MONSIEUR BRAHIM HASNAOUI
PRESIDENT DIRECTEUR GENERAL
DU GROUPE HASNAOUI
Pourriez-vous nous donner un aperçu général
du groupe Hasnaoui, et ses différentes activités
?
L'entreprise Hasnaoui est née en 1972 au
moment où le socialisme était au plus
fort. Nous avons évolué dans des conditions
extrêmement difficiles. C'était une
petite entreprise artisanale qui a débuté
par des petits travaux hydrauliques avant de passer
au secteur du bâtiment. Elle s'est spécialisée
dans la réalisation de logement jusqu'en
1986, époque de réformes économiques
et d'une certaine ouverture sur le secteur privé.
Les investissements étaient à l'époque
considérés comme importants dans la
production de matériaux de construction d'une
capacité de 400 à 500 logements/an.
Une unité de préfabrication a été
ouverte ainsi qu'une unité de production
d'agrégats et d'autres petites unités
de matériaux de construction.
A partir des années 95, nous nous sommes
intéressés au secteur de l'agriculture.
Nous comptions en faire l'une des activités
les plus importantes du groupe compte tenu du potentiel
qui peut être dégagé par ce
secteur.
Actuellement, le groupe compte à peu près
un millier de personnes sur les huit sociétés
différentes ; chacune est spécialisée
dans un secteur donné.
Et pour le secteur agricole ?
Au niveau de ce secteur, ce que nous voulons, c'est
introduire les nouvelles techniques de production
sur lesquelles nous comptons miser beaucoup et où
nous nous sommes investis énormément
dans un laps de temps très court.
Pourquoi ce secteur ? C'est le seul secteur qui
peut permettre à l'Algérie de se développer
puisque le véritable frein au développement
du pays, c'est le coût de la vie et de l'alimentation.
Aujourd'hui, le revenu moyen n'arrive même
pas à couvrir les besoins élémentaires
de la population en alimentation.
Les coûts de production sont élevés
; et tant que cette problématique n'est pas
réglée, il ne peut y avoir de développement
en Algérie. Le seul moyen de relancer l'économie
algérienne serait de ramener l'alimentation
à un niveau acceptable et si on arrive à
un coût de 50 % par rapport au revenu cela
permettrait de dégager la moitié pour
le reste.
Je suis une entreprise et je dois gagner de l'argent
; mais en même temps, je ne conçois
pas et je ne peux pas donner un sens à mon
action si elle ne s'intègre pas dans un processus
de développement.
Le véritable frein du développement,
c'est d'abord l'eau qui est une ressource manquante
et très mal gérée. Afin que
le secteur de l'agriculture se développe,
il faudrait commencer par rationaliser l'eau et
pour la rationaliser, il faudrait aller vers une
agriculture intensive qui est tout d'abord la maîtrise
des techniques de production.
Vous nous avez parlé de nouvelles techniques
?
En Algérie, ce ne sont pas les techniques
qui sont développées. Nous appliquons
les techniques qui sont utilisées ailleurs.
Nous essayons d'adapter ces nouvelles techniques
au contexte algérien, de les faire connaître
aux agriculteurs et de les vulgariser.
La première technique, c'est la micro-irrigation
.Nous avons commencé par développer
une société spécialisée
dans cette technique. Nous installons les équipements
propres à cette technique. Nous avons commencé
à la vulgariser depuis quatre ou cinq ans
et nous avons déjà équipé
quelques 3.000 hectares jusqu'à présent,
ce qui nous a permis de rationaliser l'eau.
Très vite, nous nous sommes aperçus
que ce n'était pas suffisant ; que l'agriculture
était plus complexe et qu'il faut absolument
une maîtrise de l'ensemble de la chaîne
qui va de la préparation du sol, à
la fertilisation, au choix du plan et à l'itinéraire
technique et c'est assez lourd comme tâche.
Mais, nous nous devions au moins d'expérimenter
sur des surfaces plus ou moins représentatives.
D'où le choix de la région de Aïn-Defla
qui a un potentiel hydraulique intéressant
pour essayer de vulgariser la micro-irrigation.
Sur place, nous avons créé une société
spécialisée dans la vulgarisation
qui s'occupe de tout ce qui est préparation
des sols, traitement, récolte, et dont les
travaux sont particulièrement axés
sur la pomme de terre.
Nous considérons que l'Algérie a un
potentiel suffisant pour multiplier par dix la production
en termes de pomme de terre. On pourrait donc produire
ce légume à très faible coût,
du moins beaucoup moins cher que le pain et à
terme, cela pourrait constituer un aliment qui pourrait
remplacer partiellement les céréales.
Nous avons fixé la barre assez haut puisqu'on
a affiché des rendements exceptionnels pour
l'Algérie. Les objectifs sont d'arriver à
50/60 tonnes/hectare, on en a fait que 50.
On a constaté qu'on n'avait pas de laboratoire
d'analyse du sol, que les gens ne connaissent pas
la qualité de l'eau utilisée. Nous
n'avions aucune idée des problèmes
de fertilisation. Il fallait tout mettre en place.
On a essayé d'élever le niveau en
introduisant des nouveaux moyens de préparation
du sol qui n'ont jamais été utilisés
en Algérie, de nouvelles techniques de plantation,
d'irrigation, de fertilisation et de traitement.
Nous avons également engagé avec un
partenaire privé ici à Sidi Bel-Abbès
un important programme de production de tomate industrielle,
sur à peu près 400 hectares : 100
hectares réalisés par le groupe Hasnaoui,
et les 300 autres en partenariat avec les agriculteurs.
Nous mettons à la disposition des agriculteurs
les plants, les programmes de fertilisation, le
suivi du plan technique. L'objectif que nous voulons
atteindre est 100 tonnes à l'hectare contre
une moyenne actuelle de l'ordre de 150 à
200 quintaux.
L'avantage de cette expérience est que le
débouché est disponible. Il y a un
contrat tripartite : l'industriel-transformateur,
l'agriculteur et nous-mêmes. Aujourd'hui,
la problématique est la suivante : si l'agriculteur
arrive à améliorer sa production,
il faudra qu'il trouve un marché. Le fait
de lui assurer un marché, un accès
aux nouvelles techniques est quand même une
adhésion. C'est une première expérience
et les résultats paraîtront à
partir du mois de juillet. Mais ceci est un autre
volet de l'agriculture, celle-ci ne pourra se développer
si on ne met pas en place l'agro-industrie, la transformation.
Cela ne sert à rien de produire si l'agriculteur
ne trouve pas de débouchés. Il y a
souvent des pics de production qui se perdent faute
de moyens de transformation. Le problème
est de savoir s'il faut commencer par vulgariser
les techniques ou par la mise en place d'une industrie
pour assurer des débouchés. C'est
un tout.
Vous avez une politique très ambitieuse
pour développer l'agriculture dans un pays
où il y a, comme vous l'avez dit, un travail
de longue haleine ; avez-vous pour cela des partenaires
étrangers qui vous soutiennent dans cette
démarche ?
Absolument. En termes d'irrigation, nous avons choisi
un partenaire espagnol AZUB, spécialisé
dans la micro-irrigation et qui nous accompagne
dans tous les problèmes d'irrigation. Pour
tous les problèmes de fertilisation, c'est
un partenaire norvégien NARCIDRO.
Pour les problèmes de suivi, des espagnols
travaillent avec nous, ainsi que nos propres cadres
en doublure avec les étrangers ou directement.
Recherchez-vous de nouveaux partenaires pour
de nouveaux créneaux. Aujourd'hui qu'attendez-vous
de ce partenaire et que lui offrez-vous ?
Il y a des partenaires qui jouent le jeu avec nous,
qui acceptent de gagner de l'argent et de nous donner
également. Nos besoins sont beaucoup plus
technologiques que financiers. Malheureusement,
il y a très peu de partenaires étrangers
qui acceptent de donner facilement leur savoir-faire
même s'il y a des accords très importants.
Pour moi, les rapports Nord-Sud, c'est un leurre.
A travers notre expérience avec les sociétés
qui travaillent avec nous et, ce jusqu'à
ce jour, nous n'avons pas trouvé d'entreprise
qui puisse nous donner son savoir-faire ; il faut
l'arracher.
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Dans ce sens-là
qu'offrez-vous à un partenaire. Quels sont
les instinctifs du groupe Hasnaoui pour qu'un partenaire
arrive à créer un joint-venture ou
une entreprise avec vous qui pourrait permettre
de donner son savoir-faire. Et lui, qu'aurait-il
en échange de ce savoir-faire ?
Il a tout à gagner. NARCIDRO est un partenaire
qui vend ses produits. Logiquement, il a tout intérêt
à nous donner le maximum et lorsque vous
voyez de quelle manière il donne l'information,
ce n'est pas du tout satisfaisant.
Donc, vous attendez un partenaire qui vienne
former vos cadres, qui vous apprenne à utiliser
la technologie ?
Absolument et, généralement, vous
avez très peu de partenaires qui acceptent
de s'impliquer à fond et, surtout on n'arrive
pas à trouver de partenaires qui acceptent
de miser sur le long terme.
On dit que l'Algérie est un pays à
risques. Vous êtes entrepreneur dans ce pays,
quelle serait votre opinion pour développer
un business en Algérie ?
J'avoue que ce n'est pas très facile de développer
un business en Algérie. Le poids de la démocratie
est encore trop lourd. La décision économique
n'appartient pas toujours aux décideurs économiques.
A tous les niveaux il y a toujours des bureaucrates
qui ne raisonnent pas en agents économiques
et les gens qui acceptent de venir doivent tenir
compte de cette situation, il ne faut pas qu'ils
soient découragés au premier obstacle,
car il y en a beaucoup. Le partenaire qui viendrait
en Algérie devrait être conscient de
cette situation.
Quelles sont les opportunités ?
Aujourd'hui, ce sont les meilleures opportunités
à travers le monde parce que nous avons un
marché potentiel, un pays qui a des ressources,
des moyens et surtout un pays qui a une réserve
de productivité énorme.
Pour le secteur de l'agriculture uniquement, tout
est à faire. Pour moi, c'est le Colorado,
mais comment faire passer tout cela ? Tout le travail
est là.
Le logement est un problème assez important
en Algérie, où se situe votre entreprise
par rapport à ce secteur?
Depuis deux ans on a levé le pied. Moi, personnellement,
je ne considère pas cela comme une priorité,
mais il faudrait que ce soit l'aboutissement d'un
processus de développement. Il faudrait mettre
en place les bases de développement et le
citoyen qui achète le logement doit être
une épargne dégagée par un
développement. Aujourd'hui, tous les programmes
sont boostés par l'Etat. On amène
les gens à s'endetter pour pouvoir habiter
et cela ne fait qu'accroître les problèmes
économiques.
Vous avez levé le pied du secteur de l'habitat
?
Nous sommes déjà dans une phase difficile.
Prenons l'exemple d'un ménage moyen qui arrive
juste à joindre les deux bouts, vous l'aidez
avec 300.000, 400.000 ou 500.000 dinars. On a comprimé
les coûts jusqu'à 85.000 dinars le
logement, il va s'endetter pour 300.000 ou 400.000
et il touche en moyenne 15.000 dinars en amputant
sur le revenu 4.000 à 5.000 dinars par mois
pendant 15 ou 20 ans. Est-ce une bonne chose ? Est-ce
que cela pourrait mener loin ?
Et c'est pour cette raison que nous avons essayé
de nous intégrer totalement dans le secteur
de l'agriculture qui doit permettre de réduire
le coût de la vie, dégager les vannes
et permettre aux gens d'accéder et de consommer
beaucoup plus facilement.
Est-ce que vos activités sont totalement
consacrées au secteur de l'agriculture ?
Pas totalement. Nous avons d'autres programmes ;
mais pas aussi importants qu'ils l'étaient
il y a deux ans. Par contre, au niveau de l'agriculture,
nous nous développons à une vitesse
vertigineuse.
Nos lecteurs sont des managers comme vous, ils
voudront savoir à qui s'adresser en Algérie.
Pouvez-vous aussi nous parler de votre parcours
professionnel, votre plus grande satisfaction en
tant que dirigeant de ce groupe ?
Je n'ai jamais été satisfait. A chaque
fois, on s'aperçoit que l'on pouvait faire
mieux.
Vous avez réalisé beaucoup de choses,
qu'en pensez-vous ?
J'ai participé. Quelles que soient les écoles
individuelles, elles n'auraient pas de sens si elles
ne déteignaient pas sur le reste. L'objectif,
c'est le développement du pays d'une manière
générale et je vois que le pays ne
se développe pas comme cela devrait.
Vous êtes indépendant ?
Oui, nous sommes indépendants, mais c'est
une forme de frustration. Lorsque vous travaillez
et que vous voyez autour de vous la misère
s'accroître ! Pouvez-vous être satisfait
? Est-ce qu'il y a de quoi être fier ?
Vous êtes l'opérateur le plus important
et le plus engagé du secteur agricole. Avez-vous
un message pour tous les internationaux qui voudraient
investir en Algérie. Vous êtes dans
le cadre de l'ouverture non seulement avec les agriculteurs,
mais aussi de l'adhésion prochaine à
l'OMC, que diriez-vous à ces opérateurs
?
En Algérie, il y a un potentiel fantastique.
On pourrait produire en Algérie beaucoup
moins cher que dans n'importe quel pays à
travers le monde. Il y a d'énormes possibilités
en termes d'exportation, c'est un secteur en friche
et pour les gens qui veulent s'y impliquer, c'est
aujourd'hui qu'il faut le faire.
Je vous donne un seul exemple. Vous connaissez la
région d'Alemania ? On y pompe l'eau à
1.500 mètres pour faire de la production
sous serres ; la main-d'uvre est beaucoup
plus chère que la notre, une fiscalité
beaucoup plus chère également. Il
y a 40 ou 50 mille hectares de production sous serres.
Nous avons 1.500 kilomètres de côtes,
de l'eau gratuite, de l'énergie presque gratuite,
une main-d'uvre gratuite, une fiscalité
nulle, toutes les conditions pour produire beaucoup
plus et moins cher qu'à Alemania ; c'est
suffisant pour produire l'équivalent de quelques
milliards.
En Algérie, pour le marché interne,
tout ce qui n'est pas exportable peut être
consommé sur le marché national. Autant
d'atouts pour s'impliquer d'un seul coup, si je
ne prends que l'aspect production sociale qui est
complètement méconnu. J'ai vu en Espagne
et en Europe comment les gens travaillent. Ici,
on travaille avec des serres artisanales où
les conditions minimales de production ne sont pas
réunies et nous produisons à peu près
trois mois dans l'année : mars, avril et
mai ; en Europe, ce sont 9 mois dans l'année.
Il suffit d'ajouter un petit chauffage d'appoint,
un système simple pour aérer les serres.
Nous importons presque en totalité les légumes
secs comme les haricots secs, les lentilles, les
pois chiches ainsi que l'aliment de bétail
; alors que nous avons largement tous les potentiels
pour exporter.
En développant une agriculture et en augmentant
la production locale on va permettre de dégager
des surfaces accidentelles qui peuvent servir à
certains produits ; pour cela il y a des centaines
de milliers d'hectares qui peuvent être dégagées.
Il y a des places très importantes à
prendre pour les légumineuses.
Nous avons des zones de ressources hydrauliques
et nous ne sommes pas arrivés à concevoir
des systèmes de production qui permettent
de valoriser les potentialités de ces régions.
Il y a des chantiers énormes à développer.
C'est un gâchis monumental dans un pays avec
autant d'opportunités mais où le chômage
est très élevé et où
les gens sont désoeuvrés. Le secteur
agricole à lui seul doit pouvoir absorber
la totalité de la main-d'uvre ; mais
pour cela il faudrait d'abord une stratégie
que nous n'avons pas et qui doit fonctionner à
long terme.
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