Question 1: M. Thiangui,
merci de nous recevoir. Pour commencer, nous aimerions
vous demander de nous présenter brièvement
la société THIANGUI depuis sa création.
Réponse 1 : Avant de se recentrer
sur l'activité pêche en 1997 et prendre
sa raison sociale définitive, la société
THIANGUI S.A, depuis sa création en 1985,
a changé plusieurs fois de nom et exploré
divers marchés à l'importation comme
ceux de l'agroalimentaire et des matériaux
de construction, autour de la pêche, bien
entendu. Au fil du temps nous avons abandonné
tous ces secteurs connexes.
Question 2 : Pour avoir un meilleur aperçu
de THIANGUI SA, pourriez-vous partager avec nous
les chiffres clés de l'entreprise, à
savoir le nombre d'employés, le nombre
de bateaux, le chiffre d'affaire et la production
annuelle ?
Réponse 2: A terre, la société
compte une trentaine de personnels administratifs.
En mer, une estimation de 200 marins est exacte.
THIANGUI affrète et consigne des bateaux
mais possède son propre armement fort de
5 chalutiers industriels.
Ce n'est ni par coquetterie, ni par culture du
secret mais je n'ai pas le chiffre d'affaire en
tête. Ce que je peux préciser, par
contre, est que le secteur le plus rémunérateur
se situe dans les cinquantaine de bateaux que
THIANGUI S.A affrète et consigne, dont
beaucoup sont immatriculés à l'étranger.
Il faut bien comprendre un aspect essentiel des
choses. Des entreprises comme la nôtre vivent
à 2 niveaux qui ne sont pas dissociables
: Un, faire des profits : deux, redistribuer une
partie de ces profits à l'Afrique, c'est
un équilibre quasi existentiel.
Concrètement cela veut dire quoi ? que
nous exportons à tarif commercial du poisson
vers l'Europe, des crustacés (notamment
la crevette vers Las Palmas), mais aussi des espèces
nombreuses dans nos eaux territoriales. Ces poissons
rentrent de plus en plus dans les habitudes alimentaires
des Asiatiques et nous explorant ce créneau
à fond.
Notre deuxième mission, je la qualifierai
de " sociale ". Dans un pays comme la
Guinée, il importe prioritairement d'assurer
la sécurité alimentaire des populations
notamment en protéines animales dont les
carences pourraient avoir des conséquences
graves en termes d'auto - suffisance alimentaire
et même politiques. D'autre part, la pêche
fait vivre toute une filière créatrice
d'emplois : Des milliers sans doute en vente et
commercialisation. Vous le savez, la Guinée
s'est engagée résolument vis à
vis de la Communauté Internationale dans
un plan de réduction de la pauvreté.
Thiangui S.A est passé à l'acte
: Chaque saison 3 000 tonnes de poissons sont
débarquées de nos chalutiers sur
le marché local, à des prix plus
qu'abordables pour le panier de la ménagère.
La plus - value que nous récoltons, dans
cet acte volontariste, relève de la seule
économie sociale. Dans cette perspective,
la notion de gain n'est pas notre credo. Simplement
nous équilibrons nos comptes face à
ces 3 000 tonnes vendus localement à bas
prix par un millier d'autres vendues à
l'exportation, à plus grosse cote commerciale.
Question 3: Quelle est la concurrence à
laquelle vous faites face ? Pouvez-vous nous indiquer
aussi votre part de marché ?
Réponse 3 : Cette question est cruciale.
C'est même un sujet qui fâche. Pourquoi
? D'abord un constat. La pêche industrielle
Guinéenne ne bénéficie d'aucunes
subventions ni financement des banques, ni crédits
maritimes. L'idéal serait qu'il y ait un
armement national. A la place de cela, les statistiques
sont éloquentes : Sur les 180 bateaux sur
zone, seulement 5 % appartiennent en propre à
des Guinéens ! Une misère de 10 bateaux
face à l'armada étrangère qui
joue sur du velours. D'une part elle exploite nos
ressources halieutiques à grande échelle
mais de surcroît nous sommes obligés
de passer sous ses fourches caudines. |
En effet, la bagarre
est féroce entre les sociétés
de pêche guinéennes elles - mêmes
pour affréter et consigner les navires étrangers,
seuls revenus envisageables pour investir ou réinvestir
dans leur propres bateaux. Dans ce contexte de concurrence
sauvage, les armateurs étrangers fixent leurs
tarifs de consignation comme bon leur semble. Le
plus kafkaïen dans l'histoire est que les bateaux
venus d'ailleurs restent indispensables bien que
leur vieillissement pose de plus en plus de problèmes
; le service rendu compte d'autant plus de risques
et moins en moins d'intérêts. Un comble
.
Pensez qu'une société comme THIANGUI
S.A dont l'armement s'est effectué sans
crédits maritimes se retrouve maintenant
avec ses propres bateaux consignés !
Il serait temps de se donner les moyens de réduire
la flotte étrangère de moitié.
70 bateaux guinéens pourraient gagner assez
d'argent, rendre la pêche plus attractive,
mieux remplir les caisses de l'Etat et mieux gérer
la ressource.
Question 4: Quels sont vos plans pour développer
cette industrie de pêche guinéenne
?
Réponse 4 : Je ne reviens pas sur
le constat fait plus haut. J'ajouterai que non seulement
nous assistons, nous leur vendons nos services et
nos licences de pêche. Mais le poisson pêché
est confisqué à la socio-économie
guinéenne parce qu'il est immédiatement
réexporté. Un armement national, non
seulement s'attaquerait à cette discrimination
mais créerait des activités induites
comme la vente de matériels, la réparation
navale et beaucoup de sociétés nouvelles.
La richesse halieutique étant captée
ailleurs, il serait temps de corriger les perspectives
: Créer un véritable armement national
en passant par un partenariat négocié
avec des sociétés étrangères
ou par des crédits maritimes. Le guinéen
ne peut arriver seul à acquérir,
travailler, rentabiliser et rembourser un chalutier.
A THIANGUI S.A, nous en avons l'expérience.
Question 5 : Quelles sont aujourd'hui vos relations
avec les sociétés étrangères
? Etes vous déjà en partenariat ou
en cherchez vous des partenaires potentiels ?
Réponse 5 : Tout est une question
de confiance et c'est justement pourquoi mes propos
antérieurs sont durs. Il s'agit, pour instaurer
une confiance, de créer un cadre juridique
adapté et une éthique. C'est ce que
j'essaie de faire à travers la Confédération
Nationale des Professionnels de la pêche qui
serait le garde-fou et la garantie entre tout dérapage
éventuel.
Le traité OHADA (Harmonisation des Affaires
en Afrique ) se met d'autre part en place. C'est
une garantie supplémentaire pour les armateurs
étrangers en cas de litige qui pourrait
survenir avec leurs associés guinéens.
Je pense que c'est une bonne approche.
Question 6 : En tant que PDG de THIANGUI, quel
message pourriez-vous adresser à nos lecteurs
de l'Express pour qu'ils viennent investir ici ?
Réponse 6 : Un message optimiste et
lucide, à travers mon propre exemple, je
crois. " L'Exception Guinéenne "
existe bien. On peut la prendre de plein fouet,
s'en accommoder, la modifier. Surtout, il ne faut
jamais se décourager ni devant l'ampleur
de ce qui reste à accomplir dans ce pays
ni devant la difficulté de ce que vous avez
déjà fait. Ma propre expérience
peut servir aux autres : Evitez la dispersion ;
faites peu, peut être, mais faites le bien,
avec précision et tranquillité. Croyez
- moi en Guinée, un tel comportement et de
tels mots pèsent lourd dans votre réussite.
La Guinée est un pays d'avenir à condition
de transformer son potentiel, de jouer le jeu et
de ne pas tenter une autre aventure avant d'avoir
réussi la précédente à
100%. L'important est de vivre " avec "
les Guinéens, ni au dessus ni à côté.
Ils vous le rendront bien. |