THE REPUBLIC OF GUINEA
L'Exception Africaine



INTERVIEW AVEC

M. Mamadou Thiangui Diallo


PDG de Thiangui S.A.
26 novembre 2002
 
Question 1: M. Thiangui, merci de nous recevoir. Pour commencer, nous aimerions vous demander de nous présenter brièvement la société THIANGUI depuis sa création.

Réponse 1 : Avant de se recentrer sur l'activité pêche en 1997 et prendre sa raison sociale définitive, la société THIANGUI S.A, depuis sa création en 1985, a changé plusieurs fois de nom et exploré divers marchés à l'importation comme ceux de l'agroalimentaire et des matériaux de construction, autour de la pêche, bien entendu. Au fil du temps nous avons abandonné tous ces secteurs connexes.

Question 2 : Pour avoir un meilleur aperçu de THIANGUI SA, pourriez-vous partager avec nous les chiffres clés de l'entreprise, à savoir le nombre d'employés, le nombre de bateaux, le chiffre d'affaire et la production annuelle ?

Réponse 2: A terre, la société compte une trentaine de personnels administratifs. En mer, une estimation de 200 marins est exacte. THIANGUI affrète et consigne des bateaux mais possède son propre armement fort de 5 chalutiers industriels.

Ce n'est ni par coquetterie, ni par culture du secret mais je n'ai pas le chiffre d'affaire en tête. Ce que je peux préciser, par contre, est que le secteur le plus rémunérateur se situe dans les cinquantaine de bateaux que THIANGUI S.A affrète et consigne, dont beaucoup sont immatriculés à l'étranger.

Il faut bien comprendre un aspect essentiel des choses. Des entreprises comme la nôtre vivent à 2 niveaux qui ne sont pas dissociables : Un, faire des profits : deux, redistribuer une partie de ces profits à l'Afrique, c'est un équilibre quasi existentiel.

Concrètement cela veut dire quoi ? que nous exportons à tarif commercial du poisson vers l'Europe, des crustacés (notamment la crevette vers Las Palmas), mais aussi des espèces nombreuses dans nos eaux territoriales. Ces poissons rentrent de plus en plus dans les habitudes alimentaires des Asiatiques et nous explorant ce créneau à fond.

Notre deuxième mission, je la qualifierai de " sociale ". Dans un pays comme la Guinée, il importe prioritairement d'assurer la sécurité alimentaire des populations notamment en protéines animales dont les carences pourraient avoir des conséquences graves en termes d'auto - suffisance alimentaire et même politiques. D'autre part, la pêche fait vivre toute une filière créatrice d'emplois : Des milliers sans doute en vente et commercialisation. Vous le savez, la Guinée s'est engagée résolument vis à vis de la Communauté Internationale dans un plan de réduction de la pauvreté. Thiangui S.A est passé à l'acte : Chaque saison 3 000 tonnes de poissons sont débarquées de nos chalutiers sur le marché local, à des prix plus qu'abordables pour le panier de la ménagère. La plus - value que nous récoltons, dans cet acte volontariste, relève de la seule économie sociale. Dans cette perspective, la notion de gain n'est pas notre credo. Simplement nous équilibrons nos comptes face à ces 3 000 tonnes vendus localement à bas prix par un millier d'autres vendues à l'exportation, à plus grosse cote commerciale.

Question 3: Quelle est la concurrence à laquelle vous faites face ? Pouvez-vous nous indiquer aussi votre part de marché ?

Réponse 3 : Cette question est cruciale. C'est même un sujet qui fâche. Pourquoi ? D'abord un constat. La pêche industrielle Guinéenne ne bénéficie d'aucunes subventions ni financement des banques, ni crédits maritimes. L'idéal serait qu'il y ait un armement national. A la place de cela, les statistiques sont éloquentes : Sur les 180 bateaux sur zone, seulement 5 % appartiennent en propre à des Guinéens ! Une misère de 10 bateaux face à l'armada étrangère qui joue sur du velours. D'une part elle exploite nos ressources halieutiques à grande échelle mais de surcroît nous sommes obligés de passer sous ses fourches caudines.
En effet, la bagarre est féroce entre les sociétés de pêche guinéennes elles - mêmes pour affréter et consigner les navires étrangers, seuls revenus envisageables pour investir ou réinvestir dans leur propres bateaux. Dans ce contexte de concurrence sauvage, les armateurs étrangers fixent leurs tarifs de consignation comme bon leur semble. Le plus kafkaïen dans l'histoire est que les bateaux venus d'ailleurs restent indispensables bien que leur vieillissement pose de plus en plus de problèmes ; le service rendu compte d'autant plus de risques et moins en moins d'intérêts. Un comble .

Pensez qu'une société comme THIANGUI S.A dont l'armement s'est effectué sans crédits maritimes se retrouve maintenant avec ses propres bateaux consignés !

Il serait temps de se donner les moyens de réduire la flotte étrangère de moitié. 70 bateaux guinéens pourraient gagner assez d'argent, rendre la pêche plus attractive, mieux remplir les caisses de l'Etat et mieux gérer la ressource.

Question 4: Quels sont vos plans pour développer cette industrie de pêche guinéenne ?

Réponse 4 : Je ne reviens pas sur le constat fait plus haut. J'ajouterai que non seulement nous assistons, nous leur vendons nos services et nos licences de pêche. Mais le poisson pêché est confisqué à la socio-économie guinéenne parce qu'il est immédiatement réexporté. Un armement national, non seulement s'attaquerait à cette discrimination mais créerait des activités induites comme la vente de matériels, la réparation navale et beaucoup de sociétés nouvelles.

La richesse halieutique étant captée ailleurs, il serait temps de corriger les perspectives : Créer un véritable armement national en passant par un partenariat négocié avec des sociétés étrangères ou par des crédits maritimes. Le guinéen ne peut arriver seul à acquérir, travailler, rentabiliser et rembourser un chalutier. A THIANGUI S.A, nous en avons l'expérience.

Question 5 : Quelles sont aujourd'hui vos relations avec les sociétés étrangères ? Etes vous déjà en partenariat ou en cherchez vous des partenaires potentiels ?

Réponse 5 : Tout est une question de confiance et c'est justement pourquoi mes propos antérieurs sont durs. Il s'agit, pour instaurer une confiance, de créer un cadre juridique adapté et une éthique. C'est ce que j'essaie de faire à travers la Confédération Nationale des Professionnels de la pêche qui serait le garde-fou et la garantie entre tout dérapage éventuel.

Le traité OHADA (Harmonisation des Affaires en Afrique ) se met d'autre part en place. C'est une garantie supplémentaire pour les armateurs étrangers en cas de litige qui pourrait survenir avec leurs associés guinéens. Je pense que c'est une bonne approche.

Question 6 : En tant que PDG de THIANGUI, quel message pourriez-vous adresser à nos lecteurs de l'Express pour qu'ils viennent investir ici ?

Réponse 6 : Un message optimiste et lucide, à travers mon propre exemple, je crois. " L'Exception Guinéenne " existe bien. On peut la prendre de plein fouet, s'en accommoder, la modifier. Surtout, il ne faut jamais se décourager ni devant l'ampleur de ce qui reste à accomplir dans ce pays ni devant la difficulté de ce que vous avez déjà fait. Ma propre expérience peut servir aux autres : Evitez la dispersion ; faites peu, peut être, mais faites le bien, avec précision et tranquillité. Croyez - moi en Guinée, un tel comportement et de tels mots pèsent lourd dans votre réussite. La Guinée est un pays d'avenir à condition de transformer son potentiel, de jouer le jeu et de ne pas tenter une autre aventure avant d'avoir réussi la précédente à 100%. L'important est de vivre " avec " les Guinéens, ni au dessus ni à côté. Ils vous le rendront bien.

  Read on