Togo: Interview with Guy Sauvanet

Guy Sauvanet

Directeur Général (Orabank)

2014-10-27
Guy Sauvanet

Pensez-vous que l’Afrique a tout ce qu’il faut pour prendre son destin en main ?

 

Oui, effectivement, le continent enregistre une très forte croissance. Encore faut-il distinguer différentes régions et différents pays.  Considérer l’Afrique de manière globale, c’est peut-être un peu réducteur. Ce que nous connaissons plus particulièrement à Orabank, c’est l’Afrique de l’Ouest et Centrale francophone. Nous croyons beaucoup aux potentialités de l’Afrique et c’est pour cela que nous y investissons et nous développons.

 

Pour ce qui est de notre région, l’Afrique de l’ouest francophone, on a un taux de croissance très élevé, proche de 2 chiffres dans certains pays. Il s’agit d’une évolution très positive, qui confirme l’ambition que nous avions déjà, d’être très présents sur ce marché.

 

Le secteur bancaire constitue un socle important pour l’économie togolaise. Quelles sont justement les forces et faiblesses du secteur bancaire au Togo ?

 

Comme forces, on peut noter que le secteur bancaire au Togo est très professionnel, dirigé par des personnes compétentes, un secteur qui est soumis à une réglementation stricte d’une Banque centrale indépendante des Etats, puisque c’est une Banque centrale de toute la zone, avec une monnaie stable, un taux d’inflation réduit, et une économie en forte progression.

 

Pour ce qui est des faiblesses, il y a encore un taux de bancarisation très réduit, malgré tous les efforts consentis, aussi bien par l’autorité de tutelle que par les banques primaires. Certes, les banques ouvrent des agences, proposent de nouveaux produits, investissent dans la technologie, travaillent à renforcer l’usage des moyens de paiement modernes mais il reste beaucoup à faire. Le chantier reste vaste.  

 

On déplore aussi le niveau élevé de créances douteuses dans les portefeuilles des différentes banques.

 

Il est vrai que les banques sont plus installées dans les centres urbains que dans les zones de l’intérieur du pays. Ce qui fait que les populations agricoles de l’intérieur son quasi absentes des portefeuilles des banques, alors que ce sont des gens qui produisent et qui contribuent à l’économie du pays. Toute une classe a un niveau de vie relativement faible, mais dispose quand même d’une  capacité d’épargne, et a des besoins de consommation.

 

Si on compare les taux d’équipement en compte en banque aux taux d’équipement en téléphone mobile, on s’aperçoit qu’on a un facteur de 1 à 3. Ceux qui ont un téléphone mobile le rechargent avec des crédits de communication. L’utilisation du téléphone mobile peut être une des voies de développement de la bancarisation, plus rapide et moins onéreuse  que le déploiement d’un réseau d’agences. La couverture téléphonique du GSM du pays est assez bonne. C’est un moyen d’atteindre les populations qui sinon seraient quasiment exclues du secteur bancaire.

 

Ce sont des choses que vous êtes en train de développer ?

 

Oui, c’est quelque chose qu’on est en train de développer. Il y a eu des exemples dans d’autres pays. Tout le monde parle du MPSA au Kenya. On travaille très sérieusement sur ce sujet là pour le Togo avec des partenaires spécialisés.

 

Confirmez-vous que vous êtes le leader sur le marché bancaire, avec Ecobank ?

 

On est actuellement en termes de total de bilan (plus de 400 milliards de francs CFA) et en termes de capitalisation, la première banque du Togo.

 

En termes de capitalisation, vous êtes à combien ?

 

Nous avons un capital social d’un peu plus de 10 milliards francs cfa. Ça, ce n’est que le capital. En y ajoutant les réserves qui font partie de nos fonds propres. On atteint 27 milliards de francs CFA de fonds propres, ce qui nous assure une excellente solvabilité.

 

Donc, au Togo, la loi prévoit que les acteurs qui veulent venir sur le marché togolais, doivent avoir un capital de 10 milliards fcfa

 

La loi bancaire prévoit 10 milliards fcfa, mais ce n’est pas encore appliqué aux banques en place. Celles-ci peuvent continuer à opérer avec un capital de  5 milliards fcfa. En revanche, si une nouvelle banque veut s’installer, elle doit mettre au moins 10 milliards fcfa.

 

Peut-on avoir quelques chiffres clé par rapport à l’évolution d’Orabank ?

 

On avait commencé avec une part de marché de 2 à 3% lorsque nos principaux actionnaires ont repris Financial Bank, une banque existante au Togo. La banque a fortement progressé sous l’égide de M. Mestrallet qui est le Directeur Général d’Oragroup, présent dans toute la zone.

 

On a doublé en total de bilan, en chiffre d’affaires, et en résultat, de 2010 à 2011 et à nouveau de 2011 à 2012 par croissance organique, avec un résultat de plus de 5 milliards fcfa en fin d’année 2012, et de plus de 100 milliards fcfa comme total de bilan,

 

On a continué sur la même lancée en 2013, encore par croissance organique où on a eu des taux de progression de 50%.

 

Début 2014 on a réalisé une acquisition qui nous place maintenant au premier rang des banques du Togo, puisqu’on a fusionné avec l’ancienne Banque Togolaise de Développement (BTD) pour faire agir la complémentarité entre deux entreprises qui avaient un certain nombre d’activités communes mais des positionnements différents. Orabank, plus orientée vers la clientèle des grandes entreprises et des PME, et la BTD beaucoup plus tournée vers la clientèle de particuliers, notamment les salariés, les fonctionnaires, avec un réseau à l’intérieur du pays.

 

On se trouve maintenant en première position en termes de fonds propres et  de total de bilan,  avec un réseau de 30 agences à ce jour, qui couvrent tout l’étendue du territoire national,  et il y a des ouvertures en cours. Tout cela avec une clientèle d’environ 100.000 clients sur un pays de 6 millions d’habitants. C’est vrai que c’est encore trop peu à notre gré.

 

Nous développons cette clientèle auprès de particuliers qui n’étaient pas notre marché d’origine, en leur proposant des produits adaptés. On a toute la gamme monétique, y compris les cartes prépayées rechargeables qui peuvent servir de moyens de transfert, pour avoir accès à des sommes, avec le contrôle éventuel de sa famille pour des mineurs, toute la gamme de cartes, des produits d’alerte par SMS pour signaler des mouvements sur des comptes, et la possibilité de consulter son compte sur Internet, et bientôt la possibilité de faire des payements par mobile.

 

On peut dire alors que vous êtes un pionnier dans le domaine bancaire. Offrez-vous des produits que d’autres n’offrent pas ?

 

On n’est pas les premiers à avoir introduit ces produits destinés aux particuliers, dans la mesure où nous étions plutôt une banque des entreprises mais on a une croissance beaucoup plus rapide que d’autres dans ce domaine.

 

En ce qui concerne les entreprises, nous offrons des financements bien adaptés à leurs  besoins, que ce soit en termes de financement de leur cycle d’exploitation ou de leurs investissements, ce qui est plus rare sur nos marchés. En effet on accuse souvent les banques de privilégier les opérations à court terme et de ne pas financer l’investissement.

 

Pourquoi êtes-vous un partenaire de choix par rapport aux autres banques sur le marché ?

 

On est une banque qui finance aussi l’investissement. Ce qui est plus rare dans d’autres banques. On a des contraintes, y compris des contraintes réglementaires qui peuvent freiner cette capacité de financer l’investissement. La Banque centrale a adouci ses règles. Mais comme on a un niveau de capital et de fonds de roulement important, on peut se permettre de respecter les ratios imposés par la Banque centrale, tout en finançant l’investissement.

 

L’autre avantage qu’on a, c’est que nos structures de décision sont sur place. Notre holding, Oragroup, est basé au Togo. On n’a pas à s’adresser à un siège en Europe, ou ailleurs dans un autre pays africain, ou dans une zone où on ne parle pas la même langue que nous. Il y a une délégation de pouvoir important pour la banque locale, et même pour les montants supérieurs à notre délégation, on peut obtenir très rapidement des décisions, puisque les décideurs ultimes sont au Togo. Ce sont des personnes qui connaissent les marchés africains, et qui peuvent réagir très vite. On a une capacité de réactivité certainement supérieure à pas mal de nos confrères.

 

Donc vous avez la capacité de financer des investissements de grande envergure…

 

Dans ce domaine, on participe à des financements d’infrastructures routières que l’on arrange, avec d’autres banques du groupe, éventuellement avec certains confrères. Nous structurons ces facilités. Ce qui permet à l’Etat de faire réaliser les travaux routiers de manière beaucoup plus rapide.

 

Pensez-vous que c’est aussi le rôle des acteurs économiques présents sur le marché de soutenir les initiatives du gouvernement ?

 

Sur le plan des infrastructures, je dirai oui, puisque ça bénéficie à l’ensemble de l’économie. Que ce soit les infrastructures routières, portuaires, les télécoms, on est actif dans tous ces domaines. Ça profite à l’économie de manière générale. Donc c’est un avantage pour nous.

 

On ne s’intéresse d’ailleurs pas qu’à des projets de l’Etat. On accorde aussi nos concours pour des investissements privés. Et on finance bien entendu les importations de denrées aliementaires, de tissu pagne, de biens d’équipement, de matières premières etc et les exportations. De fait nous sommes présents dans tous les secteurs de l’économie togolaise.

 

En parlant de votre parcours, vous avez été CEO de la Diamond Bank en Côte d’Ivoire et un cadre de la Banque Atlantique. Vous êtes passé à d’importants postes dans le monde de la finance. Avez-vous pu, tout au long de votre carrière, développer des aptitudes ou des expériences qui vous ont servi aujourd’hui dans votre position au Togo ?

 

Ce qui a été plus passionnant pour moi, c’est l’expérience nigériane, parce qu’il y a une grande diversité de clientèles et de nationalités dans ce pays. C’est un milieu très diversifié et dynamique, où l’on doit constamment s’adapter. J’étais  relativement jeune, à 35 ans, DGA de ce qui était, à l’époque, la quatrième banque du pays, avec une participation française. J’ai participé à la création d’une banque d’affaires, d’une maison de confirmation de crédit en Irlande et d’une société de courtage en assurance. Ça a été une aventure très stimulante durant 5 ans. Je suis retourné au Nigéria pour prendre la direction d’une petite banque, filiale d’une banque belge avec laquelle j’ai développé une clientèle de grandes entreprises locales et internationales tout en renforçant la gestion des risques et en créant un réseau d’agences à travers tout le pays pour la clientèle de détail.

 

Ce qui me motive c’est surtout de développer des activités. C’est ce que j’ai aussi fait en Côte d’Ivoire. A ma prise de fonction la banque avait trois agences. On en a ouvert une trentaine en deux ans. La taille de la banque a un peu plus que doublé en deux ans et on a sorti des résultats en forte progression.

 

De quoi êtes-vous le plus fier depuis que vous avez intégré Oragroup à Lomé ?

 

C’est d’avoir contribué à la fusion-absorption de la BTD. On est passé d’une banque essentiellement corporate, avec une centaine de personnes, et huit agences, à une banque qui a maintenant 30 agences, qui est le numéro 1. Avec la fusion, on est passé à la première place. On a 25% de part du marché et on est présent dans tout le pays. Le plus intéressant était d’arriver à amalgamer deux équipes avec des cultures assez différentes et d’insuffler un état d’esprit commercial et de service. C’est ça qui nous occupe le plus en ce moment. Et bien sur nous travaillons à  développer en commun la vision stratégique de cette nouvelle unité.

 

Un message à l’endroit des lecteurs de Ebiz Guides qui sont de potentiels investisseurs et qui souhaiteraient investir au Togo ?

 

Je dirai que c’est le très bon moment d’investir au Togo, puisque le Togo est un pays stable, qui s’est déjà modernisé et connait un bon dynamisme économique mais va se transformer encore beaucoup plus, grâce au développement du port qui est celui qui bénéficie des eaux les plus profondes de la côte, et qui va devenir un véritable hub maritime pour toute la côte atlantique de l’Afrique. Ça va être un bouleversement. Le Togo, c’est une petite population. Mais ce port ouvrira l’accès au marché du Nigeria, 170 millions d’habitants, de l’UEMOA, 200 millions d’habitants, des pays enclavés, mais aussi tous les pays de la région.

 

C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a autant de banques qui s’installent au Togo ?

 

Oui, certainement. C’est aussi la stabilité du pays, qui a, par le passé, connu des périodes difficiles tant sur le plan économique que social. On croit fermement  que le pays restera paisible  pendant de nombreuses années. Et si le développement économique suit, à plus forte raison, la situation générale  devrait se maintenir.

 

C’est le moment idéal pour investir, parce que derrière toute cette activité portuaire, on voit la logistique, la manutention, le transport routier pour desservir les pays de l’intérieur, le transport maritime par cabotage pour desservir les pays de la zone. C’est essentiellement cette activité portuaire qui va avoir un effet d’entrainement sur l’ensemble de l’économie du pays. Mais à côté de ça, on a aussi un hub aérien avec Asky qui a fait de Lomé sa base, et qui dessert pratiquement tous les pays d’Afrique, et la nouvelle aérogare aussi. Il y a eu des progrès importants en matière d’infrastructures en quelques années, et on n’a pas tout vu. C’est maintenant qu’il va y avoir un très gros changement.

 

Est-ce que Oragroup se trouve sur le stock exchange ?

 

Ce n’est pas encore le cas, puisque nous sommes un groupe relativement jeune, et en forte expansion. L’autre évènement majeur pour le groupe, c’est la prise de contrôle de la BRS (Banque Régionale de Solidarité). Une petite banque, mais qui est présente dans les huit pays de la région. Ce qui nous permet donc, en tant que groupe bancaire, d’être présent maintenant dans toute la zone BCEAO, UEMOA, et de pouvoir bénéficier d’une synergie régionale, de financer le commerce inter-Etats, faire des offres communes uniques ou harmonisées aux groupes industriels ou commerciaux qui sont présents, eux-aussi, dans ces différents pays.

 

On peut dire que Orabank est une vraie success-story sur le marché financier.