MADAGASCAR
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V.I.P. INTERVIEWS
Mr Hafez Ghanem

Interview de:

M. Bertrand Coûteaux
Secrétaire Général du Groupement des Aquaculteurs et Pêcheurs de Crevettes de Madagascar (GAPCM)

Pourriez vous nous présenter le GAPCM ? 

Le GAPCM ou Groupement des Aquaculteurs et Pêcheurs de Crevettes de Madagascar a été créé en 1995 sous l'impulsion  conjointe, des professionnels de la filière, du Ministre d'Etat chargé de la Pêche de l'époque, de l'Agence Française de Développement  (AFD), dans une conjoncture assez mauvaise, caractérisée par une absence de visibilité à terme sur les ressources et beaucoup d'interrogations. Le GAPCM est l'interlocuteur du ministère de tutelle. Aidé par l'AFD, il s'est structuré puis s'est lancé dans des études et actions pour améliorer la connaissance et la visibilité  du secteur.  

Quel est le bilan aujourd'hui ? 

Aujourd'hui, après 6 ans d'existence, tout ce qui a été entrepris dans le secteur de la pêche crevettière l'a été à l'initiative du groupement. Il s'est doté à terme de moyens avec des cotisations qui sont les plus élevées de toutes les organisations professionnelles du pays. Nous avons géré également des subventions de l'AFD, non pas pour nous même, mais pour réaliser des projets, qui nous ont permis d'intervenir dans beaucoup de domaines. Nous avons financé des recherches biologiques pour évaluer la ressource crevettière, des recherches socio-économiques et anthropologiques pour chercher à comprendre la situation de la pêche traditionnelle. En effet, on constate actuellement d'énormes flux migratoires des régions rurales pauvres vers la richesse que constitue la crevette.  Nous avons financé une importante étude économique et  pour la première fois nous sommes entrés dans les bilans et les comptes de résultats des entreprises afin de cerner la réalité du secteur qui jusqu'à présent n'était pas connue. On avait droit auparavant à des chiffres fantaisistes. Ceci a débouché sur la mise en place d'un véritable observatoire économique des pêches à Madagascar. Nous avons financé beaucoup d'études, dans le domaine des infrastructures portuaires par exemple, et presque dans une vingtaine d'orientations différentes. Tous les problèmes qui se posent directement ou indirectement au secteur sont étudiés afin de trouver dans la mesure du possible des solutions concrètes. Nous allons par exemple travailler sur l'environnement pour mettre en place une politique d'écocertification (ou d'ecolabelling pour les anglo-saxons) en partenariat avec WWF et Marine Stewardship Council, une institution basée à Londres, créée autrefois conjointement entre le WWF et un groupe industriel qui s'est depuis retiré, bref des personnes qui se sont posé la question de savoir comment dans l'avenir donner aux consommateurs des assurances en matière de protection de l'environnement. On espère obtenir d'ici 1 à 2 ans, un label d'écocertification pour la crevette de Madagascar.

Où en est la pêche crevettière: ressources, exploitation? Y a -t-il un risque d'épuisement ?

Globalement, les efforts entrepris permettent de penser que nous n'avons pas de souci majeur pour la ressource, contrairement à ce qui se passe en Europe ou dans d'autres pays du monde, ou d'ailleurs dans beaucoup de pêcheries du monde.

L'effort de pêche est à peu près stabilisé avec parfois des poussées de fièvre. Les échéances politiques locales sont souvent l'occasion d'en avoir une, mais en gros c'est convenable et satisfaisant. A terme et à moyen terme nous ne sommes pâs trop inquiets.

Pourriez vous nous donner quelques chiffres sur ce que représente le secteur ?

8 600 t de captures de pêche industrielle et artisanale, 5900 t de crevettes d'aquaculture. Le tonnage de la pêche n'augmentera plus maintenant car on est arrivé au niveau maximum. Par contre, dans l'aquaculture, on atteindra 10 000 t dans les 2 années qui viennent et 20 000 t dans un horizon de 5 à 10 ans. Je pense qu'il est imprudent d'évoquer d'autres projections en matière d'aquaculture comme certains le font.

Ce qui représente environ quelle part dans l'économie malgache?

Actuellement, la pêche et  l' aquaculture représentent 100 millions de dollars de chiffres d'affaires, à Madagascar et non pas à l'étranger où tout est vendu. Environ 10 000 emplois directs  et au total 40 000 emplois induits dans les activités de la filière.

Est-ce qu'il y a dans ce secteur une part  informelle importante ?

C'était tout le secteur de la pêche qui était confronté auparavant à ce problème. C'est pourquoi l'essentiel des actions que nous avons menées avec l'administration et les bailleurs de fonds a consisté à mettre en place une pêche responsable et durable, un système d'octroi de licence transparent, non discrétionnaire et compétitif. Ces trois adjectifs résument tout le problème. Je pense que nous y sommes arrivés peu ou prou avec des petits incidents. C'est ce que bon nombre de pays n'ont pas réussi à faire. On est passé par la mise en place d'une politique de droit  de pêche, les anglo-saxons parlent de "Fish Rights" et c'est basé sur le concept de "no right, no responsibilities". Si vous voulez avoir une certaine sécurité, une visibilité à long terme, pratiquer une pêche responsable il faut acquérir des droits de pêche, il faut payer des redevances et en vertu de quoi vous pouvez être défendu et sécurisé. Il  y a maintenant des licences de 20 ans transférables, cessibles. Les redevances sont calculées chaque année sur la base d'appel d'offres. On a pu ainsi avoir des retombées économiques extrêmement positives pour l'État. Actuellement, pour l'année 2000, l'État a pu récupérer 23% de la valeur ajoutée directe contre 10% en 1996. Rien que les licences représentent 11% de  la valeur ajoutée directe. Les effets directs pour l'État (taxes et licences) représentent pas moins de 10% des produits de la pêche estimés à environ 55 millions de dollars. Je n'ai pas parlé d'aquaculture mais de la pêche, cela vous permet d'avoir une idée des retombées de la politique que nous avons menée depuis quelques années.

Ce chiffre est bien en dessus de la moyenne mondiale. Avant, on nous accusait de ne pas avoir des retombées économiques, maintenant elles sont largement supérieures à la moyenne.

Est-ce qu'il  y a de la place pour de nouveaux opérateurs ?

Dans la pêcherie crevettière, non, à moins qu'on procède à des rachats au travers de la vente de licences, de partenariat dans l'actionnariat mais si vous parlez en terme de bateaux, non. A terme, la question posée sera comment diminuer l'effort de pêche. Ce sont des questions qui se posent dans toutes les pêcheries du monde. Même, si nous avons réussi à stabiliser l'effort de pêche, à bien gérer les ressources à terme, nous savons qu'il  y a une règle dans les pêcheries mondiales c'est que l'efficacité de pêche augmente d'année en année par les moyens de détection acoustiques, l'amélioration des bateaux et du savoir faire des capitaines. A nombre de bateaux constant si l'efficacité de pêche augmente, l'effort de pêche augmente. Il faudra donc tôt ou tard réduire l'effort de pêche, en agissant par exemple la période de pêche, la taille des mailles de chaluts, le nombre de bateaux. Nous savons maintenant qu'à court terme, nous allons être confrontés à la réduction de l'effort de pêche.

Combien de licences de pêches sont attribuées aujourd'hui ?

75 licences industrielles et 36 artisanales. Il faut rajouter l'effort de la pêche traditionnelle en pleine croissance,  en raison des migrations engendrées par la pauvreté en milieu rural. Ce sont des migrations opportunistes comme celles qu'on retrouve pour le saphir et la vanille. Elles ne sont pas sans inconvénients sur les ressources naturelles, l'environnement mais aussi elles engendrent des conflits avec les communautés littorales autochtones. Ce sont les mêmes phénomènes anthropologiques que pour le saphir avec l'irruption de l'argent, la prostitution, la dégradation de l'environnement, l'affaiblissement des pouvoirs coutumiers. La crevette est considérée par ces migrants comme un moyen d'avoir des revenus alternatifs, saisonniers.

Quelle est la part de production consommée localement  et exportée ?

Pour la pêche industrielle, presque toute la production est exportée. Madagascar n'a pas la capacité d'absorber la quantité produite et de répondre aux prix du marché international qui se situent autour de 10 dollars le kilo. Il convient de s'assurer que les retombées économiques au niveau national et régional soient satisfaisantes: retombées par l'investissement ou le réinvestissement à Madagascar, à terre avec les usines de transformation, l'aquaculture, la création d'emplois, et retombées sous  forme de la fiscalité et des redevances qui sont maintenant très significatives.

Comment se porte le cours mondial de la crevette ?

La crevette est un produit festif et les événements du 11 septembre sont en train d'accélérer un effondrement des cours déjà amorcé depuis un an. Mais il  y a aussi des raisons très compliquées. L'offre n'est pas directement influencée par la pêche qui est stable ou en voie de récession d'une manière générale, dans le monde, mais plus par les résultats de l'aquaculture. Celle-ci s'est rapidement développée notamment dans les pays asiatiques et d'Amérique latine, mais a connu par les excès de développement des crises brutales provoquées par des maladies. On l'a vu en Inde, en Thaïlande. C'est ce qu'on cherche à éviter à Madagascar en développant un modèle propre.  Ces accès de fièvre se traduisaient par des baisses régulières de l'offre qui permettaient aux cours de se maintenir.
En gros, vous devez avoir 4 millions de tonnes de marché international, dont environ la moitié sont fournis par l'aquaculture. Les problèmes de l'aquaculture de ces 5 dernières années ont été en partie résolus par la production de plus petites crevettes.  Il y a maintenant un afflux de crevettes de petites tailles qui sur le marché international font effondrer  les cours. Cette situation influe notablement sur le marché de la crevette. Les événements du 11 septembre ont accru l'inquiétude des consommateurs et des marchés. Il y a des stocks (invendus) importants dans le monde  qui ne trouvent pas preneur et les cours s'effondrent. Cette évolution peut être considérée comme très préoccupante.

Comment est placée la crevette malgache sur le marché mondial ?

On a la chance qu'elle soit très appréciée et qu'elle soit la plus cotée sur le marché (pêche, aquaculture). Les entreprises sont aux normes internationales, même largement au-dessus. On a un très haut standard de qualité.

En aquaculture, on peut prétendre que c'est une des meilleures au monde, en particulier du point de vue protection de l'environnement. Ce sont des modèles à faible densité d'élevage, les crevettes trouvent un appoint nutritionnel conséquent dans le milieu naturel. Jusqu'à présent, la crevette d'aquaculture malgache est mieux cotée que la crevette de pêche.  Elle est très appréciée pour son goût , par sa qualité et  aussi pour les garanties qui l'accompagnent. Pour l'instant le modèle malgache s'est préservé de toutes les vicissitudes de l'élevage qu'on a connues en Europe ou qu'on connaît en Asie,.  On fait au niveau de l'association, tout le travail nécessaire pour préserver cet avantage. Nous allons vers l'écocertification, des labels bio qui donnent aux consommateurs toutes les garanties nécessaires. On a intérêt à prendre de l'avance, car dans ce domaine cela nous permet de conserver des niches de marchés très intéressantes.

La pêche fait partie des espoirs de développement de Madagascar ?

Il faudrait demander au Ministère de la Pêche. Je ne dirais pas que les retombées économiques  sont faibles mais les ressources sont mal exploitées. Les ressources thonières sont exploitées notamment par la flotte européenne et la flotte asiatique. Mais, il ne semble pas qu'il y ait réellement d'autre grosses potentialités à l'exception des espèces telles que le calmar dont regorge semble-t-il le canal du Mozambique. Mais cela suppose des campagnes de prospection, d'écho-intégration coûteuses.

Qui délivre les licences, l'État ou le groupement ?

Non, c'est seulement l'État par le Ministère de la Pêche. Mais on peut dire que nous co-gérons la pêcherie de crevettes. Tous les armateurs et aussi ceux de l'aquaculture pèsent de tous leur poids dans les discussions pour arriver à un développement durable et responsable du secteur.

Il y a actuellement un gel des licences à Madagascar. Mais même si on devait en octroyer, ce serait par le biais d'appel d'offres internationaux.  Il n'y aura pas de licences offertes à moins que des sociétés soient en faillite ou qu'elles ne respectent pas la loi et que l'État leur retire les licences. Il ne s'agit pas de protectionnisme, mais il serait aventureux de délivrer des licences de pêche alors que les scientifiques affirment qu'on rentre dans une phase de surexploitation économique. Tout accroissement de l'effort de pêche se traduira par une destruction de richesses, au sens  économique du terme.

Comment qualifieriez vous vos relations avec les institutions de Bretton Woods, dans quelle mesures apportent elles leur soutien à l'effort de développement  du secteur?

 Elles sont bonnes. Nous sommes en fait aller chercher leur aide une fois notre diagnostic établi. Notre démarche de base a été: développer les connaissances pour mieux comprendre, pour mieux gérer. Nous avons financé les recherches, des études économiques. Ensuite, nous avons requis un comité de sage qui a fait un diagnostic sans complaisance du secteur, que ce soit sur le privé ou l'administration.  Une conclusion s'est clairement imposée à tous: seule l'introduction d'une réforme sectorielle dans l'ajustement structurel, qu'on appelle maintenant le programme de réduction de la pauvreté, soutenu précisément par les institutions de Bretton Woods, était à même d'avoir la force nécessaire pour vaincre les réticences, qu'elles soient privées ou administratives, en vue d'obtenir une gestion transparente, non discrétionnaire et compétitive, durable et responsable du secteur. C'est vrai qu'un tel processus n'est efficace qu'à condition qu'elles acceptent, ce qu'elles ont encore du mal à faire, de travailler avec le secteur privé. Pour nous, il faut une discussion tripartite qui est seule à même de résoudre convenablement les problèmes. Et nous y sommes parvenus.

Quelle sera la prochaine étape ?

Il nous reste énormément à faire afin de stabiliser la pêcherie, d'assurer la prospérité de tous. On dit souvent que le secteur privé est le moteur du développement mais il faut sécuriser les investissements, s'intégrer dans l'économie régionale. Il faut que tout le monde joue le jeu, et l'État et nos membres. C'est du donnant-donnant. La visibilité, la prospérité à long terme de nos entreprises dépend aussi de leurs efforts. C'est avant tout cela qui leur permet d'être exigeantes vis à vis de l'État pour avoir la sécurité et la protection nécessaires, pour assurer leur prospérité.

Qu'est-ce qui permettra à l'environnement économique d'être plus favorable à un investissement ? 

Entre autres, l'élaboration de lois dans une concertation franche, permanente et d'une manière transparente, non pas avec quelques membres du secteur privé, mais avec leur représentation. Il faut ensuite les appliquer. Naturellement, on peut faire des lois qui vont favoriser des concurrents par rapport à d'autres.  Mais le mieux placé en matière de développement reste le secteur privé. Il ne faut pas lui donner entièrement la parole mais en faire un partenaire à part entière.

Est-ce qu'il  y a encore des opportunités d'implantation pour des usines de traitement, de conditionnement dans le secteur de la crevette ?

Il reste de nombreuses possibilités dans le développement de l'aquaculture. Tant au niveau de la pêche que de l'aquaculture, je suis convaincu, que compte tenu des avantages comparatifs à Madagascar et la manière dont on a maîtrisé le problème de la qualité et de sécurité sanitaire, il  y a de la place pour le développement de produits à valeur ajoutée.  Avec tous les concepts nouveaux sur le marché, notamment de commerce équitable, de produits biologiques, de produits éco-certifiés, il  y a encore un énorme travail à faire. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants.

Demain, c'est à dire d'ici 5 ans, la plupart des marchés auront imposé ces concepts. Nous, essayons de prendre de l'avance, nous avons la chance de pouvoir le faire, car nous sommes peu nombreux, et nous en avons les moyens. On peut obtenir l'écocertification. Nous essayons d'élaborer ces concepts avec beaucoup d'exigence, avec des organismes certificateurs internationaux. Pour avoir toutes les garanties, nous adoptons une démarche  sans complaisance afin d'être leader dans ce domaine sur le marché.  C'est dans l'intérêt des armateurs qui ont fourni de gros efforts, y compris en changeant de comportement. Il faut bien qu'ils soient récompensés. C'est le marché qui va le faire.

Quel conseil donneriez vous aux investisseurs étrangers intéressés par ce secteur ?

De croire aux vertus des associations professionnelles même si elles ne sont pas toutes aussi structurées. Madagascar n'est peut-être pas un eldorado mais il n'y a pas beaucoup de pays qui connaissent des perspectives de croissance telles que celles que Madagascar entrevoit avec les programmes d'ajustement structurel et de réduction de la pauvreté. Il y a des perspectives séduisantes pour l'investissement d'une manière générale et dans l'agro-alimentaire en particulier. Les organisations professionnelles peuvent contribuer à orienter et sécuriser leur secteur. Nous l'avons démontré.

Note: World Investment News Ltd cannot be held responsible for the content of unedited transcriptions.


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© World INvestment NEws, 2002.
This is the electronic edition of the special country report on Madagascar published in Far Eastern Economic Review.  March 28 th, 2002 Issue.
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