INTERVIEW REALISEE AVEC MONSIEUR MOSTEFAI
ET MADAME SAMMARI
BANQUE MONDIALE
Pouvez-vous nous présenter la Banque
Mondiale?
Monsieur Mostefaï
Les relations de la Banque Mondiale avec l'Algérie
ont commencé dans les années 60.
Ces relations ont été très
fluctuantes et liées à un certain
nombre de facteurs, le plus souvent les financements
de l'Algérie, les personnalités,
les programmes
Mi-1990 fut une période assez marquante
par la mise en place d'un programme d'ajustement
structurel à l'issue de la crise que l'Algérie
avait connue. Il s'agissait du programme d'ajustement
structurel des relations avec le FMI, un processus
assez difficile par lequel l'Algérie est
passée, et grâce auquel elle a pu
restaurer tous ces grands équilibres économiques.
A partir de 1998-1999, il y a eu un changement
massif dans la nature des relations, l'Algérie
retrouve ses équilibres macro-économiques,
la balance des paiements commence à s'améliorer,
et on assiste en même temps à une
ouverture plus grande sur des questions de développement
plus stratégique. L'Algérie s'intéresse
moins à l'aspect financier et à
la réduction des déséquilibres,
qu'à comment assurer une reprise de la
croissance et du développement. Il y a
un désir encore plus marqué de la
Banque Mondiale pour intervenir en partenaire
de long terme avec l'Algérie. On peut remarquer
une évolution aussi du côté
de la Banque Mondiale, un changement d'attitude,
des relations avec les clients. Il ne s'agit plus
de la Banque en tant qu'établissement donneur
de leçons, ou émetteur d'adjonction.
C'est une banque qui essaye d'agir en partenaire
avec ses clients et le pays.
On espère que la relation soit plus constructive
et qu'elle évolue avec le temps, avec une
capacité d'écoute plus grande, un
désir de participer, de dialogue, de consultations
avec les sociétés civiles. Grâce
à ces changements et au développement
d'un certain nombre de projets d'assistance technique,
on a connu, au début des années
2000, un climat relativement favorable pour pouvoir
décider de travailler en partenaire. L'Algérie
s'intéresse à cet esprit de savoir-faire,
à cet aspect de transfert de connaissances,
de conseils plus qu'à l'aspect purement
financier. En 2001 il a été décidé
que la Banque Mondiale serait présente
en Algérie. Je suis donc en Algérie
depuis janvier 2002 et ma collègue, madame
Sammari travaille pour la SFI depuis septembre
2002.
Madame Sammari
La SFI (Société Financière
Internationale) est l'institution financière
au sein de la Banque Mondiale qui prend en charge
le développement du secteur privé.
L'Algérie a joint la SFI récemment,
c'est-à-dire en 1990. La mission de la
SFI est de promouvoir le développement
du secteur privé à travers plusieurs
axes : développement du marché financier,
assistance aux PME, assistance au développement
de l'environnement des affaires
En Algérie
en particulier, nous sommes intervenus pour la
première fois en 1992 avec un projet dans
le gaz industriel. Il s'agissait d'un prêt
direct que la SFI a fait dans un projet de joint-venture
entre des investisseurs français, américains
et la SONATRACH, qui est une société
étatique mais qui, dans ce cas précis,
avait une minorité dans le capital de la
compagnie.
Ensuite, du aux événements dramatiques
de 1991-1992 qu'a traversé l'Algérie,
la SFI a été absente de la scène.
Notre retour s'est fait dans les années
1997, cette fois-ci axé sur le secteur
financier qui est un secteur clé dans le
développement du secteur privé.
Notre premier investissement dans le secteur financier
s'est fait à travers l'accompagnement et
la prise de participation dans le capital d'une
banque qui est une des premières banques
joint-ventures étrangères algériennes
c'est L'ARAB BANKING CORPORATION ALGERIE. Nous
avons ensuite accompagné une deuxième
banque qui est aussi un partenariat entre une
banque internationale, la SOCIETE GENERALE, et
un groupe d'investisseurs algériens. Nous
avons continué notre action en direction
du secteur financier à travers l'investissement
dans une petite banque d'affaires qui s'appelle
ALGIERS INVESTMENT PARTNERSHIP (AIP) dont le but
est d'accompagner le gouvernement dans le conseil
à la privatisation, ce qu'elle commence
à faire très bien en Algérie.
Nous avons également accompagné
le privé dans ses besoins en restructuration
de mobilisation de financement. C'est une banque
que nous avons aidé à établir.
C'est une société de conseils dans
laquelle nous avons un investissement. Le quatrième
investissement dans le secteur financier, investissement
clé pour nous, est une société
de leasing privée. En général,
l'action de la SFI n'est pas simplement un investissement
pur. Nous accompagnons et participons à
l'amélioration de l'environnement régulatoir,
fiscal
etc. Dans le cadre de cette quatrième
société qui s'appelle ARAB LEASING
CORPORATION (ALC), qui est la première
société de leasing en Algérie,
nous avons également participé à
l'élimination des obstacles au développement
du leasing tels que des obstacles fiscaux. Nous
avons donc travaillé avec les associations
de banques et les établissements financiers,
le Ministre des Finances, avec d'autres banques
afin de changer quelques éléments
dans les lois qui rendaient le leasing non compétitif
comparé à la banque traditionnelle.
Après cette élimination des contraintes,
la Banque s'est établie l'année
dernière, et commence maintenant à
servir les PME à travers des contrats de
baux financiers.
Nous avons également agit sur d'autres
plans différents de la vocation de la SFI
qui est surtout d'intervenir dans le plus long
terme à travers les prêts ou les
prises de participation. En Algérie, nous
avons également placé un instrument
à plus court terme, un instrument de crédit
documentaire, qui est une ligne de confirmation
des crédits documentaires qui s'adressent
à plusieurs banques algériennes.
C'est une ligne de garantie des confirmations
de la BNP PARIBAS des crédits documentaires
qui sont ouverts par plusieurs banques algériennes.
C'est un montant assez important de 40 millions
de dollars. Nous avons agit auparavant sur des
investissements plus petits parce que les institutions
financières ont de plus petites bases de
capital. Mais c'est l'aspect catalyseur qui est
le plus important. L'apport d'un partenaire technique,
le montage financier, le nom de la SFI, la crédibilité.
Dans ce cas, l'investissement était plus
gros, 40 millions de dollars total dont bénéficieraient
les PME algériennes. Nous avons déjà
signé un accord avec deux banques algériennes
qui vont pouvoir bénéficier de cette
garantie de confirmation de crédits documentaires.
Notre action dans le secteur financier ne s'arrête
pas là : nous sommes intéressés
par le développement de nouveaux produits,
le leasing a été pour nous une première
mais aussi pour l'Algérie. Nous proposons
aussi d'autres produits qui sont plus adaptés
au financement des PME et qui ne demandent pas
de grosse garantie tels que le factoring, la garantie
des prêts bancaires. Ce sont des produits
que nous allons explorer notamment à travers
un programme d'appui aux PME que nous venons de
mettre en place.
En ce qui concerne le côté non financier
: l'investissement dans ELIOS est pratiquement
en stade final. Nous avons aussi essayé
de soutenir un projet sur lequel nous avons beaucoup
travaillé qui s'appelle ALDAF, en partenariat
avec Pierre Fabre qui est une société
française et SAIDAL, société
pharmaceutique. Nous avons signé les accords
d'investissement mais malheureusement le décaissement
ne s'est pas fait à cause de toutes sortes
de polémiques entre les investisseurs,
les partenaires étrangers et le gouvernement
sur les points administratifs, sur les exemptions
de certaines motivations financières
C'est
donc un projet qui n'a pas abouti.
Nous explorons à présent plusieurs
secteurs. Nous avons approuvé un investissement
dans un projet de ciment, premier projet privé
de ciment en Algérie. Nous sommes en train
d'étudier un grand projet d'investissement
de sidérurgie, il s'agit d'une privatisation
et reprise d'une société étatique.
Ce sont les deux projets actifs sur lesquels nous
sommes en train de travailler et qui vont mener
très prochainement à un investissement.
Du côté agro-alimentaire et autres
secteurs, nous sommes en train de discuter avec
des privés algériens, car jusqu'ici
la SFI est surtout intervenue auprès de
partenaires étrangers. Nous commençons
à connaître notre secteur privé
qui représente des avantages, tels que
la connaissance du marché, et qui a un
désir de sophistication et de recherche
de standards plus internationaux.
Nous sommes aussi intéressés par
la restructuration du secteur bancaire. La SFI
a participé à quelques privatisations
de banques. Des discussions sont en cours pour
analyser les interventions de la SFI dans ce secteur.
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Pouvez-vous nous parler davantage de la restructuration
des banques?
Monsieur Mostefaï
Nous avons deux grandes catégories d'opérations
: les opérations de financement relativement
classique dans le domaine des infrastructures
et des investissements. Cela concerne des routes,
des programmes de logements, des programmes d'urgence
suite à des catastrophes naturelles. L'autre
catégorie s'est développée
depuis deux ans à la suite de l'évolution
de notre dialogue et se traduit par des projets
en assistance technique financés par la
banque qui a la volonté de se concentrer
sur les aspects de stratégie dans divers
secteurs tels que l'énergie, les télécommunications,
les transports, tout ce qui est crédit
hypothécaire, mise en place ou modernisation
des systèmes budgétaires ou des
systèmes de paiement interbancaires.
Actuellement nous engageons un dialogue dans plusieurs
directions dans le secteur hydraulique. Une demande
forte étant exprimée par l'Algérie
pour améliorer la stratégie dans
ce secteur de façon très large quelques
soient les sources d'eau ou les formes d'utilisation
de l'eau.
Nous essayons aussi de voir comment les politiques
actuelles permettent de faire face à la
crise du logement. Pour le secteur financier,
une réflexion est engagée avec nos
collègues de la SFI et le ministère
des finances pour aider à faire avancer
la réforme du secteur bancaire. C'est un
dossier qui a été reconnu depuis
un certain temps. Des progrès ont été
réalisés. Une opération d'assainissement
des banques a été faite il y a environ
2 ans. Il y a eu des modifications dans la gestion
des banques publiques et des progrès ont
été réalisés en la
matière.
Le gouvernement va engager une seconde vague de
réformes qui va concerner des privatisations
et des interventions plus importantes du secteur
privé et les banques. Une réflexion
est aussi menée sur la façon dont
la concurrence peut s'accroître et comment
les nouveaux produits peuvent se développer
pour permettre au secteur bancaire d'appuyer les
efforts de croissance dont l'Algérie a
besoin. C'est un dossier compliqué. Des
travaux sont en cours. Mais pour les partenaires
algériens il est de la première
importance.
Et en ce qui concerne l'agriculture?
C'est un secteur qui a la chance de bien marcher
par lui même. L'Algérie a connu une
croissance ces dernières années
grâce à l'agriculture.
Nous n'avons pas été totalement
absents de ce domaine, mais nous l'avons abordé
sous l'aspect de création d'emplois dans
le secteur rural. Mais lorsqu'il y a des besoins
qui peuvent apparaître, des endroits où
il y a des crises, des priorités existent.
La banque n'a ni la capacité ni la prétention
de vouloir intervenir partout. Mais la croissance
dans le secteur agricole a quand même été
relativement importante en Algérie.
Pouvez-nous parler de votre parcours professionnel?
Madame Sammari
J'ai passé une maîtrise de langues
en France, ensuite je suis allée au USA
pour continuer mes études d'anglais. Ensuite
j'ai passé un MBA en finance, et je suis
rentrée à la SFI il y a 8 ans. J'ai
fait mes débuts en tant qu'analyste financière
en Afrique pendant trois ans. Ensuite, toujours
au sein du groupe de la Banque Mondiale, j'ai
passé deux années dans la troisième
institution de la Banque Mondiale (la BIRD) en
tant que chargée de garanties dans l'agence
de garantie des investissements dans la région
Asie, Pacifique
etc.
Ensuite j'ai commencé à travailler
à la SFI en tant que chargée des
investissements dans le secteur financier, au
Moyen Orient et en Afrique et en particulier en
Algérie. Récemment la SFI s'est
focalisée sur les PME et a décidé
de mettre en place en Afrique du Nord un programme
spécifique de développement des
PME qui couvre l'Algérie, le Maroc et l'Egypte.
C'est un programme que nous avons déjà
fait à travers le monde dans d'autres pays
qui a eu beaucoup de succès notamment au
Vietnam, dans la région du Laos et dans
les Balkans. Je dois mettre en place ce programme
en Algérie pour lequel je suis arrivée
début septembre et qui va apporter un appui
technique aux établissements financiers.
C'est un programme ciblé en matière
d'évaluation du risque PME, montage de
dossier, tout ce qui est pointu en terme de financement
des PME car il n'y a pas encore en Algérie
de culture d'évaluation de risque par dossier.
Quant aux nouveaux produits, nous sommes en brain
storming pour décider quels produits nous
allons lancer. Nous travaillons aussi avec les
associations d'affaires pour le service aux PME,
renforcement des prestataires de services et du
consulting surtout pour des diagnostics avec les
PME, conseil dans des actions de financements
etc.
Il s'agit du whole sale approach, ce n'est pas
de l'approche directe aux PME, parce que l'impact
est limité (on en touche 50 sur un an),
mais ce qui importe c'est l'impact sur le développement
général.
Nous avons aussi un programme pilote au niveau
mondial qui s'appelle SMI LINKAGE. Dans ce programme
nous choisissons de grosses entreprises, on a
découvert en Algérie deux entreprises
potentielles avec lesquelles nous allons travailler
en partenariat pour développer le tissu
PME, c'est le renforcement des capacités
de ces entreprises, pour arriver à des
standards acceptables au niveau général
mais aussi pour la société en matière
de gestion, de marketing
De façon
à ce que cette entreprise puisse bénéficier
et les PME puissent ensuite s'élargir en
terme de marché.
Certains programmes de ce type ont déjà
été menés, par exemple une
chambre de commerce qui décide de développer
un groupe d'entreprises. Mais le programme LINKAGE
entre une grosse entreprise et toutes les PME
qui travaillent ou ne travaillent pas nous tient
à cur parce que cela permet aux grosses
entreprises, qu'elles soient étatiques
ou privées, et aux PME de se développer
de façon intégrée.
Monsieur Mostefaï
J'ai fait des études d'ingénieur
et d'économie en France, ensuite aux USA.
J'ai travaillé en Algérie pendant
14 ans, de 1970 à 1984. Je suis reparti
ensuite pendant 3 années. J'ai rejoint
la Banque Mondiale en 1988 dans le domaine de
l'énergie. Entre 1992 et 1999 j'ai travaillé
en Inde. Et je suis en Algérie depuis le
début de l'année 2002.
Avez-vous un dernier message pour les investisseurs
étrangers intéressés par
le marché algérien?
Madame Sammari
Je dirais que le potentiel est immense, pratiquement
dans tous les secteurs il y a des opportunités
d'investissement, cependant il ne faut pas s'attendre
à ce que ces opportunités se matérialisent
après une ou deux visites, c'est un travail
de fond, qui prend beaucoup d'acharnement et de
connaissances du marché et de l'environnement
algérien. Bien que ce ne soit pas une obligation
en terme d'investissements, il est peut être
important de s'associer avec un partenaire local
qui a la connaissance du marché et qui
peut naviguer à travers le labyrinthe algérien,
et toutes les contraintes. Mais le marché
est très porteur. En fait, il faut beaucoup
de courage, mais le potentiel est immense.
Monsieur Mostefaï
L'Algérie est en train de sortir d'une
phase de transition difficile sur les plans sécuritaire
et économique. La situation macro-économique
est restaurée et florissante. Sur le plan
des infrastructures démocratiques, un processus
s'achève. L'Algérie a engagé
de grands chantiers de réformes, et nous
avons le sentiment que ce sont des chantiers crédibles
que nous avons décidé de faire avancer.
En terme de volonté pour créer un
environnement qui soit favorable au développement
des affaires, les décisions, le mouvement
et le basculement ont eu lieu. Il n'y a plus de
doutes sur le rôle du secteur privé,
sur le besoin de lancer la croissance à
travers le secteur privé, les petites entreprises,
sur les actions qu'il faut entreprendre
les
réflexions sur le "quoi faire"
font partie du passé. Il s'agit aujourd'hui
de savoir comment il faut faire.
En ce qui concerne l'attitude de l'investisseur
en Algérie, je rejoins ce qu'a dit madame
Sammari, il existe un très grand potentiel
pour que cet environnement d'affaires puisse s'améliorer
à travers les réformes, mais ce
n'est pas un processus immédiat et simple.
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