Comment la BEAC a-t-elle
traversé la période de conflits qui
a récemment agité le pays ?
La représentation de la BEAC se trouvant
dans le centre ville (Brazzaville) n'a pas pu échapper
aux affres de la guerre. Par définition,
c'est également le cur du système
financier national, donc une cible de choix. Le
bâtiment a été sérieusement
endommagé, à près de 70%, le
matériel a été pour l'essentiel
emporté, mais nous avons eu de la chance
car les valeurs qui étaient stockées
n'ont pas été dérobées.
Le système de sécurité a bien
fonctionné, nous avons eu la chance qu'il
soit efficace et moderne.
Evidemment, en ce qui concerne le personnel, nous
nous sommes éparpillés dans le pays
ou la région et nous avons eu à souffrir
également de la situation. Tout cela pour
démontrer que la guerre n'apporte vraiment
rien de bon. C'est par la volonté du chef
de l'Etat, et celle du gouverneur qui voulaient
voir réhabiliter la Banque Centrale rapidement,
que le soutien des pairs a été gagné
et que la réhabilitation a pu commencer.
Nous sommes le premier bâtiment de cette stature
à avoir été réhabilité.
Quel était le bilan du Congo à la
sortie de la crise ?
Au niveau national, il y a eu des pertes de vies
humaines énormes, des dégâts
matériels importants, les rouages économiques
du pays étaient perturbés. Au sortir
de la guerre, la première volonté
du chef de l'Etat a été de reconstruire
le pays. La première chose qu'il a apporté
pour permettre la reconstruction, c'est la paix.
Il n'a ménagé aucun efforts pour
permettre aux exilés de rentrer, mais également
pour que les bailleurs de fonds puissent revenir
au Congo et participer à la reconstruction.
Aujourd'hui, on peut voir la différence
et le chemin parcouru. Longtemps le Congo a été
classé comme pays non fréquentable
par les Nations Unies, il a maintenant retrouvé
un statut normal et accueille à nouveau
des missions. Les relations avec le FMI ont également
reprises.
L' étape suivante a été
de reconstruire le système financier, comment
décririez-vous l'évolution ?
Parallèlement à la réhabilitation
qui se faisait par étapes, nous avons dû
ramener le personnel, réorganiser la banque,
réapprendre à travailler ensembles
et avec discipline. On peut dire que le personnel
a eu beaucoup de mérite et de courage,
étant donné les conditions dans
lesquelles il vivait. Les banques ont subi autant
que nous les dommages de la guerre, sinon plus,
mais elles n'ont heureusement pas perdu de valeurs.
Le gouvernement congolais avait pris des options
fermes, notamment la réforme économique,
basée sur la restauration d'un système
privé. La privatisation des entreprises
publiques a donc été initiée
rapidement, et notamment dans le secteur bancaire.
Les investisseurs ont besoin d'un système
financier sain et fiable. Ils recherchent les
conditions qui leur garantissent une rentabilité
et surtout une sécurité pour leurs
investissements. Ils veulent connaître les
garanties, en termes fiscaux, offertes par le
pays aux investisseurs, le code des investissements,
les secteurs privilégiés par le
gouvernement.
Le ministère des Finances s'est engagé
à entreprendre des réformes économiques
très importantes : l'informatisation des
régies financières, la mise en place
des nouveaux plans comptables, les procédures
d'exécution et de suivi du budget, et également
un programme très efficace et très
équilibré de développement
transitoire qu'on appelle " post-conflit
". Ce programme de trois ans est basé
sur trois notions : la paix, la stabilisation
de l'économie et la relance. Aujourd'hui
les résultats sont au rendez-vous, et au
niveau du gouvernement le pari a été
réussi, le référendum s'est
fait presque à l'unanimité et l'élection
présidentielle a été un réel
plébiscite. Tout cela prouve que les choix
fait par le gouvernement amènent le pays
sur la bonne voie pour sortir définitivement
de la crise.
Pensez-vous qu'aujourd'hui, le secteur financier
soit vraiment prêt à soutenir le
développement du secteur privé ?
Le cadre est-il favorable à l'investissement
?
J'y crois beaucoup. De part ma position, j'assiste
le Ministre des Finances dans ses responsabilités,
en fonction des directives du gouvernement. Une
mission qui nous est chère était
la privatisation du secteur bancaire. Ce ne fut
pas une mission facile, mais le défi a
été relevé. Même la
banque la plus difficile a été reprise,
alors qu'elle n'était pas loin de la fermeture.
Il s'agit de l'Union Congolaise des Banques (UCB)
qui est devenue COFIPA, avec une participation
minoritaire de l'Etat. Les investisseurs privés
ont donc relevé cette banque et nous avons
bon espoir quant à leur réussite.
Nous venons également de voir revenir au
Congo, le Crédit Lyonnais, après
de nombreuses négociations. Ce qui est
encourageant, c'est que nous avons obtenu les
résultats que nous cherchions. Nous espérons
que les congolais pourront apprécier l'effort
qui a été fait, car le retour d'une
grande banque comme le Crédit Lyonnais
montre la confiance retrouvée de la communauté
internationale dans l'avenir du Congo. Nous sommes
actuellement en train de privatiser une autre
banque, mais je ne peux pas entrer dans les détails
pour le moment.
La volonté du ministre est d'étoffer
le système bancaire congolais. Nous avons
pour le moment des banques commerciales aux ressources
limitées, et cela ne suffit pas pour financer
le développement. Il faut trouver aux banques
d'autres ressources à long terme pour leur
permettre de jouer complètement leur rôle
dans la relance. Le financement du développement
est la clé de tout. Sans lui, il ne peut
pas y avoir de croissance économique. Les
investisseurs doivent pouvoir trouver l'appoint
qui leur est nécessaire. L'état
sera vigilant sur la qualité des partenaires,
et leur fournira toutes les facilités pour
permettre une implantation rentable. Aujourd'hui
le chômage est une des questions majeures,
et c'est grâce à un investissement
conséquent dans les secteurs porteurs que
nous pourrons le résorber. Le chef de l'Etat
fait de la lutte contre le chômage une priorité,
car c'est de là que vient le désespoir
qui mène à la guerre. Cette politique
prend en compte l'accent mis par la communauté
internationale sur la lutte contre la pauvreté.
|
Le Congo est handicapé
par son endettement passé, qui ralentit encore
sa croissance, et nous cherchons actuellement des
solutions pour permettre au pays de dégager
des ressources pour investir. Il faut sortir de
cette gymnastique entre le paiement des dettes et
l'accumulation des arriérés. Alors
l'un dans l'autre, si le gouvernement n'est pas
décidé, le pays peut rester à
genoux pendant des générations.
Quelle est la position de la BEAC vis à vis
du règlement de la dette ?
Le Congo est également membre fondateur
de la BEAC, nous gérons la monnaie commune.
Notre institution est au service des Etats, mais
dans la limite de nos statuts, de manière
à tenir une conduite noble et délicate.
Nous pouvons donc aider l'Etat congolais par des
avances, mais dans des conditions bien définies,
fixées par les statuts. Nous pouvons aider
les banques par le refinancement des crédits
qu'ils accordent à leurs clients. Nous
pouvons aussi aider les pays par des conseils
; et là nous jouons notre rôle, nous
aidons les Etats à mieux gérer leurs
dettes, à mieux la négocier, à
mieux gérer les engagements qu'ils prennent
et à les rendre compatibles avec les ressources
dont ils disposent.
On parle beaucoup en ce moment du développement
d'une bourse des valeurs, la BVMAC, pourriez vous
nous parler de ce projet ?
Comme je le disais précédemment,
notre système financier est encore incomplet,
car pour avoir un système financier solide,
il ne faut pas seulement des banques, il faut
aussi des établissements de crédits
solides, capables de lever les ressources.
Il a fallu d'abord redresser les systèmes
bancaires dans tous les pays de la sous-région.
Ensuite, on s'est rendu compte que le système
n'était pas complet, qu'il manquait des
établissements spécialisés.
Nous n'avions pas de banques de l'habitat, pas
d'établissements de crédits financiers,
pas de banques agricoles. Or cela correspond à
un besoin réel. Tous ces établissements
sont complémentaires. De même nous
n'avons pas de grandes compagnies d'assurances
dont les investisseurs ont pourtant besoin.
La tendance était de penser qu'avec la
monnaie on pouvait tout résoudre, mais
attention, la monnaie ne résout que le
court terme, pas le long terme. On ne doit pas
impliquer la monnaie pour résoudre les
questions de très long terme sinon on la
fragilise. Il faut donc instaurer un marché
financier dans la sous-région. Nous avons
déjà la Banque de Développement
des Etats de l'Afrique Centrale (BDEAC) dont le
siège est à Brazzaville. Nous avons
aussi besoin d'avoir une bourse de valeurs, car
c'est déjà là une réponse
intéressante pour les opérateurs
économiques en quête de ressources
pour financer leurs activités. De la même
manière, c'est une opportunité pour
ceux qui veulent placer pour faire fructifier
leurs affaires.
Ce projet est aujourd'hui à maturité
et nous sommes dans la dernière phase de
sensibilisation avant de nous attaquer à
la mise en place effective de la bourse de valeurs
sous-régionale. Cette bourse obéit
aux normes internationales et est compartimentée
en fonction du volume des affaires. C'est de plus
une expérience unique dans le cadre de
la coopération Sud-Sud, car le partenaire
technique est l'Ile Maurice qui a déjà
prouvé qu'un pays émergent pouvait
s'engager sur la voie des pays industrialisés.
Nous avons donc effectué une tournée
de sensibilisation au Congo, nous avons déjà
adopté les textes, nous allons mettre en
place les structures de cette bourse qui sera
totalement privée. Cela sera l'affaire
des chambres de commerces et des opérateurs
économiques. L'état sera l'organe
de surveillance.
Nous sommes convaincus que ce projet, une fois
atteint sa vitesse de croisière, sera une
réponse aux attentes des opérateurs
économiques. Pour l'instant, ce n'est pas
encore suffisant, c'est à dire qu'il faut
mettre tout en harmonie et en phase dans le cadre
de la CEMAC.
La réforme que le Gouverneur conduit aujourd'hui,
est celle des moyens de paiement. Je vous donne
rendez-vous dans deux à quatre ans, pour
vous proposer une carte de crédit, des
guichets automatiques et la monétique.
C'est le projet pour lequel nous nous battons
actuellement, et c'est au Congo de saisir les
opportunités pour l'intérêt
national.
Quels seraient les atouts du Congo comme destination
d'investissement ?
D'abord c'est un pays situé dans un espace
régional très important, et qui
est donc structuré par des textes qui régissent
un espace économique et monétaire.
Le Congo est membre de l'OUA, donc un ensemble
politique très fort. Le Congo est surtout
un pays de transit. Les infrastructures sont à
refaire, mais de part sa position
géographique, c'est indiscutablement un
pays de passage. Le pays a également un
sol très riche, facile à cultiver.
Le massif forestier est riche de nombreuses essences
très prisées à travers le
monde. Les sites touristiques sont nombreux à
développer, et les infrastructures aéroportuaires
sont présentes. Il y a le chemin de fer,
qui traverse tout le Sud du pays. Le système
de communication fonctionne, les hôtels
aux standards internationaux existent, la sécurité
est assurée. Nous avons le fleuve, qui
nous rapproche d'un marché très
important. Avec la paix, le pays a tout pour attirer
les investisseurs.
Quel a été pour vous la plus
grande satisfaction depuis votre retour à
la tête de cette institution ?
Effectivement, c'est la seconde fois que je suis
placé à la tête de cette banque,
grâce à la confiance que m'a accordé
le chef de l'Etat. Ma plus grande satisfaction
serait que mon pays, qui est membre de cette banque,
puisse bénéficier pleinement des
avantages d'appartenir à une institution
communautaire ; une institution qui gère
la monnaie, qui gère un objet d'aide au
développement. Mais est ce que quelqu'un
dans son travail peut affirmer qu'il est satisfait
? Oui, mais il faut savoir se remettre en cause
et continuer à travailler. C'est l'appel
que lancent le gouverneur et le chef de l'Etat.
Je suis le pilote, mais ce n'est pas moi qui ai
construit l'appareil. Mon mérite serait
de l'amener à bon port. Le mérite
revient d'abord au chef de l'Etat qui par sa grande
détermination a ré-instaurer cet
instrument qui était à genoux, et
aussi au gouverneur de la Banque Centrale. Mon
rôle n'est pas loin de celui d'un ambassadeur.
Je dois donc faire en sorte d'accomplir avec succès
la mission qu'on m'a confié, et ce pour
honorer également la confiance qui m'a
été accordée par le chef
de l'Etat.
|