Monsieur le Ministre
merci de nous recevoir, afin de présenter
votre ministère, pouvez-vous nous donner
un aperçu général des secteurs
sous votre responsabilité ?
Je suis très content d'avoir l'opportunité
de vous expliquer ce qui se passe dans le domaine
des Travaux Publics et du Transport dont j'ai
la charge au sein du gouvernement. J'aimerais
à cet égard vous présenter
tout d'abord le réseau routier car il s'agit
là d'un point de départ. Lorsque
l'on arrive dans un pays, la première chose
que l'on voit c'est son réseau routier;
c'est donc la première image que reflète
le pays. Ici, la plupart de gens semblent oublier
que le Cambodge n'a pas de système routier
praticable en toutes saisons. Il est important
à mon avis de souligner encore une fois
cet oubli, car c'est un pré-réquisit
si nous voulons changer l'image de notre pays,
trop souvent associé aux " Killing
Fields ", pour une nouvelle image, plus prometteuse,
celle d'une terre d'opportunités et d'investissement.
Avant la guerre, les travaux publics étaient
responsables d'un réseau routier de 34.000
Km dont 12.000 Km de routes nationales, pavées
et non pavées. Après 30 de guerre,
toutes les routes ont été détruites
sous l'action conjuguée des trafics lourds,
d'inondations et d'un manque d'entretien. On comprend
alors que ces routes abandonnées depuis
30 ans ne puissent guère répondre
aux besoins actuels, lesquels sont énormes.
Donc, pas de routes, pas de mobilité, pas
d'échanges possible. Ceci ne touche pas
uniquement des secteurs stratégiques de
développement du pays tels que le tourisme
ou l'agriculture, mais surtout certains aspects
essentiels de la vie et du bien-être de
la population, tel que les écoles ou les
hôpitaux.
Depuis 1992, nous avons consacré beaucoup
d'efforts à la réhabilitation de
nos routes, cependant l'ampleur de la tache est
telle que nous n'avons pu répondre qu'aux
urgences. De 1992 à 2000, en dépit
de tous les efforts que nous avons fournis, les
résultats demeurent insuffisants, nous
ne disposons en fin de compte que de 350 Km de
routes nationales aux standards internationaux.
Je n'exagère pas quand je qualifie la situation
de dramatique.
Afin de pouvoir organiser la mobilité,
c'est à dire répondre aux besoins
essentiels des Cambodgiens, nous avons besoin
d'un réseau routier de base de 6.000 Km.
Ces routes nous permettront de relier d'abord
la capitale aux 23 provinces, et ensuite de relier
les centres urbains aux pôles de développement
et aux zones rurales afin de permettre à
l'économie de se développer, d'une
façon équilibrée et durable.
Maintenant, nous devons sortir de la phase d'urgence
pour rentrer dans l'étape suivante, celle
de la construction d'une fondation solide pour
un développement durable.
Il fallait donc changer d'optique: au lieu de
parler de sections de route (réparer 10
km ou 50 km), il convient dès à
présent de parler d'un réseau routier
pour ouvrir l'accès à la population
aux services de base. C'est ce que nous avons
travaillé ces 4 dernières années,
avec le soutien des pays donateurs, en particulier
de la Banque Mondiale, de la Banque Asiatique
de Développement et des Japonais. Sur cette
base, nous avons reconstruit 3000 Km.
Il nous reste donc 3000 Km à réhabiliter.
Pour ce réseau complémentaire, nous
ne pensons pas aux routes de qualité internationale;
des routes non-pavées en terre de 6 à
8 m. de large suffisent amplement pour qu'enfin
les villes arrivent à communiquer avec
la campagne, les riches avec les pauvres. Avec
le même budget, nous voulons construire
plus de Km et ainsi réaliser le rêve
de construire 1000km/an. Nous estimons que c'est
pratiquement faisable, et avec un solide programme
d'entretien, nous pouvons disposer d'un réseau
qui pourrait être utilisé immédiatement
par les habitants. Ce serait d'une grande utilité
pour la communauté et pour l'économie
du pays.
Malheureusement, je n'arrive pas encore sur ce
plan à convaincre les pays donateurs, ces
derniers persistent encore à focaliser
leur attention sur l'importance des ouvrages de
standard international. Moi-même, je reste
cependant convaincu que le Cambodge n'a pas besoin
de ces types d'ouvrage dans les circonstances
actuelles. Ce dont il a grandement besoin, c'est
un réseau routier de base modeste, mais
praticable et disponible au plus vite, car il
s'agit évidemment d'un élément
important dans une stratégie globale de
réduction de la pauvreté. En effet,
pour pouvoir apporter de l'assistance aux pauvres,
il faut tout d'abord les trouver et arriver chez
eux.
En dernier lieu, j'aimerais noter les enjeux
économiques de cette logique. Au Cambodge,
le présent réseau routier n'existe
que dans la plaine centrale. La majorité
des Cambodgiens habitent cette région qui
est par ailleurs inondée 4 à 6 mois
par an. L'Est du pays est très riche, il
y a environ 700.000 hectares de terre rouge à
cultiver, Le Nord est la région touristique
et enfin dans le Sud se situent les zones industrielles
d'exportation face à la mer. Il y a un
énorme potentiel de ressources naturelles
et culturelles dans ces zones, et cependant on
ne peut pas y accéder, car ce sont des
régions isolées sans connexions
routières avec la reste du pays. Il faut
donc désenclaver le pays, c'est à
dire sortir de la zone inondée pour développer
les parties périphériques qui disposent
d'un important potentiel agricole, touristique
et industriel.
Comment financez-vous vos projets et quelles
sont les principales entreprises impliquées
dans la reconstruction du réseaux routier?
Nous avons financé la plupart du réseau
existant à travers des prêts accordés
par la Banque Mondiale et la Banque Asiatique
de Développement, ainsi que par des dons
et prêts du gouvernement japonais, et prochainement
de ceux de la Chine et de la Corée du Sud.
Pour les dons, des entreprises des pays donateurs
réalisent des travaux sous la responsabilité
de leur gouvernement respectif.
Concernant les prêts internationaux, nous
travaillons selon des procédures internationales
avec des appels d'offre, d'évaluation et
d'attribution des marchés, supervision
des travaux, etc
Les entreprises de construction
et les bureaux d'études sont tous des sociétés
étrangères: malaises, thaïes,
chinoises, vietnamiennes, australiennes, japonaises,
françaises, anglaises, etc
Les entreprises
locales cambodgiennes n'ont pu jusqu'alors obtenu
aucun contrat, les conditions d'appel d'offres
étant très sévères.
Quant aux projets financés par le budget
national, c'est le Génie militaire qui
se taille la part du lion.
Le Cambodge a adhéré récemment
à l'ASEAN, dans ce cadre un nombre important
de projet sub-régionaux existent, certains
vous concernes, pouvez vous nous en parler?
Dans les 3000 Km dont je vous ai parlé,
nous incluons les corridors économiques
dont la route de l'Asie. En ce qui concerne le
Cambodge nous devons réaliser le premier
tronçon qui relie Poipet, à la frontière
thaïlandaise, avec la frontière vietnamienne,
ensuite le second corridor, reliant la mer à
la frontière du Laos. Puis le corridor
de la zone côtière, allant de la
frontière thaïlandaise à la
frontière vietnamienne. Finalement, il
y a le projet routier est/ouest, qui relie Siem
Reap avec le VietNam jusqu'au port vietnamien
de Qui Nhon. Ce projet est inscrit dans les priorités
de l'ASEAN.
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Une autre possibilité de développement
grâce à l'intégration à
l'ASEAN est la construction du réseau de
Chemins de Fer. Aujourd'hui quel est l'état
de développement du Chemin de Fer au Cambodge
?
Nous avons deux lignes, Nord et Sud : la ligne
Nord de Phnom Penh à PoiPet (fronitère
thaïlandaise) construite dans les années
30, et la ligne Sud construite dans les années
60, de Phnom Penh au Port de Sihanoukville. Ces
lignes sont très importantes économiquement,
parce qu'elles traversent des régions riches
et peuplées. Avant la guerre, nous avions
presque deux millions passagers par an et quelques
360.000 tonnes de marchandises. Actuellement,
le parc de matériel roulant s'est réduit
de 70%, le trafic voyageur de moitié, mais
le fret reste au même niveau d'avant-guerre.
Je voudrai vous donner une autre image de la
situation des chemins de fer. Avant la guerre,
la vitesse moyenne était de 60 km/h, aujourd'hui
elle est de 20 Km/h avec en plus beaucoup d'accidents
mortels. Actuellement, le service est non seulement
lamentable mais aussi dangereux. C'est pourquoi
nous avons vraiment besoin d'investissements tant
en capitaux nécessaires à la réhabilitation
des infrastructures qu'au niveau de la gestion
de ce réseau. Beaucoup d'homme d'affaires
semblent s'y intéresser, mais jusqu'à
présent aucune proposition concrète
ne m'est encore parvenu.
Quel est votre plant d'action afin de réhabiliter
ce réseau et pouvoir vous intégrer
au réseau de la sub-région ?
Le gouvernement a mis en place un plan d'urgence.
Il s'agit tout d'abord de réparer la voie
ferrée et d'acquérir de wagons et
locomotives, car 70% de nos équipements
sont endommagés. Les besoins sont énormes.
A court terme, nous voulons réparer et
reconstruire la voie qui relie Sisophon à
la frontière thaïlandaise (48 km),
et à long terme, il nous faut envisager
un investissement important avec une participation
privée. La formule joint-venture, par example,
permettrait au gouvernement de garder son droit
de propriété publique, tout en confiant
la gestion au secteur privé. Le projet
de chemin de fer trans-asiatique, Singapour-Kunming,
traversant la Cambodge, est l'un des projets clés
pour le développement régional.
Là-encore, il faudrait construire une nouvelle
ligne manquante d'environ 250 km entre la capitale
et la frontière vietnamienne, Loc Ninh.
Au niveau des lignes aériennes, en
2000 Royal Air Cambodge a fait faillite. Quelles
sont les perspectives pour la création
d'une nouvelle ligne aérienne Nationale
?
Au point de vue de la gestion de l'aéroport
et l'aviation civile nous avons un secrétariat
d'Etat relevant du Ministre d'Etat, chargé
de la Présidence du Conseil des Ministres.
Je ne peux donc, malgré ma qualité
de Ministre des Transports, vous répondre
à cette question. Néanmoins je peux
vous donner quelques informations sur la situation
des aéroports, si vous voulez. Nous avons
aujourd'hui deux principaux aéroports ;
le premier, international, se situe à Phnom
Penh à 10km de la capitale, et le second,
domestique, à Siem Reap. Ces deux aéroports
ont été confiés, pour leur
réhabilitation et leur gestion, à
une entreprise privé.
Si on fait allusion aux futurs aéroports,
je pense évidemment à l'aéroport
de Siem Reap. En effet, à Siem Reap, nous
avons accueilli actuellement 500.000 passagers,
mais dans un an, selon nos projections, nous accueillerons
1.000.000 passagers. Le terrain et le concept
sont par ailleurs déjà prêts
pour construire cet aéroport international.
Il ne manque plus qu'un investisseur intéressé.
Il existe un 3ème aéroport destinés
aux cargos à Kompong-Chhnang situé
au centre du Cambodge et d'autres petits aéroports
situés en provinces. Bref, c'est presque
impensable que le Cambodge ne possède aucune
compagnie aérienne nationale.
En ce qui concerne le transport maritime et
fluvial, pouvez vous nous donner les grands axes
de développement ?
Nous avons actuellement un port fluvial à
Phnom Penh. Il a été réhabilité
grâce à l'aide japonaise. Cependant,
nous devons surmonter les problèmes de
la bureaucratie et certains difficultés
juridiques pour faciliter les navegations entre
le Cambodge et le Vietnam. La navigation intérieure,
quant à elle, dispose d'une énorme
potentialité; en effet, des 1700 Km. de
voies navigables disponibles, nous n'en utilisons
maintenant qu'une centaine. Le second port du
Cambodge est maritime et se situe à Sihanoukville.
Il est actuellement en reconstruction et sa gestion
est prise en charge par une entreprise étatique,
sous la tutelle du Ministère des Travaux
Publiques. Nous avons déjà contracté
divers prêts auprès des Japonais,
cependant nous avons besoin de nouveaux investissements
pour l'extension du port avec de nouvelles infrastructures,
d'équipements de levage à haute
technologie, afin de pouvoir faire face à
la competition des ports voisins. Je pense qu'après
l'amélioration de la gestion du port et
la maîtrise des frais de transport, le trafic
va augmenter. La marine marchande va être
bientôt florissante. Le Cambodge est au
centre du marché de l'ASEAN. La région
de Sihanoukville a besoin d'investissements, non
seulement pour le port commercial, mais aussi
pour le tourisme.
Quel serait votre message final, comme Ministre
des Travaux Publics et Transports, à l'attention
des investisseurs qui sont aujourd'hui intéressés
par le Cambodge ?
A l'heure actuelle, ma vie, comme le soleil,
s'approche doucement vers le " coucher ".
Mon humble souhait, c'est de voir poindre à
l'horizon une image de lever du soleil au Cambodge,
ce soleil avec un éternel éclat
qui défie le temps et l'espace. Je crois
fermement que tout pays qui veut se développer
a besoin d'un réseau d'accès et
de communication. Il faut susciter une réelle
prise de conscience sur le problème de
transport du Cambodge. Pour un pays comme le Cambodge
qui vient de sortir d'un conflit, la première
des priorités doit revenir à l'infrastructure.
Avant même de parler d'économie,
il fallait donc penser d'abord à l'infrastructure.
L'Europe et le Japon après guerre avaient
déjà donné l'exemple, ils
se sont donc attelés essentiellement aux
travaux de réhabilitation et de reconstruction
de toutes leurs infrastructures. De même
pour la Corée et la Thaïlande. Le
développement économique d'un pays
qui avait connu ces catastrophes passe a fortiori
par la remise en état de son réseau
routier. Au Cambodge, malheureusement, on a oublié
cette vérité fondamentale. Dans
cet esprit, je me tourne non-seulement vers les
bailleurs de fonds, mais aussi vers les institutions
philanthropiques, en leur disant que, pour permettre
au Cambodge de se développer économiquement
et socialement, il lui fallait en toute première
priorité un réseau de vois de communication
praticable en toutes saisons. Ce rêve pourra-t-il
être réalisé un jour pour
le bonheur du Peuple Khmer ?
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