Monaco: Interview with Michel Boerie

Michel Boerie

President (L'Automobile Club de Monaco)

2005-11-14
Michel Boerie

 

Monsieur Boeri, Pouvez-vous nous raconter brièvement l'Histoire du Club, puis nous dire quelles ont été les principales évolutions depuis que vous être Président ?

L'Automobile Club de Monaco a été fondé en 1980. Il faut attendre 1911 pour qu'il crée et organise le premier Rallye Monte-Carlo. Aujourd'hui, en 2005, après avoir traversé deux guerres mondiales, il en est à sa 74e édition.

Le Grand-Prix Automobile voit le jour en 1929 : il a atteint, en 2005, sa 64e édition.

L'objectif demeure de moderniser et de pérenniser ces deux épreuves en les maintenant aux premières places du Championnat du Monde.

Le deuxième objectif est de créer d'autres épreuves de haut niveau. Ce fut le cas en1997 et en 1998 du Rallye et du Grand-Prix Historique, puis en 1995, la réactivation de la Monaco Kart Cup.

La mission de l'Automobile Club est, en résumé, de conforter sa tradition tout en sachant l'adapter à travers l'organisation de ses épreuves sportives aux contraintes et au goût du temps présent.

Vous êtes donc les organisateurs d'une des courses de Formule 1 les plus connues au monde, pourtant vous avez des concurrents, Shangai, Dubaï Quelles sont les exigences de l'organisateur pour rester toujours le Grand Prix de référence ?

La vie sans concurrence ou sans émulation serait bien ennuyeuse. Il faut cependant connaître et cultiver sa différence pour sa valoriser et se démarquer des autres.

Pour Monaco, l'originalité c'est d'être un circuit réellement en ville, courant sur son tracé d'origine et dont chacune des 64 courses qui s'y sont déroulées a écrit une page de l'histoire des Grands Prix.

Shangaï, puisque vous le citez, est à l'échelle de la Chine, hors norme.

C'est un géant qui doit apprendre à vieillir et qui doit se constituer une histoire.

Je me réjouis, bien sûr, de cette opposition sportive Chine-Monaco qui est d'autant plus flatteuse pour nous que les moyens ne sont pas comparables. Ceci n'empêche pas que le Grand Prix de Monaco a été télévisé dans 162 pays et que sa retransmission avoisine les 1000 heures pour une audience de plus d'un milliard de téléspectateurs.

Ce sont des chiffres considérables dont ne mesure l'importance quant à l'image de Monaco dans le monde.

Mais pourquoi le faire dans une ville alors que vous pourriez le faire dans un circuit fermé sans les difficultés de sécurité à l'égard des spectateurs que cet évènement suppose ?

L'exiguïté du territoire ne nous laisse d'autre choix que d'organiser le Grand Prix en milieu urbain. De plus, c'est notre principale spécificité et c'est aussi le gage de demeurer un modèle unique.

Quant à la sécurité du public, celle-ci est bien entendu notre principale préoccupation. Il faut cependant être clair : les courses automobiles sont dangereuses et le risque zéro n'existe pas. Il reste la statistique. Avec sans doute l'aide de Sainte Dévote, Sainte Patronne de Monaco dont l'église se situe près d'un virage crucial du Grand Prix, et peut-être aussi beaucoup de travaux d'aménagements, nous n'avons pas eu à ce jour à déplorer d'accidents de spectateurs.

Le public se répartit dans les tribunes, les balcons ou terrasses des hôtels, des restaurants, des appartements privés, sur les bateaux amarrés dans le Port, bref dans un tissu urbain concentré et confortable, totalement éloigné des conditions spartiates des circuits permanents.

Ajoutez à cela, l'impression d'un contact physique avec les pilotes et les voitures et c'est une des composantes de la magie du circuit.

La recette est constamment la bonne puisque, à l'instar de Ferrari qui est la référence du public pour les constructeurs, Monaco est celle pour les organisateurs.

Il semblerait que Bilbao veuille organiser aussi un circuit en ville

Effectivement, il y a de plus en plus de candidats, mais toujours aussi peu d'élus. Cela tient simplement au fait que la logistique pour les écuries ne peut leur permettre de dépasser la vingtaine d'épreuves annuelles. Cela ne veut pas dire que les Grands-Prix sont figés à jamais, là où ils se déroulent aujourd'hui.

On va certainement vers un rééquilibrage du nombre d'épreuves en Europe et hors Europe.

Je souhaite simplement que les impératifs économiques ne priment pas sur la qualité des organisations.

Un Championnat du Monde équilibré suppose des organisateurs ayant à peu près le même savoir-faire.

Bien sûr, la création de circuits en ville fait rêver. On en parle périodiquement jusqu'au moment où l'on commence à étudier sérieusement le dossier

Je sais de quoi je parle. Bien du plaisir à ceux qui voudraient s'y lancer !

Pourriez-vous nous donner quelques chiffres significatifs de l'Automobile Club de Monaco : Chiffre d'affaires, les chiffres du Grand Prix, les gens qui le visitent ?

Il faut disposer d'un budget voisin de trente millions d'euros pour réaliser un Grand Prix en ville. Cela n'inclut pas les dépenses annuelles de resurfaçage des chaussées, les divers travaux d'aménagement urbains ou portuaires, l'achat de matériels lourds.

Il faut en outre rassembler, entre, bénévoles, agents de l'Etat, Entreprises, services médiaux, de Police, de Sapeurs Pompiers, de Croix-Rouge et bien d'autres entités, environ 5000 personnels.

Un simple exemple : autour du circuit, on dispose de 45 médecins réanimateurs alors que hors circuit, 150 médecins sont d'astreinte pendant les quatre jours des épreuves.

Si un Grand Prix en ville pouvait se traduire en recette culinaire, il faudrait aussi y ajouter une pincée de réactivité et d'imagination pour faire face aux besoins d'une ville transformée en circuit automobile et qui multiplierait par 3 ou 4 le nombre de ses habitants, soit plus de 100.000 personnes.

Enfin, j'allais oublier, ajoutez une belle pincée de chance, aussi !

Le Grand Prix constitue aussi un poumon économique de la Principauté, quelle est exactement se retombée ?

Il est difficile d'évaluer financièrement ce que représentent, pour la Principauté, les retombées au plan de l'image, du millier d'heures de télévision, des centaines d'heures de radio, des volumes d'articles à l'occasion du Grand Prix.

En revanche, nous disposons d'estimations fiables du chiffre d'affaires développé dans la ville, 100 millions d'euros et dans la région avoisinante, s'étendant de Cannes à Sanremo, environ 10 millions d'euros.

Il faudrait ajouter aussi toutes les retombées financières qui sont liées au Rallye, aux épreuves historiques.

De même, devraient être prises en compte, toutes les manifestations dérivées, Remise des Prix de la Fédération Internationale, présentations ou lancements de voitures, symposiums techniques, congrès, concentrations de voitures, etc

Ceci explique, sans doute, l'intérêt du Gouvernement Princier pour les activités sportives, intérêt d'autant plus éminent que l'on connaît l'attachement des Princes aux épreuves sportives de la Principauté.

Normalement, les Rallyes sont toujours dans les endroits où la difficulté est plus évidente, avec la neige ou bien les rochers

Le Rallye Monte-Carlo est certainement beaucoup moins médiatisé que le Grand Prix, mais il n'en est pas moins célèbre. C'est le père de tous les Rallyes et il ne manque pas d'enfants.

Le Rallye, c'est une légende qui s'inscrit dans toutes les routes d'Europe, dans les Cols ou Villages les plus inaccessibles .C'est aussi un monument du Sport Automobile, chacune de ses soixante-treize éditions a écrit un moment de la saga de l'Automobile.

Le "Monte-Carlo" actuel n'est plus celui d'antan et les nostalgiques peuvent quand même le retrouver dans le Rallye Historique. C'est d'ailleurs ce qu'ils font (plus de trois cents engagés chaque année.)

En 2006, le Rallye Monte-Carlo, Championnat du Monde, attirera des dizaines de milliers de spectateurs dans les départements français limitrophes.

Il demeure un événement incontournable dans son impact sportif, publicitaire et pour l'économie des régions traversées.

Bien entendu, l'avenir est plus incertain en raison des réglementations toujours plus nombreuses, de la philosophie du politiquement correct, de la peur du risque.

C'est, confrontés à cette évolution des mentalités, que nous avons, il y a plus de dix ans, compris toute l'importance qu'allaient prendre les épreuves historiques qui, elles, sont plus sympathiques et bien admises.Winne : L'Automobile Club organise aussi d'autres évènements autres que les deux Grands Prix et les deux Rallyes. Avez-vous l'intention, dans le futur, d'organiser de nouvelles épreuves ?M. Boeri : Très certainement. Nous avons un projet qui en est au stade de la recherche et de la réflexion et qui concerne les véhicules à énergie alternative.

On ne saurait ignorer cette évolution, qui, tôt ou tard, s'imposera de plus en plus aux constructeurs automobiles.

Il existe déjà des épreuves qui rassemblent toutes sortes de voitures à énergie électrique ou autres, mais, d'évidence, elles ne sont pas significatives d'un usage toutes routes et toutes conditions climatiques.

Le concept que nous voulons développer est de mesurer la fiabilité des véhicules à énergie alternative en conditions réelles de compétition, fut-elle sous forme de régularité. De plus, nous aimerions les comparer à des voitures d'avant dernière génération, ce qui constituerait bien-sûr un clin d'il à la continuité entre l'histoire et l'avenir.

Il faut dépasser le stade de la simple démonstration offerte par les Salons. Les constructeurs en auront-ils la volonté ? Nous, nous sommes prêts à les y aider.

Ceci coïncide avec les préoccupations écologiques du Prince Albert

Oui, tout à fait, nous partageons tous la même préoccupation.

L'écologie, si elle veut prospérer utilement, doit conduire au progrès technique par des méthodes innovants, mais surtout performants.

L'incantation ne peut aider qu'à la prise de conscience, mais elle ne n'apporte aucune solution.

Au modeste niveau de l'A.C.M., nous allons essayer de convaincre les constructeurs de tenter, avec nous, l'aventure. C'est notre pierre à l'édifice.

En Juin,aux Etats-Unis, il y a eu de graves confrontations entre les organisateurs du Grand-Prix d'Indianapolis et les grandes compagnies participantes. Ceci a nuit à la crédibilité du Grand Prix. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?

L'affaire d'Indianapolis s'est réglée à Monaco, à l'occasion d'une réunion extraordinaire du Sénat de la Fédération Internationale de l'Automobile.

Cette affaire était mauvaise pour tout le monde. Le but a été de trouver une solution acceptable qui ne lèse aucun intérêt.

De plus, le contexte très particulier de l'application du Droit aux Etats-Unis a permis à chacun de comprendre que la conciliation était la meilleure voie, en tout cas, la moins onéreuse.

Aujourd'hui, on peut considérer l'affaire comme réglée puisque Indianapolis organisera sans doute le Grand Prix des Etats-Unis en 2006.

Il faut dire que les Américains, même s'ils aiment beaucoup le Sport Automobile , n'ont pas de Grand Prix chez eux.

Le monde sportif automobile, la variété et le nombre des épreuves aux USA en font une planète sportive tout à faite autonome. Elle se suffit à elle-même et, le fait qu'un Grand Prix made in Europe soit connu aux USA est au mieux une curiosité pour le public Américain. Je crois qu'il est plus intéressant, pour les Européens d'avoir un pied aux Etats-Unis que la réciproque.

L'Automobile Club de Monaco compte 4100 membres qui proviennent des quatre coins du monde. Qui sont-ils et quels sont les avantages de devenir membre du Club ?

L'Automobile Club, c'est, avant tout, un style de comportement et pour quelques-uns, une passion.

Les avantages pour nos membres sont les avantages classiques de tout Club : activités diverses, restaurant, salons, indentification à travers nos écussons.

Je crois que, tout bonnement, les gens sont fiers d'appartenir à un Club totalement imbriqué dans la tradition du Sport Automobile et dont la renommée internationale est une réalité.

Pour en finir, avez-vous un mot particulier pour nos lecteurs Américains?

Monaco est très certainement le pays européen le plus "américanophile". N'oubliez pas que le Prince Albert II est, par sa mère la Princesse Grâce, un citoyen américain.

Dire tout ce que l'Amérique représente pour chacun de nous tient dans l'amitié chaleureuse et naturelle que nous portons à ce grand Pays.

Mais restons pratiques. La Principauté est un paradis pour les Américaines. Il faudrait qu'elles convainquent leurs maris de revenir y passer leurs vacances