Quelles mesures sont mises en place
pour pallier le manque en eau potable et
les problèmes d'irrigation?
Il faut d'abord expliquer les raisons de
ce manque avant de parler de mesures. Le
manque est dû à deux raisons
essentielles. D'abord il y a la sécheresse
qui dure depuis plus de 20 ans, mais est
devient très chronique depuis 3 ans.
Il pleut 2 à 3 fois moins que la
moyenne annuelle. C'est ce qui a provoqué
l'assèchement de certains barrages
; il ne restait plus que les volumes de
sécurité qu'on ne pouvait
pas pomper. Un autre problème réside
dans les dix dernières années,
terribles pour le pays, tant sur le plan
sécuritaire que sur celui des moyens
financiers. La plupart des grands projets
et infrastructures de mobilisation d'eau
ont été pratiquement arrêtés
ou retardés durant cette période.
Nous avons été obligés
de reporter pas mal de choses, à
tel point qu'aujourd'hui l'Algérie
n'a une capacité de mobilisation
d'eau que de 5 milliards de mètres
cube. Il n'y a plus aujourd'hui que 1,3
milliards de mètres cube dans les
barrages. Il y a aussi les nappes, mais
celles-ci sont surexploitées. Nous
sommes actuellement dans une situation de
pénurie d'eau en Algérie,
non seulement pour l'eau potable mais aussi
pour celle destinée à l'agriculture.
Aujourd'hui, il y a tellement peu d'eau
que nous avons été obligés
de réduire les volumes alloués
à l'agriculture, ainsi nous faisons
moins d'irrigation qu'auparavant. Des programmes
d'urgence exceptionnels ont été
mis en place pour répondre aux besoins
immédiats ; c'est, par exemple, ce
que nous avons fait pour la ville d'Alger,
grande consommatrice d'eau. Ces mesures
d'urgence nous incitent à forer de
nouveaux puits pour pomper l'eau de la nappe
de la Mitidja qui est déjà
surexploitée, notamment à
cause des agriculteurs et des villes situées
au-dessus. Rien que pour la ville d'Alger,
nous pompons environ 350 milles mètres
cube par jour. Nous avons été
obligés de construire des puits supplémentaires
pour arriver à ce niveau, le principal
barrage alimentant Alger étant pratiquement
sec. La deuxième opération
que nous sommes en train de clôturer
pour remédier à ce déficit
en eau est le raccordement de trois barrages,
qui étaient initialement destinés
à d'autres villes situées
à l'ouest d'Alger ou à l'agriculture.
Nous allons y prendre 150 milles mètres
cube par jour pour alimenter Alger. Ces
travaux de raccordement ont nécessité
quelques dix milliards de dinars et ont
été entrepris dans un délai
de six mois, par une quinzaine de sociétés
nationales et internationales. Nous avons
aussi réalisé quelques solutions
complémentaires, tels l'achat d'unités
de dessalement monoblocs qui traitent chacune
2.500 à 5.000 mètres cube
jour. Six d'entre elles sont en cours de
montage dans la région d'Alger. Il
y a aussi d'autres villes où nous
réalisons des programmes similaires.
Ainsi, nous avons raccordé un barrage,
initialement destiné à l'agriculture,
à la ville de Skikda. La fin des
travaux est prévue pour décembre.
Skikda était une ville particulièrement
atteinte avec accès à l'eau
seulement un jour sur huit. Nous sommes
donc actuellement en train de travailler
avec une dizaine d'entreprises pour raccorder
le barrage au plus vite. Il y a aussi un
programme d'urgence destiné à
toutes les autres villes touchées.
Celles situées sur la côte
doivent jouir de petites unités monobloc
de dessalement ; pour les villes situées
plus à l'intérieur du pays
nous sommes obligés de faire des
forages, malgré la surexploitation
des nappes. Mais ce n'est pas uniquement
avec ces programmes d'urgence que nous allons
régler le problème de l'eau.
L'Etat algérien a mis à notre
disposition des moyens financiers considérables,
environ 370 milliards de dinars pour le
programme en cours. La loi de finance 2003
prévoit par ailleurs 145 milliards
de dinars d'investissement dans le secteur
de l'eau, pour des projets qui vont s'ouvrir
et vont s'étaler dans le temps.
Pouvez-vous élaborer davantage
sur les mesures alternatives envisagées
par l'Algérie afin de combler le
déficit en eau?
Si on établit le bilan hydrique
de l'Algérie, nous pouvons dire que
nous avons un déficit chronique en
eau. Lorsqu'on voit la capacité des
barrages actuels, et celle de ceux qui sont
en cours de construction, nous constatons
que le déficit va demeurer sinon
s'accroître d'ici cinq ans, même
si on garde la cadence de réalisation
actuelle. Cela veut dire qu'il faut trouver
d'autres ressources en eau non conventionnelles.
La plus connue dans le monde est le dessalement.
C'est pour cela que nous menons plusieurs
actions en ce sens. La première est
de généraliser le dessalement
le long de la côte algérienne.
Nous allons, par ailleurs, essayé
de produire, d'ici cinq ans, un million
de mètres cube par jour le long de
la côte pour alimenter les principales
villes. Nous comptons le faire en partenariat,
et avons déjà lancé
un appel d'offre en ce sens dans la région
d'Oran, où une usine est actuellement
en construction. Nous pourrons y produire
de l'électricité et de l'eau
dessalée en même temps.
Le dessalement ne coûte t-il pas
extrêmement cher ?
Tout est relatif. C'est cher peut être
lorsque vous avez de l'eau en abondance.
Mais nous, nos besoins sont tels qu'il n'y
a pas d'autres moyens à moyen terme
pour disposer d'eau. D'autre part, la technologie
de dessalement a énormément
évoluée. Lorsque vous calculez
le prix de revient de l'eau obtenue avec
les barrages, en incluant l'amortissement,
le transport, le traitement et la distribution,
vous n'êtes pas loin du coût
du dessalement, entre 65 et 70 dinars le
mètre cube.Il n'y a donc pas une
grosse différence en matière
de prix entre l'eau du barrage et celui
de l'eau dessalée. Et puis chez nous,
c'est le seul moyen d'avoir de l'eau en
abondance à un prix relativement
raisonnable. Maintenant, il faut gérer
cette eau convenablement. Il va falloir
la facturer à son prix et savoir
départager entre ce que doit prendre
l'Etat et le consommateur.Une autre solution
dans notre lutte contre la pénurie
d'eau en Algérie est un meilleur
entretient des canalisations. Dans tous
les réseaux de distribution d'eau
nous perdons énormément du
fait de la vétusté des canalisations.
Nous perdons entre 30% et 50% de l'eau distribuée,
c'est énorme.
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C'est en fait l'équivalent de la
production de plusieurs barrages. Si nous
investissions dans la rénovation
de ces réseaux, nous récupérerons
donc sensiblement. L'Etat a pris conscience
de ce problème et nous a donné
les moyens financiers nécessaires
pour rénover les canalisations de
toutes les grandes villes. Nous allons donc
investir considérablement en ce sens.
C'est là une décision absolument
nécessaire, car toutes les sociétés
de distribution d'eau sont déficitaires,
en raison notamment de ces pertes. Elles
font à peine 30% à 40 % du
chiffre d'affaires qu'elles devraient réellement
réaliser. Elles mettent de l'eau
dans les canalisations, mais la moitié
n'est pas payée car elle est soit
perdue, soit consommée de manière
illégale. Cela nous oblige aussi
à revoir notre système de
gestion. Il faut établir un bon contrat
entre l'Etat, chargé de veiller à
ce que le service public soit assuré,
et le partenaire ou le concessionnaire,
qui prendra en charge une mission pour que
le service public soit assuré mais
aussi rémunéré. Une
troisième solution aux problèmes
d'eau est de continuer à réaliser
des barrages. Nous pourrions en effet mieux
exploiter les précipitations et mobiliser
au minimum 12 milliards de mètres
cube par an, alors qu'aujourd'hui nous n'en
sommes qu'à cinq milliards.
Nous devrions aussi faire des économies
avec les petites digues sur les innombrables
oueds qui se mettent en crue pratiquement
tous les ans et qui peuvent emmagasiner
des millions de mètres cube. A ce
niveau, nous travaillons sur un programme
de construction de digues, étalé
sur les cinq prochaines années. Voilà
donc globalement comment nous envisageons
de régler le problème de l'eau
à moyen terme. Premièrement,
dessalement le long de la côte ; deuxièmement,
rénovation des réseaux de
distribution pour récupérer
les pertes ; accélérer le
rythme de construction des barrages et des
retenues collinaires et cinquièmement,
travailler à la refonte des systèmes
de gestion de l'eau, c'est à dire
économiser l'eau, sensibiliser le
consommateur, facturer aussi l'eau à
un prix permettant de dissuader les gaspillages.
Quelles sont les mesures en faveur du
développement agricole dépendant
partiellement d'une meilleure irrigation?
De façon globale, le principal problème
de l'Algérie est le chômage.
Nous avons aujourd'hui 30% de chômeurs,
principalement jeune. La situation est telle
que tous les autres secteurs, à savoir
notamment le pétrole, l'industrie
et même les services, ne pourront
jamais résorber le nombre de chômeurs
qu'il y a en Algérie. Un secteur
créateur d'emploi et qui nous aiderait
à arrêter l'exode rural vers
les zones côtières est certainement
l'agriculture. Nous devons y accorder une
attention particulière. Mais le développement
de ce secteur est tributaire de celui de
l'eau, notamment pour les nouvelles cultures.
Il y a quelques années encore, nous
en étions principalement à
la monoculture de céréales,
nous importions encore des fruits et légumes.
Aujourd'hui nous importons nettement moins
et nous commençons à jouir
d'une excellente production agricole, principalement
grâce aux aides au développement.
Celles-ci ont permis de sortir de la monoculture
au moyen de nouvelles méthodes, c'est
à dire principalement avec le goutte
à goutte qui a permis de réaliser
des économies d'eau extraordinaires.
L'Etat a bien sûr énormément
aidé les investisseurs dans ce domaine
puisqu'il finance à 80% les infrastructures
nécessaires. Il finance, mais en
contre partie nous faisons de l'économie
d'eau, soit dix fois moins que d'habitude.
Il faut absolument développer l'agriculture
sur les hautes plaines et plateaux pour
fixer les populations et créer des
emplois à ce niveau. De même
au Sahara, il faut exploiter davantage la
nappe albienne qui peut fournir énormément
d'eau.
Qu'en est-il du projet de ramener de
l'eau de zones africaines connues pour leur
abondance?
J'ai entendu parler du projet, ce sont
des idées et pourquoi pas. Pourquoi,
en effet, ne pas ramener de l'eau du fleuve
Niger vers l'Algérie. Mais je ne
pense pas que ce soit possible aujourd'hui.
Nous devons plutôt entreprendre des
études de faisabilité et ne
pas négliger les idées. A
priori un tel projet va être d'un
coût exorbitant. Pourquoi ne pas simplement
dessaler ? L'essentiel dans le mode d'exploitation
des eaux en Algérie est d'établir
une bonne affectation des ressources, par
des transferts entre les différentes
régions, en interconnectant les barrages,
etc. A ce moment, on verra s'il y a un manque
d'eau. Si c'est le cas, il faudra alors
envisager de scénarios et peut-être
ramènera t'on l'eau du Niger. Mais
je pense qu'avant de penser à cela
nous devrions d'abord essayer de ramener
l'eau du Sahara vers le nord. Nous sommes
d'ailleurs en train d'étudier la
rentabilité d'un tel projet.
Quel message adresseriez-vous aux investisseurs
étrangers intéressés
par votre secteur?
Je voudrais d'abord insister sur le fait
que nous avons déjà un énorme
programme d'investissement et de réalisation
d'infrastructures hydrauliques et agricoles.
Les investisseurs étrangers sont
invités à venir investir en
Algérie et à s'impliquer tant
par des partenariats avec des entreprises
privées que publiques. Il y a tellement
de chantiers à ouvrir dans le secteur
de l'hydraulique que les moyens nationaux
sont insuffisants. Nous sommes obligés
de faire appel aux entreprises étrangères,
tant pour des volumes de moyens que pour
des motifs de maîtrise de technologies.
Nous invitons, par ailleurs, les investisseurs
potentiels à construire des unités
de dessalement d'eau de mer, en partenariat.
Nous sommes prêts à garantir
non seulement la récupération
des investissements et aussi l'enlèvement
de la production d'eau de façon à
ce que l'investisseur puisse faire un bénéfice
et avoir un taux de rendement interne acceptable.
Nous sommes aussi prêts à discuter
sur n'importe quel projet et sommes ouverts
à la discussion avec les partenaires
susceptibles d'être intéressés
par la gestion de l'eau.
NB : winne n'est pas responsable pour
le contenu des transcriptions non-éditées
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