Pouvez-vous nous présenter
le CFCO d'un point de vue historique ?
Le Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) est une
voie ferrée qui relie le Port maritime de
Pointe-Noire au Port fluvial de Brazzaville. C'est
pourquoi on l'appelle " Congo-Océan
".
C'est à dire qu'il relie le fleuve Congo
à l'océan atlantique. C'est un chemin
de fer construit depuis les années 1920.
Il est entré en exploitation en février
1934 et couvre une distance de 512 km exactement.
Il existe une cinquantaine de gares entre les
deux villes, toutes tailles confondues. Elles
ne sont actuellement pas toutes en service.
Y a-t-il d'autres destinations ?
Le CFCO n'a pas d'autres destinations. Par contre,
il y a eu à partir de 1963, la réalisation
d'une voie qu'on appelle la ligne COMILOG, qui
relie la gare de Mont-Belo, sur le CFCO, à
la frontière du Gabon, en traversant la
région du Niari. La COMILOG est venue rejoindre
le CFCO à partir de Mont-Belo jusqu'à
Mbinda, qui est un poste frontalier avec le Gabon.
Cette voie a servi pendant longtemps à
l'évacuation du Manganèse exploité
dans le haut Ogoué au Gabon. C'est une
ligne longue de 285 km, gérée par
nos soins. Ce qui nous fait un réseau total
de l'ordre de 800 km de voie ferrée.
Quelle est la structure du capital du CFCO
?
Le Chemin de fer Congo-océan est une entreprise
industrielle à caractère commercial,
appartenant exclusivement à l'état
congolais.
Nos lecteurs aiment les chiffres, pourriez-vous
nous en parler en terme de chiffre d'affaires
et d'investissements ?
Lorsque le CFCO a connu des problèmes
pendant les guerres de 1997 à 1999, son
fonctionnement a été arrêté
pendant environ deux ans. Parce que les ouvrages
d'art avaient été cassés.
Leur réhabilitation a coûté
à l'état congolais près de
6 milliards de F.cfa.
Une fois ces ponts réparés, on a
relancé assez timidement le trafic avec
du matériel en nombre très réduit.
Beaucoup de locomotives avaient en effet été
détruite pendant les guerres auxquelles
j'ai fait allusion.
Néanmoins, durant l'année 2000,
nous avons progressivement réalisé
une montée en puissance, pour atteindre
à ce jour et par jour, de manière
conséquente, un trafic de l'ordre de 2.200
à 2.500 tonnes dans le sens de Pointe-noire
à Brazzaville, et à peu près
un trafic similaire dans le sens inverse.
Le trafic au départ de Pointe-Noire concerne
tout ce qui est importé, c'est à
dire les matériaux de construction, les
véhicules, les machines, les outils, les
produits manufacturés, etc. Au départ
de Brazzaville, le trafic marchand est principalement
constitué par le bois exploité au
nord du pays et qui est descendu jusqu'à
Pointe-Noire pour être exporté ou
consommé localement. Nous prenons aussi
du bois en chemin, à Loudima et Makabana
(sur la ligne COMILOG). Ceci nous amène
à un bon petit million de tonnage transporté.
Notre chiffre d'affaires représente actuellement
en recette, environ 1,5 milliards de F.cfa par
mois. Ce qui est très important. Mais cette
somme d'argent est insuffisante par rapport aux
charges de l'entreprise, dues au vieillissement
du matériel, à sa vétusté
et au mauvais état des infrastructures
d'exploitation qu'il faut réhabiliter pour
donner un visage neuf à l'entreprise.
Justement, où en êtes-vous avec
la réhabilitation de la voie et du matériel
?
Nous avons réhabilité les 6 ponts
qui étaient détruits. Nous avons
aussi entrepris de construire des murs pour protéger
les emprises ferroviaires. Nous avons réhabilité
toutes les structures de formation au chemin de
fer. Elles ne sont pas encore fonctionnelles,
parce qu'après avoir réhabilité
les bâtiments, il faut encore y mettre des
machines, puisque c'est technique. Nous démarrons
sous peu la réhabilitation de la grande
" Gare PV " à Brazzaville. Tout
cela en préfinancement par des partenaires
qui sont nos grands clients. La plupart de ces
préfinancements sont remboursés
par compensation sur le trafic. Donc, quand je
parle de 1,5 milliards de F.cfa de recettes par
mois, il faut déjà déduire
tout ce qui n'est pas payé du fait de la
compensation.
Mais notre grand objectif pour cette année
2002 est de commencer à réhabiliter
la voie qui est devenue très vétuste.
On y dénombre des centaines de cassures
de rails. Je ne vous cacherai pas que sur près
de 300 km, il y a des rails qui datent encore
de 1934 ! Donc les trains sont obligés
de rouler tout doucement, ce qui fait des délais
de route très longs. Il y a beaucoup de
déraillements intempestifs. A cela, il
faut ajouter le vieillissement du système
de signalisation et la télécommunication
filaire qui a été détruite
pendant la guerre.
On s'oriente maintenant vers la radiotéléphonie.
On a parlé du GPS, mais pour le moment
nous n'avons pas encore entrepris de démarches
dans ce sens. Nous avons simplement demandé
à une société de nous faire
une étude pour une éventuelle installation
du système de communication GPS. A ce jour,
nous n'avons pas encore reçu les résultats
de cette étude.
Par contre, nous pouvons petit à petit
commencer à changer les rails là
où c'est vétuste, là où
il y a cassure. C'est ce qu'on appelle en terme
technique " réduire les points singuliers
", afin d'améliorer la vitesse de
rotation des convois.
Combien vont coûter tous ces investissements
?
A Brazzaville, nous réaménageons
la gare, avec les bureaux de notre représentation.
Nous avons l'intention de construire un autre
bâtiment pour y mettre les services de l'état
qui ont l'habitude d'opérer à notre
terminus. Il s'agit de la douane, des impôts,
de la police, du commerce, etc. Nous allons libérer
l'actuel grand bâtiment de la gare pour
y mettre quelques transitaires en location, afin
de se faire quelques recettes hors trafic ferroviaire.
La dépense totale de ce projet avoisine
1 milliard de F.cfa.
En ce qui concerne la voie proprement dite, nous
sommes en négociations avec des partenaires
étrangers pour obtenir quelques financements.
Mais en attendant l'aboutissement de ce financement,
nous pensons atteindre une dépense de l'ordre
de 2 milliards de F.cfa sur fonds propres. Ces
2 milliards serviront à l'achat de ballasts
et à l'entretien des sociétés
appelées à travailler sur ces chantiers.
Etant entendu que nous avons quand même
quelques réserves de rails. Il nous faudra
aussi acquérir des traverses. Si le crédit
aboutit, nous pourrons investir plus de 10 milliards
dans la réhabilitation de la voie.
Donc on peut retenir cette année, un investissement
de 3 milliards de F cfa sur fonds propres pour
la reconstruction des gares, ainsi que pour la
réhabilitation de la voie. Et dans le cas
où le crédit sollicité auprès
des banques étrangères aboutissait,
on pourrait dépenser plus de 15 milliards
de F.cfa cette année pour tous les projets.
Dans quelles mesures les dernières attaques
contre les trains ont-elles affectés vos
activités ?
Cela a été une sérieuse
entrave à l'activité du chemin de
fer. Nous avons passé tout le mois d'avril
sans trafic. Et quand nous avons repris, c'est
avec beaucoup de restrictions. Par exemple, nous
sommes obligés de faire accompagner les
trains par la force publique et nous sommes contraints
de prendre certaines dispositions, pour que les
trains ne roulent pas de nuit dans certains secteurs.
Tout cela est contraignant pour la réalisation
du programme de transport, avec un manque à
gagner de près de 1,5 milliards de F.cfa,
la recette d'un mois de trafic.
Faites-vous une campagne pour rassurer les clients
?
Il y a des clients qui veulent savoir comment cela
se passe et pour les rassurer, nous leur expliquons
que les trains sont accompagnés par la force
publique et que l'armée est aussi le long
de la voie.
Depuis que nous avons relancé les trains,
il n'y a plus eu d'incidents. Tout se passe bien.
Mais depuis lors nous n'avons pas encore repris
le transport des passagers. Pour le moment, nous
transportons essentiellement des hydrocarbures et
toutes les marchandises qui étaient en souffrance
ici à Pointe-Noire. Notre priorité
est de ré-alimenter Brazzaville. En situation
normale, il y a un train de passagers dans un seul
sens chaque jour. Par contre, il y a 3 à
4 trains de marchandises par jour et dans les deux
sens.
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Quels sont les effectifs
de la compagnie ?
Actuellement, le CFCO compte environ 2.800 agents.
Nous sommes le plus grand employeur après
la fonction publique qui est à 70.000 agents.
Ce n'est pas comparable, mais c'est ainsi. Quand
je suis arrivé au CFCO il y avait un effectif
de 3.400 agents. Par décision du gouvernement
de la République, nous avons gelé
les recrutements. Ce qui s'explique parfaitement,
compte tenu des charges de l'entreprise. Il y a
eu beaucoup de départ à la retraite
et aussi des départs naturels (décès).
Combien de locomotives et de wagons avez-vous
?
Nous avons quelques locomotives canadiennes, des
GM (Général Motors) et quelques locomotives
Alsthom, de construction française. Depuis
la fin de l'année dernière, nous avons
pris en location 6 locomotives en Afrique du sud.
La somme de tout cela nous donne environ 14 locomotives
de ligne. Nous avons aussi quelques locomotives
de type BB 700 qui sont de puissance inférieure,
pour des petits trains, par exemple les trains passagers.
Elles servent aussi pour les manuvres en gare
ou encore pour des convois légers dans les
demi-parcours.
Où en est-on avec le processus de privatisation
du CFCO?
Cela me paraît juste d'être privatisé
d'ici 2003, comme on a pu l'entendre. Le dossier
n'est pas suffisamment avancé. Nous avons
eu des contacts avec la Banque Mondiale, l'AFD (Agence
Française de Développement) et le
cabinet de consultants canadien CPCS, à ce
sujet. Ces organismes nous donnent des conseils
pour la privatisation.
Nous même, avec le comité de privatisation,
nous avons effectué une mission au U.S.A
pour rencontrer des éventuels repreneurs.
Il y a déjà près de 23 candidats
en lice. Chose rare en Afrique. Ils sont Européens,
Américains et même asiatique. La SNCF
est candidate à la reprise. A ce titre elle
ne participe pas comme telle à l'élaboration
du dossier de mise en concession du CFCO.
Par contre, il y a ici au CFCO des techniciens de
la SNCF dans le cadre d'un contrat d'appui à
l'exploitation du CFCO. Il faudra mettre fin à
ce contrat lors de l'appel d'offre. La SNCF devra
en effet se mettre en compétition légale
avec tous les autres candidats.
Donc la mariée n'est pas encore assez
belle pour être privatisée ?
Je pense qu'il faut un tant soit peu rénover
l'infrastructure, principalement la voie, avant
de mettre le CFCO en concession. Ce serait très
hasardeux de le faire avec une infrastructure défectueuse
comme elle l'est actuellement. Privatiser dans cet
état serait sans contre-partie pour l'Etat
congolais. Nous ne le voulons pas, parce que le
CFCO représente beaucoup à nos yeux.
Il n'y a pas de raison qu'il soit bradé comme
cela. Je pense donc que l'Etat doit prendre le courage
de ramener l'infrastructure à un bon niveau
d'exploitation ferroviaire, avant d'envisager la
privatisation. C'est pour cela que, pour ma part,
je pense qu'une privatisation en 2003 est trop rapide.
C'est déjà plus réaliste à
partir de 2004.
Quels sont les gros problèmes que vous
rencontrez dans la gestion quotidienne de votre
entreprise ?
Il y a le problème des hommes. Ils sont vieillissants.
Cela fait plus de 10 ans que l'on n'a plus recruté
alors que le chemin de fer est quand même
une technique de pointe. Les bons techniciens ne
se forment pas en moins de 10 ans. Il faut qu'ils
aient suivi au moins 3 années de formation
dans une école de chemin de fer. Ensuite
il faut qu'ils aient travaillé dans les ateliers,
à la conduite, aux télécommunications,
pendant 5 à 6 ans pour commencer à
avoir la main. Le CFCO court donc actuellement le
risque de manquer de techniciens qualifiés
et peut être même d'avoir à ramener
en service des agents déjà retraités.
Le deuxième problème, c'est que dans
l'esprit de beaucoup de gens, la distinction entre
l'économie et le social n'est pas nette.
Ainsi, le CFCO réalise énormément
de services publics au profit de l'Etat. Cela péjore
sérieusement la vie de l'entreprise. Quand
je parle de 1,5 milliards de recettes mensuelles,
on pourrait avoir 200 à 300 millions de plus.
C'est une entreprise d'Etat et de temps en temps,
nous sommes obligés de transporter certaines
marchandises à titre gracieux. Mais cela
engendre des coûts d'exploitation qui ne sont
pas compensés.
Le troisième problème est toujours
relatif aux contraintes de notre appartenance à
l'Etat.
Nous n'avons pas de liberté tarifaire. Quand
une entreprise de transport manque d'une telle liberté,
cela veut dire, qu'à un moment donné,
elle peut transporter à perte. On est obligé
d'appliquer des tarifs homologués vieux de
10 ans. Or, le pays connaît une certaine inflation
qui s'applique sur les coûts d'exploitation.
Je prends un exemple simple : Nous transportons
du carburant à des tarifs homologués
il y a 10 ans de cela, alors que le prix du carburant
que nous achetons pour notre exploitation a doublé.
Cela veut dire que nous payons plus cher en exploitant
pour ne rien gagner en retour. Et ceci est valable
pour la plupart des produits stratégiques.
Comment voyez-vous l'évolution du chemin
de fer dans les 10 prochaines années?
Je vous réponds pour le court terme. Parce
que pour le long terme, ce sera au futur concessionnaire
d'avoir une vision de l'évolution du chemin
de fer.
Dans l'immédiat, je pense qu'il faut une
restructuration de l'entreprise, qui prenne en compte
tous les éléments auxquels j'ai fait
allusion. C'est à dire les problèmes
de tarification, le poids du service public qu'il
faut nécessairement alléger. Et, de
manière générale il faut délester
le CFCO du point de vue des effectifs. Je pense
aussi qu'il y a beaucoup de choses qui peuvent être
faites par d'autres entreprises. Par exemple dans
la réparation des matériels ferroviaires,
il n'y a pas besoin d'avoir des effectifs pour des
petites tâches de détails dans les
ateliers.
Nous pourrions sous-traiter davantage. L'essentiel
du personnel devrait être utilisé dans
l'entretien de la voie. De telle manière,
on pourrait avoir une entreprise plus ramassée
et plus efficace. Il y a trop de superflu dans l'organisation
interne du CFCO.
Depuis que vus êtes au CFCO, quelle a été
votre plus grande satisfaction ?
Je n'ai pas l'habitude d'être fier. Mais on
a quand même mené, en un temps records,
de brillantes négociations avec les Sud-africains
pour obtenir les 6 locomotives qui ont considérablement
amélioré la traction. N'eussent été
les derniers événements que nous avons
connus dans la région du Pool, Brazzaville
serait bien ravitaillé en hydrocarbures et
divers produits.
Toujours concernant le matériel, nous avons
travaillé efficacement avec la société
ECGM, avec laquelle nous avons réhabilité
plus de 150 wagons, toutes catégories confondues.
Alors qu'au moment de la relance du trafic, en août
2000, il ne nous restait à peine une soixantaine
de wagons exploitables. Il y a comme cela quelques
notes de satisfaction. Mais je dois reconnaître
qu'en général, nous manquons cruellement
de moyens d'investissement.
Avez-vous un message pour les lecteurs de Forbes
et les investisseurs potentiels ?
Je crois que les investisseurs ont compris le message
des autorités politique du Congo. Pour ceux
qui voudraient investir au Congo, principalement
dans la réhabilitation de la voie, ils seront
tous les bienvenus. |