MADAGASCAR
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V.I.P. INTERVIEWS



Interview de:

Mme Florette Andriamiarisatrana
Présidente du Comité de Réflexion sur la Compétitivité (CRC)

Présidente de l'Association des Femmes Entrepreneurs Malgaches (FEM) 

Vous êtes une femme très active, pourriez vous vous présenter et nous donner un bref aperçu de vos multiples responsabilités ? 

Je suis mariée et j'ai 3 grands fils. Je suis docteur vétérinaire, j'ai fait mes études à l'école nationale vétérinaire de Toulouse. Je suis ingénieur d'industrie agroalimentaire, diplôme obtenu à Paris. Je suis revenue à Madagascar il y à 25 ans, pendant huit ans j'ai travaillé pour l'Etat. Durant mes études dans l'agroalimentaire je me suis spécialisée sur le lait. J'ai travaillé pour une entreprise étatique, le Bureau Central Laitier, dont j'étais le directeur technique durant 3 ans. Après je suis devenue directeur de l'élevage et de la pêche, j'ai été la première femme et la plus jeune à prendre ce poste. Par la suite, j'ai été conseiller technique de plusieurs ministres de l'agriculture et de l'industrie. Malgré tout je n'étais pas faite pour être fonctionnaire, et j'ai commencé à créer mes sociétés. La première est un cabinet vétérinaire appelé ''Veto Conseil'' en 1986. Après j'ai travaillé dans l'agriculture, j'ai créé le premier élevage de poulet de chair, le premier à Madagascar. J'ai exporté de la viande bovine sur l'Europe, jusqu'en 1997, année où l'Union Européenne a sanctionné Madagascar pour des raisons de santé animale et non pas pour un manque de conformité aux normes des abattoirs. Et jusqu'à aujourd'hui l'agrément n'a pas été accordé.

Je suis actionnaire dans huit sociétés, qui travaillent dans l'agriculture, la pêche artisanale, et dans les zones franches, du textile, des oignons et des huiles essentielles. Je suis Présidente de l'association des Femmes Entrepreneurs de Madagascar (FEM), qui est l'équivalent de l'association des femmes chefs d'entreprises. Notre association compte 70 femmes, toutes propriétaires et chefs de leurs entreprises. Je suis Vice-Présidente du Groupement des Aquaculteurs et Pêcheurs de Crevettes de Madagascar (GAPCM), membre du Groupement des Entreprises Franches et Partenaires (GEFP), et Présidente du Comité de Réflexion sur la Compétitivité (CRC). Ce groupe réunit 202 groupements patronaux, et sert de plate-forme de discussion entre le secteur privé et l'administration. Tous les grands groupements se réunissent au sein du CRC, dont je suis la Présidente depuis sa création en 1996. 

Quels sont en ce moment les grands chevaux de bataille du CRC ? 

Le CRC a trois préoccupations principales actuellement. D'abord faciliter les investissements à Madagascar,  pour les malgaches et pour les étrangers installés à Madagascar, mais également pour les Investisseurs Directs Etrangers (IDE).

Deuxièmement, faciliter et simplifier les procédures d'investissement, réformer la fiscalité pour qu'elle soit pérenne, équitable, incitative, et simplifiée. L'application de la fiscalité n'était pas équitable avant, les taux changeaient d'une année sur l'autre. Ce fut le cas avec les entreprises franches qui ne devaient pas payer de TVA à l'origine, et qui, finalement, ont du s'acquitter de 20% de TVA l'année dernière. Nous continuons la lutte sur ce front et nous n'arrêterons pas tant que nous n'aurons pas  eu gain de cause.

Et enfin, développer les exportations au maximum. Il faut aider les sociétés malgaches à exporter, à trouver des marchés tant dans l'Océan Indien  que dans l'Asie du Sud-Est. Le but est d'ouvrir Madagascar aux nouveaux marchés, et développer de nouveaux produits Il nous faut trouver des niches de marché que nous puissions exploiter, et devenir compétitifs sur ces niches et non pas seulement sur les produits traditionnels.  

Il y a donc un axe principal vers l'exportation. Quel retour escomptez vous au niveau local ? 

Ce sont des créations d'emplois, ce sont des investissements en surplus. C'est une amélioration du pouvoir d'achat,  une augmentation du taux de croissance. On annonce dans le Document Stratégique sur la Réduction de la Pauvreté (DSRP) que le taux de croissance sera de 6,5% l'année prochaine, mais nous pensons que 8% est le taux minimum à atteindre pour fin 2003. Autrement le ménage malgache ne percevra pas une amélioration de son quotidien. 

Est ce qu'il ne faut pas soutenir plus les entreprises qui destinent leurs produits au marché local ? 

Si une entreprise trouve un marché à l'exportation, il faudrait qu'elle se crée dans une zone franche. Nous n'avons pas de revendication majeure à ce niveau, ce que nous désirons en revanche, c'est que les 5% que les entreprises sont autorisées à vendre sur le marché local soient augmentés à 10%. Les entreprises produisant pour le marché local devrait être protégés par des normes tarifaires, comme ce qui se fait dans tous les pays dévellopés. 

Le secteur privé a-t-il une volonté commune de faire avancer les choses ? 

La création du CRC a permis de franchir un grand pas. Avant c'était chacun pour soi, tout le monde se battait pour son marché sans programme commun et sans vision. En 1992 nous avions organisé une plate-forme officieuse qui se réunissait périodiquement pour plus ou moins fédérer les revendications ou organiser nos tractations avec l'administration. Depuis le CRC, tous les groupements patronaux sont d'accord pour dire que les choses se sont améliorées.

Aujourd'hui tout le monde est d'accord sur les 5 secteurs que l'ont doit prioriser. Tout le monde est d'accord au sujet de la lutte contre la corruption. Il y a eu vraiment un effort de fait par le secteur privé, pour que son lobbying soit plus fort. Mais les efforts doivent continuer. En 1999 nous avons dû livrer un bras de fer avec l'administration, mais en restant ferme nous avons eu gain de cause. Le secteur privé a vraiment fait des efforts pour renforcer son lobbying, mais bien sûr il reste encore beaucoup à entreprendre. 

Quel soutien recevez-vous des institutions internationales ? 

Nous sommes soutenus par la Banque Mondiale qui finance le CRC. Nous sommes écoutés par les bailleurs de fonds qu'on appelle maintenant « partenaires techniques et financiers ». Nous avons de très bonnes relations avec les représentations présentes sur le territoire ainsi qu'avec les missions qui viennent régulièrement. Nous travaillons avec l'Union Européenne, avec le Japon, avec de nombreux partenaires. Nous faisons du lobbying auprès d'eux parfois pour qu'ils nous aident vis à vis de l'administration, on essaye d'avoir un dialogue à trois qui soit constructif. Je crois qu'aujourd'hui nous avons une ambiance de travail assez bonne et productive. 

Quel sont pour vous les priorités pour le développement? 

C'est d'abord l'agriculture, 70% des pauvres sont en milieu agricole. Je travaille beaucoup dans ce domaine, donc je vois vraiment cette réalité sur le terrain. Il faut faire de grands efforts. On commence à bouger, il y a un Programme de Stratégie de Développement Rural (PSDR) qui a un budget de 88 millions d'US$. Il y a toujours eu de l'argent et des projets, mais il faut une plus grande transparence des dépenses et de la gestion. Il faut que les bénéficiaires qu'ils soient paysans ou du secteur privé puissent avoir un suivi. Il faut que les fonds arrivent vraiment aux personnes qui en ont besoin. C'est notre credo. 

Où en est le Document Stratégique sur la Réduction de la Pauvreté (DSRP) ? 

Il est fini, mais la mise en application reste la grande question. Nous avons demandé s'il avait été appliqué en 2001, on nous a répondu qu'il l'avait été. Soit, mais où ? Comment ? Le secteur privé avait proposé 4 idées.
1) D'abord, qu'une partie de cet argent devait être emprunté par l'état aux banques, pour financer des crédits à moyen et long terme à des taux assez bas pour les petites et moyennes entreprises. On a demandé 5% des 50 millions d'US$ tous les ans. Par exemple, je fais produire des oignons par des paysans, puis j'exporte sur la réunion. Les paysans n'ont pas d'argent donc je suis obligée de les pré-financer et donc d'emprunter à la banque, mais l'oignon est au prix international. Je dois débourser environ 1 million FF, car je dois payer cash le paysan, en revanche mes exportations sont payées 30 jours après. Les taux bancaires réduisent ma compétitivité, donc j'ai un manque à gagner.  Nous voyons qu'il y a un financement qu'il faut prendre en charge, car le paysan ne va pas exporter. Les privés disent aux paysans ce qu'ils doivent planter et comment faire  pour que leur production soit aux normes internationales, puis ils rachètent leurs produits et les revendent à l'exportation. C'est structuré comme ça dans le monde entier. Ce financement n'a pas eu l'accord du gouvernement.

2) Ensuite nous avons dit qu'au lieu de saupoudrer Madagascar avec des aides éparses, nous devions essayer de choisir 30 communes pilotes sur la 1er année et d'y concentrer les investissements. Le programme mettra tous les efforts sur ces 30 communes, et recréera les structures qui manquent. Et le secteur privé s'engage à investir là où l'état aura fait un effort d'investissement. Dans ces communes pilotes les Malgaches reprennent espoir car ils voient qu'une dynamique se crée.

Cette proposition n'a pas été retenue.

3) Nous avons demandé que les secteurs prioritaires soient définis ensemble. Cette proposition a été retenue. Maintenant il faut définir et mettre en place une stratégie commune pour développer ces secteurs prioritaires.

4) En quatrième point, nous avons réclamé une meilleure lisibilité des programmes de développement rural. Par exemple il fallait recruter 4000 instituteurs pour 2001. Mais dites nous dans quelles provinces il y aura un instituteur ? Ou quelle région ? Le destinataire final saura ainsi et peut contrôler si son instituteur, son médecin, ses écoles, ses routes ont été effectués. Il faut que l'on démontre aux gens que cet argent a bien été injecté à l'endroit annoncé.

Malheureusement nous n'avons eu gain de cause que sur un point, les secteurs prioritaires. Les trois autres ne se sont pas retrouvés dans le DSRP.

Nous n'allons pas baisser les bras pour autant, c'est un document évolutif. On va se battre pour que cela arrive l'année prochaine. Nous avons réclamé auprès de nos partenaires techniques et financiers, non pas qu'ils nous donnent de l'argent, mais qu'ils le placent à la banque pour qu'elle puisse nous prêter à des taux raisonnables car les banques sont traditionnellement frileuses quand on parle de l'agriculture. Aujourd'hui, un paysan emprunte à 36%, comment voulez-vous qu'il puisse s'en sortir ? Moi je suis obligée de payer le crédit a 16%, donc il est fort difficile pour moi d'être compétitive. Tous les autres pays qui exportent à Madagascar sont aidés par leurs gouvernements. Nous sommes pauvres et non subventionnés. Il faut sortir des textes sur l'agriculture, trouver des finances adaptées au contexte international. On n'a pas les même infrastructures, les même problèmes, les même possibilités. Il faut que les partenaires internationaux comprennent les différences qui existent. 

Quelle est aujourd'hui la place de la femme malgache au sein de l'économie ? 

34% des entreprises formelles privées à Madagascar appartiennent à des femmes. Formelles, ce qui veut dire qu'elles payent des impôts. Ce sont en général de petites entreprises. 65% des entreprises informelles sont à des femmes. 35% des chefs de familles en milieu paysan sont des femmes. Dans ces 35% de femmes chefs de familles, on a le taux de scolarité le plus élevé. Voilà en 3 chiffres la place de la femme dans la société Malgache. 

Quels développements voyez vous à court terme ? 

En 10 ans nous sommes passés de 21% à 34% de femmes chefs d'entreprise formelles. C'est vraiment exponentiel et actuellement beaucoup de femmes se lancent dans la création de petites entreprises. Dans moins de 15 ans nous arriveront à plus de 50% des entreprises qui seront dirigées par des femmes

Est ce qu'il existe encore des freins à ce développement?

Au niveau culturel nous n'avons pas de frein sauf dans le sud de Madagascar. Dans le sud la femme n'hérite pas des terres. Les lois sont là mais la tradition est priorisée. Au niveau de la création d'entreprises il n y a pas tellement de frein culturel. Le plus grand frein est financier. Il n'est pas possible pour moi si je vais à la banque, d'emprunter sans la co-signature de mon mari. Moins de 15% des financements des banques vont à des femmes. 

Quels sont les principaux secteurs où les femmes créent leurs entreprises?

Le tourisme, l'artisanat, et les cabinets de consultants. 

Quelles mesures seraient plus incitatives pour les femmes ? 

Non je ne crois pas qu'il y ait des mesures propres aux femmes. Je ne suis pas féministe à ce point là. Je crois qu'un dirigeant, homme ou femme, doit affronter les même difficultés. Ce qu'on peut faire c'est créer des réseaux pour que les femmes trouvent les informations, et le financement ; ceci pour les aider à trouver les marchés, parce qu'elles ont beaucoup plus de difficultés. Ce sont les informations et la gestion qui font défaut. Dans les petites entreprises les femmes on tendance à confondre les caisses de la société et celle de la famille. 

Quels conseils donneriez vous a un investisseur voulant venir ici ? 

La meilleure solution est de voir les associations en place. Au CRC nous donnons toutes les informations, qui sont également mises à jour sur le net régulièrement. Quand ils arrivent ils doivent se rapprocher des associations de leurs secteurs respectifs.

Pour les investisseurs, le problème du foncier se pose également. Il y a déjà une spéculation sur les terrains, ce qui ne peut que nuire au contexte des affaires en général.  Il vaut mieux le bail emphyteotique de 99 ans, il n'y aura pas trop de surenchère et cela permettra à certains malgaches de ne pas éprouver de la rancune par rapport à certains étrangers. 

Quelle a été récemment pour vous la plus grande satisfaction et quel est le défi auquel vous faites face? 

C'était l'année dernière, voir une famille paysanne toucher 10 millions de Fmg. Ils n'avaient jamais rêvé de ça avant. C'était quelque chose d'immense. Ils n'ont pas non plus dépensé l'argent à tort et à travers. Ce n'était pas comme trouver du saphir et dépenser l'argent de suite. C'était une très grande joie pour moi.

Le défi est de donner au paysannat une stature d'entreprise. Il faut qu'ils reconnaissent leur appartenance au secteur privé, ce sont des entrepreneurs. Qu'ils rêvent et qu'ils croient qu'ils peuvent s'en tirer. On y arrivera en y mettant tous du notre. Ils travaillent très dur et avec un peu d'aide comme le PSDR, cela peut changer beaucoup de choses à Madagascar.


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© World INvestment NEws, 2002.
This is the electronic edition of the special country report on Madagascar published in Far Eastern Economic Review.  March 28 th, 2002 Issue.
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