Algerie
VERS A DÉVÉLOPPEMENT DURABLE DE L`ALGERIE


V.I.P. INTERVIEWS
 
INTERVIEW REALISEE AVEC MONSIEUR NOREDDINE SALAH

MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE

FAR EASTERN ECONOMIC REVIEW

DECEMBRE 2002



Comment voyez-vous les ressources humaines en Algérie et surtout leur éducation, moteur de croissance dans l'économie algérienne?

On ne peut répondre à cela sans faire une brève rétrospective. Il faut savoir que l'Algérie s'est ouverte à l'Indépendance avec de graves difficultés sur le plan éducatif. Elle a organisé, en 1962, une rentrée scolaire dans des conditions difficiles, avec le départ de 17.000 enseignants français sur les 19.000 qui étaient en place. Il fallait donc les remplacer, mais c'était un des objectifs fondamentaux du gouvernement de l'époque, qui s'est imposé le défi d'assurer l'ouverture des portes de l'école et répondre ainsi à l'une des aspirations les plus légitimes et les plus pressantes du peuple algérien. Ces enseignants ont été remplacés par le recours à la coopération de beaucoup de pays, notamment moyens orientaux, seuls ayant répondu à l'appel. Aujourd'hui nous pouvons dire avec beaucoup de fierté que l'Algérie a rattrapé ses retards historiques en matière de scolarisation. Et elle a pu, depuis l'indépendance, avec beaucoup de courage et de sacrifices, faire face à la demande nouvelle qui s'exprimait en matière d'éducation et qui était de plus en plus forte compte tenu de l'explosion démographique. Et cela pour deux raisons: la première est que l'Algérie a accordé une priorité absolue au développement du système éducatif ; elle lui a accordé pendant deux décennies consécutives 11% à 13 % du PIB. La deuxième raison est qu'elle a opté très tôt, dès les années 60, ce qui n'était pas le cas de beaucoup de pays comparables, pour la gratuité de l'enseignement et sa démocratisation. Le résultat est qu'aujourd'hui nous avons 8 millions d'élèves à l'école et que des pays comparables du point de vue de la population ont 2 à 3 millions d'élèves de moins que nous. Nous avons mis en place une politique de soutien à la scolarisation à la fois intense et soutenue à travers les cantines, le transport scolaire, les trousseaux et les bourses. Et nous avons dans ce sens là des dépenses sociales importantes. La première grande conclusion sur laquelle je veux mettre l'accent est que nous avons rattrapé les immenses retards historiques et que nous avons pu faire face à la demande nouvelle qui s'exprimait depuis l'Indépendance. Quelques chiffres : aujourd'hui, 28% de la population algérienne est à l'école contre 8% à l'indépendance, pour une population qui a triplé.

Vous parlez des personnes qui sont en âge d'être scolarisées?

Tout à fait, et je parle de l'école au sens large, y compris l'université. Deuxième grande conclusion, le taux de scolarisation était dans les années 1965/1966 de 38%. Aujourd'hui il est de 82%. Troisième point important, la participation féminine, qui était quasi insignifiante à l'Indépendance, est actuellement quasiment paritaire dans l'enseignement primaire, majoritaire dans l'enseignement secondaire avec 51,5% ainsi qu'à l'université avec 55%. 4ème point, également le taux d'analphabétisme; il était de 85% à l'Indépendance, européens compris. Sans ces derniers, il était de 91%. Aujourd'hui il est de 31%, soit trois fois inférieur. Le cinquième point important est qu'aujourd'hui nous avons un potentiel humain d'enseignants considérables, 14 fois plus élevé qu'à l'Indépendance. Nous avons un important potentiel en matière d'infrastructures et d'établissements. Pour mesurer le chemin parcouru depuis l'indépendance, il faut souligner que nous avons réalisé en 40 ans, 20 à 40 fois plus que ce que la France a fait en 130 ans. La France réalisait en moyenne 150 classes primaires par an. Nous en avons réalisé en moyenne 3.000 par an. Cette année, nous avons réalisé 3.857 salles de classes. En terme de collèges, la France réalisait 2 collèges en moyenne par an. Nous en avons réalisé près de 80 par an. En termes de lycées, la France construisait 1 lycée tous les 4-5ans, nous en réalisons à peu près 40 par an. Nous avions à l'indépendance 17 centres de formation professionnelle, nous en avons aujourd'hui 500. Nous avions 1.000 étudiants à l'Indépendance, aujourd'hui ils sont au nombre de 630.000. Nous n'avions aussi qu'une ville universitaire, actuellement l'Algérie en compte 30. Le nombre des bacheliers est passé de 1. 700 à l'indépendance à 130.000 actuellement. Tous ces écarts ont été réalisés tout en ouvrant plusieurs fronts dans d'autres directions. Il y avait celui de la démocratisation, avec les implications en matière de construction et de formation des enseignants, la gestion d'un gigantesque système en même temps qu'il fallait relever le défi de la récupération de la langue et de la culture nationale. Il fallait nationaliser les programmes et récupérer la langue arabe qui était, avant, quasiment interdite dans son propre pays, ainsi que développer et diffuser la culture nationale. Cela s'est fait dans le cadre d'un processus complexe qui n'a pas toujours donné de bons résultats sur le plan qualitatif. Dans l'ensemble, au risque de me répéter, nous avons rattrapé le retard historique, nous avons fait face à la demande nouvelle avec un taux de croissance démographique de l'ordre de 3,2 %. Je signale au passage que nous en sommes à 1,4% aujourd'hui et c'est pour cette raison que les effectifs se stabilisent. Mais tout cela a été très difficile car nous avons fait le choix d'un projet éducatif d'essence démocratique et donc choisi délibérément de gérer les contraintes au quotidien. Nous n'avons pas ou peu été aidés et avons compté sur nous même. Aujourd'hui nous avons récupéré l'aspect culturel, nous avons fait les progrès qu'il fallait pour permettre à tous les enfants algériens d'aller à l'école.

Pourquoi des réformes du système éducatif national ?

Nous avons en fait gagné la bataille quantitative, nous sommes en train d'ouvrir le front de la bataille qualitative. Le fait que nous ayons à choisir ce type de modèle de gestion de contraintes et non pas une évolution au fil de l'eau du système éducatif a fait que nous avons eu quelques retombées négatives. Première retombée importante est le fait d'avoir des zones difficiles où le taux de scolarisation est encore relativement faible. Nous allons donc nous intéresser davantage aux zones d'éducation prioritaires. Deuxièmement, nous avons des rendements faibles, des taux excessifs de redoublement, des exclusions et des échecs aux examens. Nous avons eu cette année 34% de réussite au baccalauréat, à peu près 35% de réussite au brevet ; nous avons donc à parachever le processus de démocratisation de l'enseignement, en limitant les déperditions et aussi à augmenter le taux de rendement du système éducatif. Nous avons également des insuffisances sur le plan de la qualification des enseignants car il fallait recruter en masse avec des niveaux faibles, former rapidement et donc livrer au système éducatif les enseignants qu'il fallait. Nous avons dû recruter et former quelque 380.000 enseignants. Nous avons donc à ce niveau là un grand chantier de valorisation de la qualification de ceux qui ont les déficits les plus lourds, mais il faut reconnaître que la sous-qualification n'est pas de la faute des enseignants, mais plutôt du dispositif lui-même et du rythme imprimé à la croissance du système éducatif.

Avez-vous, dans ce sens, des accords avec des institutions internationales qui vous permettent d'améliorer la qualification de vos enseignants ?

Nous avons demandé à plusieurs pays ainsi qu'à des organisations internationales comme l'UNESCO de nous aider, d'abord sur le plan méthodologique, et aussi sur celui de la mise en œuvre de la formation des enseignants. Mais quelles que soient la nature ou l'importance de ces aides, elles resteront insuffisantes par rapport aux besoins.

Si vous permettez je souhaiterais poursuivre sur la question précédente relative aux exigences liées aux réformes. Nous avons aussi le problème de l'inadaptation des programmes, d'enseignement qui n'ont pas été revus depuis longtemps ; ils sont assez vieux et parfois obsolètes, il faut donc les adapter. Il faut aussi adapter l'école par rapport aux besoins de l'économie. Là il y a matière à réflexion dans le cadre de la réforme que nous avons engagée et qui est en état de préparation avancée pour sa mise en œuvre.









Mais globalement, les insuffisances sont liées à la sous-qualification des enseignants, au vieillissement des programmes, à la non-adaptation au progrès universel et au faible rendement du système, bien que nous y consacrions des moyens financiers considérables. Voilà donc le diagnostic que nous pouvons établir pour le moment et qui nous conduit à engager la réforme sans tarder.

Quelles sont les lignes de force de la réforme ?

Le Président de la République a engagé une réflexion à ce sujet à travers une commission nationale qui a rendu ses conclusions. Le conseil des ministres et le gouvernement les ont examinées, et des axes de travail ont été arrêtés dans le cadre du programme du gouvernement, qui a été adopté par l'assemblée populaire nationale. Ces axes sont, premièrement, la formation et le perfectionnement des enseignants et de tout l'encadrement administratif et de gestion, afin de donner aux acteurs du système éducatif plus de qualification et qu'ils puissent ainsi améliorer la qualité des enseignements et en même temps que le système éducatif soit mieux géré, avec une amélioration de sa rentabilité. Le perfectionnement des enseignants constitue un énorme chantier puisqu'il y en a plus de 100.000 à recycler pour qu'ils puissent mener à bien la réforme. Un deuxième chantier concerne la refonte de la pédagogie et la réhabilitation des champs disciplinaires. Nous entrons dans une nouvelle phase qui consiste à ouvrir l'élaboration du livre et du manuel scolaire à l'édition privée nationale et étrangère, l'Etat gardant évidemment la maîtrise exclusive et totale des programmes et des contenus. J'ai installé dernièrement à cet effet une nouvelle commission des programmes, pour prendre en compte les nouvelles orientations du système éducatif. Nous lancerons des appels d'offres aux éditeurs qui vont soumettre leurs propositions de manuels scolaires pour que nous puissions, dès la prochaine rentrée, les inclure dans le cadre de la réforme et mettre les nouveaux livres à la disposition des élèves s'ils sont acceptés par la commission d'homologation. Nous allons réhabiliter la philosophie et l'histoire en tant que disciplines majeures, réintroduire la symbolique universelle et faire de sérieux efforts sur le plan de la qualité des manuels au plan des contenus mais aussi sur le plan de la forme, des couleurs et de la présentation.

Et les autres pôles de la réforme ?

Le troisième pôle de la réforme est la réorganisation du système éducatif. La première mesure est d'alléger les programmes car les nôtres sont parmi les plus chargés du monde. Nous avons réduit en 1980 la durée de l'enseignement dans le collège à 3 ans, et nous nous sommes aperçus qu'il en résultait des programmes trop chargés, avec 38 heures par semaine. Nous allons redéployer l'enseignement du collège sur 4 années, mais en maintenant le même volume horaire global des 3 ans. Pour l'enseignement primaire nous allons peut-être le réduire de 6 à 5 ans, en relation avec le développement, au préalable, de l'enseignement préscolaire. Ce sont donc les modifications concernant l'éducation de base obligatoire. Mais il faut dire qu'avec ces mesures, nous n'aurons pas réglé le problème de la réorganisation car après l'éducation de base obligatoire nous avons un gros problème avec tous ceux qui passent dans l'enseignement secondaire et qui veulent tous aller vers le baccalauréat car l'enseignement technique ou les cursus professionnels courts n'attirent pas les élèves. Or nous savons que 70% des élèves algériens échouent au baccalauréat. Nous allons donc introduire un segment nouveau qu'on appelle l'enseignement professionnel pour leur donner une formation et une qualification au lieu de les laisser s'engager dans une voie sans issue. Nous voulons les préparer à des familles de métier et non à des postes, comme dans la formation professionnelle, pour leur permettre d'être polyvalents, plus aptes à la mobilité professionnelle et ainsi s'adapter l'évolution de l'emploi. Cet enseignement est moins cher que la formation professionnelle. Les meilleurs pourront, par la suite, poursuivre leurs études à l'université ou dans des instituts supérieurs. Il nous faudra donc créer entre ce type d'enseignement et l'université des ponts et des passerelles. Il y aura toujours, à côté, la formation professionnelle qui constitue un autre segment. Notre ultime objectif est de donner à tous les moyens de pouvoir s'instruire et se former sans limitation aucune, sauf celle liée aux aptitudes.

Quelles sont les actions entreprises dans le cadre de l'adaptation des programmes par rapport aux enjeux économiques, ainsi que l'adaptation des mentalités?

Il y a là deux voies importantes, la première est que nous allons nous ouvrir considérablement aux nouvelles technologies. Nous sommes en train d'équiper tous les établissements en dispositifs informatiques et nous avons une grande bataille à mener, qui est celle des contenus. Il ne s'agit pas d'acheter de l'équipement informatique, mais de savoir quel usage on en fait. Ou bien l'informatique investit la pédagogie, et à ce moment là la révolution des mentalités se fait, ou bien elle reste un instrument de manipulation technique, et dans ce cas là nous aurons raté le rendez-vous. Notre mission est de faire en sorte que l'informatique soit un pont et une fenêtre importante d'ouverture sur le monde, mais aussi un instrument essentiel au service de la pédagogie. Nous allons créer dans ce sens un grand centre des innovations des technologies de l'information et de la communication de l'éducation. Nous voulons être autonomes du point de vue de l'accès sur Internet, et à ce titre être notre propre provider. Nous voulons que l'éducation dispose de tous les contenus multimédias éducatifs dont nous avons besoin. L'informatique va être un instrument important qui va permettre d'ériger des ponts. Les contenus seront d'abord en arabe car nos enseignants sont majoritairement des arabophones. Sur ce plan là nous avons beaucoup de retard, c'est pour cela qu'il faut que l'UNESCO nous aide. Si nous gagnons la bataille des contenus en arabe, l'introduction des TIC dans l'éducation sera assurée car les contenus en français et en anglais sont disponibles et nous avons les possibilités d'y accéder facilement. Nous aurons fait un chemin considérable, à la fois pour la formation des enseignants, pour leur perfectionnement, mais aussi pour la refonte des programmes. Lorsqu'un enseignant pourra accéder, avant de dispenser son cours, à tous les programmes disponibles de différents pays, nous aurons gagné un pari important dans la relation que peut avoir l'enseignant avec l'élève, mais aussi dans la confiance de l'enseignant en lui-même. Pour mener cette bataille, nous avons les crédits nécessaires pour équiper les établissements. Nous donnons la priorité à la salle des professeurs, ainsi qu'à une salle informatisée pour les élèves. Nous allons "remplir" les instituts de formation de formateurs d'équipements informatiques. Nous estimons que les enseignants sont dorénavant une partie de la solution de la question pédagogique et qu'ils sont impliqués dans la mise en œuvre de la réforme. Une réforme fondée sur une démarche graduelle et méthodique, et basée sur l'expérimentation.

Avez-vous un dernier message que vous aimeriez transmettre aux investisseurs étrangers à propos de la jeunesse algérienne?

73% de la population algérienne est née après l'Indépendance ; cette jeunesse n'a pas les mêmes ambitions ni les mêmes réactions que ses aînés. Elle veut voyager davantage, s'ouvrir au monde ; elle n'a pas les mêmes types de débats. La jeunesse d'aujourd'hui est segmentée ; il y a des jeunes qui sont à l'école et ceux, toujours plus nombreux, qu'il faut former et auxquels il faut trouver du travail. Nous sommes en train d'avancer, après une période de crise difficile, dans le cadre du processus démocratique pour construire un Etat de droit où notre jeunesse qui est inventive, imaginative et " débrouillarde " trouvera une bonne place. Nous avons de grandes capacités pour la former et la qualifier au service de l'économie nationale. Elle a l'esprit d'entreprise et d'initiative, ce qui me permet de mettre beaucoup d'espoir en elle.

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