajoutée, et là l'agro-alimentaire a un énorme potentiel. Cependant ce potentiel est d'autant plus difficile à exploiter qu'il nécessite des infrastructures communes. Le secteur privé ne peut pas prendre la responsabilité d'aménager les créneaux d'évacuation des produits. Aujourd'hui lorsque vous prenez la production des letchis, même en tant que produit de rente exportés tel que, vous avez environ 80% de la production qui reste sur pieds, faute de moyens d'exportation. Certes, le secteur privé pourrait développer des produits à valeur ajoutée, mais tant qu'il manquera des routes pour évacuer les produits, et des infrastructures comme l'électricité et l'eau pour transformer sur place les produits, comment voulez vous intéresser des investisseurs potentiels ? 

Quelles mesures vous paraîtraient nécessaires et prioritaires ? Un allégement de la pression fiscale ?

Il faut que nous arrivions à comprendre que les investisseurs qui pourraient s'intéresser à Madagascar, ne le feront que sur la base d'un retour sur investissement rapide. Ils ne sont pas là pour faire du social ou aider Madagascar, ils sont là pour de l'argent. C'est le premier point. Ce qui veut dire que compte tenu des contraintes dont nous venons de parler au niveau logistique, il faut donner autrement à ces investisseurs la possibilité de faire de l'argent. Cela ne peut se faire que par l'aménagement du cadre fiscal. Prenons l'exemple dans le textile des investisseurs Sri Lankais ou Chinois qui passent évaluer les besoins en filature et  en tissage ; ces gens comprennent que le taux de croissance de la zone franche peut motiver un investissement, mais quand on leur offre un  cadre dans lequel les avantages fiscaux sont sur une période de 5 ans, cela ne leur suffit pas. Pour avoir un retour sur investissement pour une usine textile, dans un contexte fiscal moyen général, il faut compter entre 15 et 20 ans. Alors comment voulez vous qu'ils puissent s'intéresser à Madagascar quand on leur offre des avantages sur 5 ans ?

Il faut également que les questions en suspens concernant le foncier soient définitivement réglées. On ne peut pas envisager de faire une plantation de coton ou une usine de tissage à Madagascar sans que le foncier ne soit absolument sécurisé. Il faut commencer par là. Tout d'abord donner une garantie sur le foncier, puis mettre en place un cadre réglementaire qui permettent aux investisseurs de s'assurer sur une période au moins égale à leur retour sur investissement, et en plus de ça offrir des avantages fiscaux garantis dans le temps. Il y a 2 ans on a invité les investisseurs, et une fois installés on a ajouté une TVA à 20% . Il faut donc que ce cadre soit garanti par l'administration.

A cela s'ajoutent d'autres problèmes, tels que la difficulté d'obtenir les visas de séjour et permis de travail. Dans la loi, cela prend un mois à partir de l'agrément en zone franche, mais certains expatriés attendent depuis 7 mois encore. L'agrément est supposé être accordé en un mois, mais certaines entreprises attendent depuis 1 an voire plus. Ca ne peut pas fonctionner comme ça. Il faut commencer par respecter la législation qu'on a mis en place, car cela génère de la part du secteur privé, des réflexes d'autodéfense. Donc, les sécurités qui sont prises dans les business plans sont encore plus importantes.  Au lieu d'avoir un plan qui prévoit un retour sur investissement en 7 ou 8 ans, à Madagascar il va se traduire en 10 ou 15 ans. 

Quel message souhaitez vous adresser aux investisseurs ?

Si je devais synthétiser ce que j'ai dit, pour moi Madagascar est un pays d'avenir dans lequel on peut gagner de l'argent. La clé est entre les mains du secteur privé. Donc soit il est capable de se fédérer et de produire ce qui lui est nécessaire, soit il ne faut pas investir. J'ai parlé beaucoup de l'administration, mais le secteur privé porte une lourde part de responsabilité dans ce qu'il se passe. Quand un investisseur attend 7 mois son visa de séjour et que ça se transforme en un bakchich de quelques centaines de milliers de francs, c'est une énorme responsabilité que prend le secteur privé. La logique voudrait que les investisseurs n'acceptent pas qu'ils puissent attendre 7 mois pour avoir un visa. Aujourd'hui, les investisseurs l'acceptent parce qu'ils ont un petit bakchich à la clé et puis voilà. Cette attitude est suicidaire. 

Note: World Investment News Ltd cannot be held responsible for the content of unedited transcriptions.

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© World INvestment NEws, 2002.
This is the electronic edition of the special country report on Madagascar published in Far Eastern Economic Review.  March 28 th, 2002 Issue.
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