Côte d'Ivoire: Interview with Madame Nialé KABA

Madame Nialé KABA

Ministre de l’économie et des finances (Ministère de l’économie et des finances)

2015-05-15
Madame Nialé KABA

« La Côte d’Ivoire, c’est l’opportunité d’aujourd’hui, la meilleure adresse pour les investisseurs »

 

Nous entendons régulièrement sur la scène internationale que c’est la décennie de l’Afrique. En effet, l’on assiste à une forte croissance économique sur le continent africain alors que des crises économiques secouent les pays européens et le manque de stabilité frappe le Moyen Orient.Pensez-vous que l’Afrique a tout ce qu’il faut pour prendre son destin en main et comment évaluez-vous le rôle de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’ouest ?

 

J’aimerais d’abord vous remercier d’associer mon département ministériel à cet important travail d’ensemble que vous faites sur la Côte d’Ivoire. Effectivement, nous entendons dire que nous sommes dans la décennie de l’Afrique. C’est vrai, l’Afrique a été relativement épargnée par les crises successives qui ont secoué l’économie mondiale, les différents pays développés et plus récemment les pays émergents. L’on note que l’Afrique a aujourd’hui, les taux de croissance les plus élevés au monde et nous pensons que cela est en partie dû au fait que des pays comme la Côte d’Ivoire ne sont pas très connectée à certains marchés financiers. Le continent dispose d’atouts importants pour se développer, se transformer, et construire sa résilience. Il faut dire que tout au long de ces dernières décennies, les fils de l’Afrique se sont formés, le continent s’est doté d’une main d’œuvre de qualité dont le savoir-faire se renforce de jour en jour, l’Afrique continue d’être une importante réserve de ressources naturelles, qu’elles soient agricoles, minières ou minérales et nous pensons que de plus en plus, l’Afrique a conscience qu’elle a besoin de transformer ses matières premières pour pouvoir en tirer le meilleur profit dans le processus de son développement. L’Afrique a tout ce qu’il faut mais elle a davantage besoin de stabilité et de bonne gouvernance. Sans oublier ses partenaires traditionnels au développement comme les pays de l’occident. Nous avons  également besoin de nous ouvrir à d’autres horizons, notamment aux pays asiatiques. L’Afrique a surtout besoin d’accroître les échanges avec ces différents pays parce que nous pensons que c’est au sein de ces grands ensembles économiques, en compétition avec des pays qui lui ressemblent, opérant dans des marchés qui lui sont accessibles ; que l’Afrique pourra accélérer son développement. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, il faut savoir que son développement passe par l’intégration sous régionale. Le Président Alassane Ouattara dès son accession au pouvoir s’est investi dans la redynamisation de l’ensemble des organisations sous régionales qui existent. Aujourd’hui, nous avons une UEMOA qui est forte, nous avons une CEDEAO qui est dynamique et  beaucoup plus solidaire, où les échange commerciaux sont en progression et au sein de laquelle, la Côte d’Ivoire est l’un des grands. Vous savez que dans l’espace UEMOA, la Côte d’Ivoire produit au moins le tiers du Produit intérieur brut de la zone et nous sommes l’un des grands pays de la CEDEAO qui comprend en plus des huit membres de l’UEMOA, le Ghana et le Nigéria. Nous croyons en l’intégration sous régionale et nous sommes persuadé que l’émergence de notre économie  partira du dynamisme  de l’ensemble de la sous-région.

 

La Côte d’Ivoire envisage justement d’être un pays émergent à l’horizon 2020.  Quel est le rôle de votre ministère pour concrétiser  cette vision de SEM Alassane Ouattara ? 

 

La vision de S.E.M Alassane Ouattara, il a dit et répété, c’est d’amener la Côte d’Ivoire à l’émergence. Créer une économie dynamique, qui continue de croître à des taux de croissance élevés, qui est à même de réduire de façon significative la pauvreté, d’offrir des facilités sociales et les meilleures conditions de vie aux populations. Cette vision, c’est aussi une économie résiliente en ce sens qu’elle sera capable de  résister à un certain nombre de chocs parce qu’elle se sera fortement transformée au plan structurel. Dans cette dynamique, le département que nous gérons est chargé de l’Economie et des Finances. À ce titre, nous avons la responsabilité de mobiliser les ressources et les mettre au service de l’émergence. C’est une responsabilité importante au plan stratégique et comme vous le savez,  les chantiers sont immenses, les urgences nombreuses et chacun des départements ministériels a besoin de ressources financières de plus en plus importantes pour mettre en œuvre son programme et atteindre les objectifs du Plan national de développement. C’est un rôle également important parce que nous avons aussi la charge de réfléchir, innover, proposer des réformes, bref  de travailler au maintien d’un environnement macro-économique sain, dans lequel les entreprises privées peuvent évoluer et croitre dans les meilleures conditions. Ce rôle, nous essayons de l’assumer avec beaucoup de responsabilités et de satisfaction, car nous espérons pouvoir accompagner le Président de la république de la meilleure façon. L’environnement macroéconomique, c’est aussi les réformes que nous avons entrepris pour mieux gérer les finances publiques, mieux allouer les ressources de l’Etat et améliorer l’environnement de la gouvernance. Mais encore, faire en sorte que  le taux d’inflation maîtrisé.

 

Plus de 9% de croissance en 2014 et une projection à deux chiffres pour 2015. Des chiffres impressionnants pour un pays qui sort d’une croissance négative il y a quatre ans. Vous qui êtes partie prenante à cette prouesse économique, pouvez-vous nous dire comment la Côte d’Ivoire a réussi ce rebond ?

 

Je parlais tout à l’heure de réformes. La Côte d’Ivoire vient de loin, elle a été durant ces dix dernières années, de 2000 à 2010, dans une situation où l’Etat n’a pratiquement pas investi. Les taux d’investissement étaient des plus faibles. À partir de 2010, l’Etat a mené un certain nombre de réformes qui lui ont permis d’assainir le cadre macroéconomique,  améliorer sa gouvernance et de réaliser des investissements des importants pour réaliser les performances actuelles. La première des choses, c’est que l’Etat ivoirien a pu restructurer son énorme dette avec les bailleurs de fonds. Une opportunité qui lui a permis de dégager un certain nombre de marges budgétaires pour  investir. Dans ce contexte, l’Etat a investi dans les infrastructures socio-économiques pour créer un environnement favorable à l’investissement. Nous avons investi et nous continuons d’investir dans les routes, l’électricité, l’eau potable,  et l’éducation et la santé pour ce qui concerne le secteur social. Ces investissements ont bien sûr créés des emplois, mais ont aussi contribué à élever de façon substantielle le niveau de vie des populations. Il faut dire que l’Etat  également veille à ce que les populations puissent profiter de cette croissance qui repart à la hausse en prenant plusieurs mesures notamment,  le payement de  60% du prix CAF du cacao bord champ aux producteurs. Une disposition qui a permis que le kilo de cacao bord champ soit maintenant payé à 850FCFA alors qu’il n’  y a pas si longtemps, les producteurs n’arrivaient pas à en tirer 300 FCFA. Au-delà de ces mesures, l’État a procédé à un certain nombre de réformes dans certains secteurs, notamment le secteur agricole avec l’ambitieux programme d’investissement agricole (PNIA) qui a pour objectif de réduire la pénibilité du travail agricole et de mettre à la disposition des agriculteurs, des semences améliorées qui permettraient de maximiser le rendement de leurs activités. Tous ces investissements ont été accompagnés par les réformes dont je vous ai parlé tout à l’heure. Il s’agit de réforme portant sur le « Doing business » pour l’assainissement de l’environnement des affaires. Sur ce dossier, nous nous plaisons beaucoup à le dire, la Côte d’Ivoire a été parmi les meilleurs pays réformateurs en 2014 et 2015. C’est quelque chose dont nous sommes fiers puisque c’est le résultat de l’ensemble des réformes que nous avons mis en œuvre pour pouvoir attirer l’investissement privé. C’est vrai que l’Etat a investi beaucoup, mais l’objectif, c’est de tirer l’économie par l’initiative privée. Le rôle de l’Etat étant de mettre à la disposition des investisseurs, les infrastructures de base nécessaires à leurs activités.

 

Quels sont les défis que vous avez rencontrés dans le cadre du financement du développement en Côte d’Ivoire ?

 

Les défis sont importants parce que les besoins sont importants. Nous avons une économie qui se porte bien, qui est bien gérée et qui rassure nos partenaires. Dans ces conditions, nous arrivons à mobiliser les financements nécessaires pour accompagner nos projets. Mais comme vous le savez, il y a tant à faire. Les besoins sont si importants et en tenant compte des différents ratios d’endettement, des différentes contraintes liées à la charge de la dette, le défi va porter sur comment faire pour soutenir ce rythme d’investissement et poursuivre la réalisation d’infrastructures de qualité, que se soit des infrastructures économiques ou sociales, sans basculer dans le surendettement. C’est un défi important ! Nous avons déjà commencé à y travailler puisque nous commençons à mettre sur le marché, des projets en partenariat public-privé, qui permettent à la fois de partager avec l’investisseur, le risque et le coût de l’investissement. Cette démarche peut permettre à l’Etat de livrer un nombre important d’infrastructures en partageant la charge de l’investissement avec les investisseurs. Le financement du développement, ce n’est pas seulement le financement de l’Etat, nous avons nos PME qui ont besoin d’être accompagnées financièrement, parce que ce sont elles  qui créent des emplois et qui permettent de créer une économie solide et performantes. Dans ce contexte, nous avons cette préoccupation de reformer davantage notre secteur financier de sorte à ce que les PME nationales puissent accéder à un financement adapté à ces activités. Nous avons   un programme de réforme dans ce secteur.Nous avons un certain nombre d’initiatives que nous aimerions voir aboutir, que se soit au niveau des produits dont les PME ont besoin ou de leur accompagnement par notre système bancaire. Il y a donc une batterie de réformes et d’initiatives en cours pour permettre aux PME de pouvoir accéder à un financement adapté.Dans le cadre du « Doing business », on a fait des allègements spécifiques, par exemple les transferts de propriétés que nous avons réduits de 10% à 7%. Au cours d’un récent Conseil des ministres, nous avons validé un texte pour le faire passer à 4%. En 2012, nous avons adopté un code des investissements qui est des plus favorables. En termes de réformes fiscales, nous avons élaboré des codes spécifiques dans certains secteurs. Il s’agit du code de l’énergie, du code pétrolier et du code minier qui facilitent les investissements. Vous avez un code général des investissements combiné à ces différents codes pour offrir un cadre d’investissement plus cohérent et plus attractif. A coté de cela , il y a des mesures spécifiques que nous prenons pour pouvoir favoriser les investissements. Nous avons créé par exemple le Guichet unique des facilités d’entreprises qui permet de créer en peu de temps, des entreprises et mis en place le tribunal de commerce qui est une instance de gestion plus rapide en efficace  des  contentieux dans le milieu des affaires. Sur toutes ces questions que nous élaguons, notre méthode est d’identifier les goulots spécifiques et nous adressons des solutions de façon spécifique. Que ce soit des préoccupations sur les facilités aux cordons douaniers, ou sur l’accès à l’électricité, etc. Et l’une des réformes qui nous concerne dans ce cadre, c’est la facilitation au crédit des PME. Un dossier sur lequel nous sommes en train de travailler avec le concours de la Banque centrale pour mettre en place le Bureau d’information sur le crédit (BIC) qui va, à partir de la centralisation de certaines informations et données, permettre de réduire les incidents de paiements et faciliter ainsi  la maîtrise des risques sur les crédits.

 

D’un point de vue plus personnel, j’aimerais vous demander, vous êtes la première femme ivoirienne à occuper les fonctions de ministre chargé de l’Economie et des Finances. Quelle est votre plus grande satisfaction depuis que vous occupez cette fonction ?

 

J’aimerais vous dire déjà que c’est une satisfaction d’être membre du gouvernement,  et de pouvoir servir à un poste aussi important.  Depuis que je suis à la tête de ce département, la plus grande satisfaction et que j’ai eu et que je continue  de ressentir c’est d’avoir obtenu quand même de bons résultats pour l’économie ivoirienne sous la conduite du Président de la République et du Premier ministre. Je disais tantôt, le ministère de l’Economie et des Finances est celui qui irrigue les autres ministères et lorsque l’économie se porte bien, c’est que ce département arrive à faire ce qu’il faut pour répondre aux attentes des autres ministères. Donc, c’est une grande satisfaction de constater que l’économie de la Côte d’Ivoire dirigée par le Président Alassane Ouattara se porte aussi bien au moment où j’assure la responsabilité de ce département ministériel. Bien sûr, c’est aussi une grande satisfaction du fait que ce soit une femme qui le fasse, parce que, à mon avis, dans un pays comme le nôtre où la question du genre se pose comme dans beaucoup de pays, c’est bon que les autorités osent faire confiance à une femme parce que c’est la première fois que cela se passe bien.  Je pense que cela va rassurer lesautres femmes et leur montrer qu’elles peuvent aussi réussir à ces postes qui ont été jusqu’alors réservés aux hommes. Je crois que c’est un encouragement pour l’ensemble des femmes de Côte d’Ivoire, pour leur dire qu’’elles sont capables d’affronter les mêmes difficultés que les hommes. Une autre raison desatisfaction, c’est aussi d’avoir conduit l’entrée inaugurale  de la Côte d’Ivoire sur les marchés financiers internationaux avec l’Eurobond 2014 et 2015 qui ont été de francs succès. D’avoir mené les meilleures levées de fonds jusque dans la zone UEMOA où nous avons passés des barrières estimées infranchissables. C’est dire que nous arrivons aussi a rassuré les bailleurs de fonds, les investisseurs privés parce que croyez-moi, les marchés financiers regardent par plusieurs fois avant de donner leur argent. Donc ils ont confiance en notre gouvernance, en notre gestion et nous profitons de cette chance. Le Président de la république croit en la femme et nous nous efforçons chaque jour de mériter de cette confiance. Dans le gouvernement actuel,  il a confié des postes importants aux femmes, l’éducation nationale, la santé et mon département qui sont bien gérés.

 

Vous avez été entre autres, Directrice intérimaire de Côte d’Ivoire tourisme, Conseiller technique au BNEDT. Qu’est-ce que vous avez appris tout au long de votre carrière que vous appliquez dans vos fonctions actuelles de ministre chargé de l’Economie et des Finances ?

 

J’ai commencé à travailler en 1989 en tant qu’enseignante. Je suis ensuite rentrée à la Primature, dans les ministères techniques. J’ai fait deux cabinets ministériels avant d’être Ministre du Logement pour ensuite me retrouver à ce poste. C’est un long parcours au service de l’administration de la Côte d’Ivoire qui m’a permis à la fois de connaitre notre économie en théorie et de me mettre à son service au plus haut niveau. J’ai enseigné longtemps d’abord en tant que professeur en plein temps, ensuite en tant que vacataire. J’ai continué d’enseigner dans les grandes administrations. Ce parcours qui m’a permis de connaître notre économie et de connaitre les hommes qui l’animent, a été assez enrichissant et je veux croire  que de là où je suis, tout ce que j’ai pu voir, faire ou entendre aujourd’hui concourt justement à faire en sorte que nous puissions donner le meilleur de nous-même.

 

Dernière question, quel message enverrez-vous aux investisseurs internationaux qui souhaiteraient venir en Côte d’Ivoire ?

 

Je leur dirais que la Côte d’Ivoire, c’est l’opportunité d’aujourd’hui, qu’ils n’attendent  pas demain pour venir saisir les opportunités d’affaires, je leur demande d’être les premiers sur le terrain . C’est maintenant qu’il faut venir, tout y est. Nous avons tout aménagé, tout préparé pour leur permettre d’investir en toute sécurité. Les opportunités, la volonté politique,  les reformes pour  accompagner les investissements, le cadre institutionnel adéquat et une monnaie qui rassure. Nous sommes dans  grand ensemble ( la CEDEAO, ndlr) qui permet de donner des marchés qui vont au-delà des marchés des autres pays et nous avons une  réglementation qui offre à l’investisseur la possibilité de transférer dans les meilleures conditions, le fruit de son investissement. La Côte est réellement la meilleure adresse pour les investisseurs.