Mauritania: Interview with Ely Ould Mohamed Vall

Ely Ould Mohamed Vall

Président (République Islamique de Mauritanie)

2006-08-22
Ely Ould Mohamed Vall

Mr Le Président, à bientôt un an de votre arrivée à la tête de l'Etat mauritanien, quel état des lieux peut-on faire de votre action dans la volonté d'ouvrir le pays ?

Je pense que l'ensemble des actions qui avaient été préconisées et annoncées pour les Mauritaniens dès le début du changement ont été effectivement mises en oeuvre dans les mois qui ont suivi notre arrivée. Nous avions une idée très précise de l'étendue des problèmes qui se posaient au pays. Aujourd'hui, nous pouvons dire que les actions entreprises sont soit terminées, soit suffisamment entamées pour éviter tout risque de retour en arrière.

En ce qui concerne les actions réalisées, je peux citer les principaux chantiers suivants :

Il y a premièrement celui, essentiel, de la bonne gouvernance.

Sur ce plan, nous avons fait des avancées notoires et des progrès significatifs. C'est bien sûr un travail qui ne peut être totalement accompli sur une période aussi courte que celle que nous nous sommes imposée: dix neuf mois. Il me semble toutefois que nous avons déjà atteint un pourcentage d'achèvement raisonnable sur ce chapitre, et nous pensons que le pays est aujourd'hui dans une situation plutôt satisfaisante. Ce travail devra continuer pendant les mois à venir et certainement au delà de la période de transition parce que c'est une question qui est extrêmement importante mais aussi extrêmement complexe qui demande beaucoup d'efforts.

Le deuxième volet capital de notre action concerne la Justice. Ce chantier a été lui aussi très largement entamé. Nous avons adopté une loi qui a opéré une refonte en profondeur de la Justice , et qui s'est accompagnée d'un certain nombre de mesures concrètes sur le plan matériel comme sur le plan de l'organisation. Nous avons aussi lancé des projets très concrets concernant la formation des magistrats. Aussi, ce qui est déjà réalisé au niveau des institutions devra être pérennisé par les hommes qui assureront la relève. Cela prendra du temps, mais nous considérons que la dynamique est déjà sur rails et qu’elle se poursuivra.

Le troisième aspect de notre action est celui qui me semble le plus important, c'est celui de la démocratisation du pays. Ce chantier-ci a été couronné par des résultats concrets. Pratiquement l'ensemble des textes institutionnels ont été refondus dans le sens de la démocratisation du pays et nous avons pris l'ensemble des mesures visant à permettre cette démocratisation de tous les aspects de la société: la liberté de la presse, le développement des partis politiques, de la société civile et des associations, qui permettent de faire émerger une véritable société capable de jouer le rôle de contrepoids à l'Etat et aux administrations.

Il s'agit aussi de faire émerger des hommes politiques au sein des partis et de les responsabiliser, de créer un sous bassement juridique véritablement capable de prendre en charge la nouvelle situation que la démocratisation du pays a instaurée. Il en est de même pour la presse qui doit être réellement libre et réellement responsable. Sur l'ensemble de ces points, nous pensons que cela se passe de façon relativement satisfaisante.

Un autre problème pour cette période de transition est celui des échéances électorales que nous avons programmées. Aujourd'hui, nous avons quatre rendez-vous électoraux qui ont été arrêtés et précisés concrètement. Matériellement, la Mauritanie est aujourd'hui prête pour envisager ces quatre échéances. La première de ces élections a déjà eu lieu au travers du référendum constitutionnel du 25 juin 2006 qui s'est déroulé dans des conditions qui ont apporté satisfaction à l'ensemble des mauritaniens et qui ont donné de bons résultats.

La deuxième échéance électorale aura lieu au mois de novembre pour les élections législatives et municipales. La troisième, un mois après, (janvier 2007) pour les élections sénatoriales et la dernière, enfin, au mois de mars prochain, pour les présidentielles. Le calendrier électoral est ainsi bouclé. L'ensemble des mesures à la fois techniques, financières et matérielles sont déjà prises afin que tout se déroule scrupuleusement dans les délais impartis et conformément aux textes. Voilà le résumé que je peux vous faire de cette première année de transition.

Y -a-t-il encore des engagements prioritaires qui n'ont pas été activés ou que vous voudriez voir lancés avant votre départ ?

Oui certainement, je vous ai indiqué les fondements essentiels de l'évolution du pays.
Non seulement ces quatre chantiers devront être consolidés et leur mise en oeuvre poursuivie dans les années à venir, mais à l'intérieur même de ces quatre chantiers, il y a un certain nombre d'actions qui ont été entreprises.

Par exemple sur le plan de la bonne gouvernance, il y a énormément d'actions de la part
du gouvernement, toute une panoplie de textes de lois et de références qui ont été conçus et appliqués. La Mauritanie est inscrite aujourd'hui à toutes les initiatives de bonne gouvernance, nous avons favorisé l'émergence d'un contexte qui oblige à une gestion de nos ressources dans une perspective de transparence totale, nous obligeant à mener une politique qui va dans le sens de l'intérêt du pays et de ses habitants à qui des comptes devront être régulièrement rendus.

A l'intérieur de ces grands chantiers, il y a un certain nombre d'actions entreprises qui devront
être poursuivies au delà de la période de transition par le nouveau gouvernement et par les nouvelles autorités élues du pays. Notre rôle est de pérenniser ces réformes essentielles au delà de la période de transition.

Mr le Président vous avez le soutien de pratiquement toutes les organisations internationales telles que l'UE, l'ONU mais aussi celui des institutions financières comme le FMI et la Banque Mondiale. Comment ce soutien accompagne-t-il votre action, et n'êtes vous pas parfois contraint par ce soutien à mener des réformes qui nécessiteraient beaucoup plus de temps ?

Je voudrais tout d'abord souligner que ce soutien ne nous a été acquis qu’après avoir fait très largement la preuve de notre bonne volonté. Ce soutien n'est effectif que depuis quelques mois, et donc pendant une période assez longue il nous a fallu gérer les appréhensions de la communauté internationale. Celle-ci, dès le début, était très mitigée par rapport aux événements qui se sont déroulés en Mauritanie. Il a fallu des mois et des mois de travail intense et de preuves concrètes de ce que ce nous accomplissions ici pour montrer que ce que nous faisions sortait de la logique des changements qui étaient traditionnellement opérés par les mêmes voies et les mêmes institutions.

Par conséquent, nous avons dû nous-mêmes nous atteler à un travail suffisamment crédible et sérieux, au niveau du pays, de ses institutions, de ses acteurs politiques et bien sûr de la population. Les résultats de ce travail ont été accueillis positivement par l'ensemble des mauritaniens d'une façon suffisamment claire et nette pour que la communauté internationale comprenne le sens de notre action.

Le soutien et l'appui de la communauté internationale est un élément fondamental car il permet non seulement de se procurer les moyens de mieux réussir ce travail, mais aussi de le faire dans un environnement apaisé. Ce sont deux aspects extrêmement importants qui nous autorisent à mener notre action en toute sérénité pour être utile et efficace.

Dans l'exécution de cette tâche, quel rôle aimeriez-vous voir la France jouer, et au travers de la France, l'Union Européenne ?

Le rôle de la France peut être un rôle de premier plan, car les liens qui lient nos deux pays sont très particuliers. La France est l'ancienne puissance coloniale de la Mauritanie. La France est présente à la fois culturellement et historiquement. La plupart des Mauritaniens ont suivi leur formation en français, la langue du travail ici est le français.

La relation historique et la relation actuelle sont et doivent être des relations privilégiées sur tous les plans et par conséquent je pense que la France peut jouer un rôle absolument important et extrêmement positif pour aider à ce que les choses se passent le mieux possible et réussissent pleinement en Mauritanie.

En ce qui concerne votre action pour la Mauritanie, il y a eu le référendum qui était un premier test électoral, et nous avons vu une certaine maturité des électeurs mauritaniens avec un taux de participation élevé. Pensez vous que c'est de bonne augure pour la suite des consultations électorales, et pouvons-nous parler d'une prise de conscience des mauritaniens dans leur unité et leur destin ?

Je ne suis pas de ceux qui, ne connaissant pas suffisamment la Mauritanie et les Mauritaniens, se disent sceptiques quant aux résultats. Moi je ne le suis pas, et je ne suis pas non plus surpris. Nous avons annoncé notre projet de réforme du système constitutionnel dès notre arrivée, et déjà quelques-uns s'étaient élevés contre cette mesure. l1s se demandaient alors si le pays était suffisamment mûr, si nous étions capables de mettre cela en place et si les gens allaient comprendre les objectifs et les conséquences d'une telle réforme.En ce qui me concerne, je n'ai jamais douté.

Les mauritaniens sont tout à fait prêts et tout à fait mûrs pour cela, ils ont parfaitement la capacité de prendre en charge le destin de leur pays de cette manière. Donc je n'ai pas du tout de doute ni quant à leurs capacités, ni en ce qui concerne les prochaines échéances électorales ni en ce qui concerne la réussite de ce processus capital pour l'évolution de notre pays.

La Mauritanie fait désormais partie du club des pays producteurs de pétrole, ce qui n'est pas toujours synonyme de prospérité. Quelles sont les actions qui ont été prises en Mauritanie afin de garantir que ces fonds vont véritablement servir à un développement équilibré et permettre d'échapper à la fameuse malédiction de l'or noir ?

Nous sommes tout à fait conscients des dangers potentiels de cette situation. Dès notre arrivée, nous avons découvert une situation qui était une préfiguration de ce germe de dangers. C'est pourquoi dès le début nous sommes revenus sur ce qui avait été fait avant nous. Nous avons trouvé déjà des contrats qui étaient biaisés, élaborés aux dépends du pays. Nous avons donc entrepris une action groupée avec l'ensemble des sociétés concernées et avons mis les choses dans l'ordre dans le sens de la restitution de ces droits à la Mauritanie. Ceci naturellement dans le cadre du droit et strictement dans le cadre du droit. A partir de là, nous avons entrepris un certain nombre d'actions très concrètes qui vont permettre au pays de maîtriser plus efficacement cette situation. Quelles sont elles ?

Premièrement, notre pays a souscrit à toutes les initiatives en matière de transparence dans ce domaine. Ainsi chaque opération et chaque transaction dans ce secteur sont soumises à des procédures qui assurent leur traçabilité complète, de manière à pouvoir contrôler la provenance, l’affectation et l’emploi de chaque dollar du pétrole mauritanien. Par conséquent aujourd'hui, les mauritaniens doivent savoir que l'ensemble des revenus pétroliers mauritaniens sont déposés dans un compte à traçabilité complète et claire. Ils peuvent savoir tout le processus de transit de ces fonds, d'où viennent ces montants, par qui et comment ils ont été virés. C'est le premier objectif ces inscriptions à toutes le initiatives de transparence. Aujourd'hui aucune société pétrolière ne peut s'entendre clandestinement avec un responsable mauritanien ou avec l'administration mauritanienne. Cela se retournerait invariablement contre elle.

Un deuxième objectif est celui de la clarté des relations entre l'ensemble des opérateurs dans ce domaine, que ce soit celui du pétrole ou des ressources minières. Les contrats passent obligatoirement par le circuit de la légalite stricte, ils passeront à la fois par le gouvernement et le parlement, et il faudrait vraiment un improbable concours de circonstance pour qu'à la fois un gouvernement et un parlement qui légifèrent dans la clarté la plus absolue approuvent des modalités contractuelles établies aux dépends de la Nation. L'ensemble du circuit légal doit être respecté.

Le troisieme aspect, c'est la création d'une commission nationale composée de l'ensemble des ministères concernés, mais aussi d'ONG et d'associations de la société civile. Cette commission doit permettre de garantir une transparence totale. Personne ne doit pouvoir tricher. Je veux que la société mauritanienne sache que ses ressources sont gérées selon les principes de la transparence absolue.

Ceci étant dit, ces fonds seront également gérés selon des textes de lois qui ont été mis en place afin que ces ressources soient investies dans des perspectives claires. Par exemple, une partie de ce fond est réservé aux générations futures et cette partie est gérée par une commission spécialisée qui a la charge des placements visant à pérenniser les revenus des ressources engendrés aujourd'hui. Ce fonds est lui aussi contrôlé par une commission nationale composée des parties déjà citées. Une autre part est inscrite dans le budget de l'Etat mais avec la recommandation expresse qu'il ne s'agit pas d'une rente mais d'un revenu d'investissement qui doit favoriser le développement. Chaque dollar acquis et chaque dollar dépensé le seront de façon très claire avec le soucis constant de l'avenir.


Si vous relevez l'ensemble de ces défis, le poids géopolitique de la Mauritanie va se modifier profondément, surtout dans l'ensemble arabo-musulman. Quel rôle pensez vous que la Mauritanie devrait alors jouer dans le dialogue des civilisations ?

En ce qui nous concerne, nous n'avons absolument pas la prétention de donner de leçon à qui que ce soit. Nous avons apporté des solutions à des problèmes qui nous étaient posés. Nous n'avons pas du tout la prétention d'être un exemple pour quiconque. En ce qui nous concerne nous les mauritaniens, vous savez la Mauritanie est un pays qui a sa propre culture, une culture de contact, extrêmement ouverte sur l'ensemble des peuples, sur le monde arabe, sur le monde africain, sur l'Europe et par conséquent nous avons une très vieille tradition de tolérance et de contact, très implantée dans l'ensemble de notre société.

Il est évident que l'évolution que nous essayons d’imprimer à notre pays ne peut que conforter cette tendance. Notre pays restera cet espace de discussion sur l'ensemble des problèmes du monde et évidemment nous y apporterons ce que nous pouvons y apporter. Nous essayerons toujours d'agir dans cette perspective d'entente civilisationnelle, en restant extrêmement compréhensifs à l'égard de l'autre et en essayant en permanence de résoudre l'ensemble des problèmes qui se posent par la discussion, la concertation, la compréhension plutôt que par l’agressivité ou le conflit, dans un monde où malheureusement le dialogue est très vite rompu.

Vous avez lancé des mesures concernant la présence des femmes, à hauteur d'au moins 20%, dans la vie politique mauritanienne. Il semble cependant que l'engagement ou la présence des femmes dans ce domaine reste limité. Comment pensez-vous inciter les hommes à l'accepter, et les femmes à s'engager plus fermement dans la vie politique ?

Nous avons passé des textes qui légifèrent sur cette mesure. Si nous n'arrivons pas à ces 20%, nous en serons proches. Reste la volonté des acteurs politiques de ce pays. Si
j' étais à leur place, je n 'hésiterais pas un seul instant: 51% de l'électorat mauritanien
est composé de femmes !

Enfin, quel message voudriez-vous communiquer aux français mais aussi à la communauté internationale concernant les mois qui vont suivre et qui doivent nous mener aux élections présidentielles de Mars 2007 ?

Nous mauritaniens avons montré que ce qui s'est fait chez nous s'est fait dans un consensus total, d'abord par la concertation, avec l'ensemble des mauritaniens, des partis politiques, des différentes représentations de la société civile. Nous avons débuté par cette concertation, permettant un consensus national qui ne s'est pas démenti jusqu'ici, et nous avons bien l'intention de continuer dans ce sens.

Ce qui se passe en Mauritanie reflète notre volonté générale et notre désir de réussir et de faire aboutir cette transition. Nous avons la conviction la plus absolue que ce que nous sommes en train de faire est juste, et que nous sommes capable de relever tous ces défis. Nous sommes capables de réussir et nous réussirons. Voilà mon message.