M. Yves Michel Fotso,
Directeur Général de Cameroon Airlines,CAMAIR
28 février 2001
Question 1 : En juin 2000, vous avez pris les commandes de la CAMAIR dont tous les clignotants étaient au rouge avec pour but de sortir la compagnie de la tourmente. Relever le défit de la restructuration passait entre autre par un plan de licenciement sec de plusieurs centaines demployés. Quel bilan tirez-vous après huit mois dexercice ?
Réponse 1 : Lors de mon arrivée à la tête de la CAMAIR jai dû prendre le taureau par les cornes. La compagnie reçue en héritage nétait pas en bonne santé et accusait cinq ans darriérés de comptabilité. Comme il est difficile de prendre des mesures sans avoir à disposition les principaux indicateurs financiers, jai tout dabord tenté dagir sur les éléments visibles : les effectifs, certaines charges anormales, passes droits et autres billets octroyés à 10% de leur valeur marchande.
Nous avons lan dernier rattrapé trois années de comptabilité, les exercices 1995-96, 1996-97, 1997-98. Nous clôturerons lexercice 1998-99 au mois davril de cette année. Et en juin 2001, nous aurons rattrapé toute la comptabilité.
Faire un bilan me semble cependant un peu prématuré. En observateur averti, on sent que la compagnie va mieux bien quelle ait le poids du passé à traîner. A mon arrivée, la CAMAIR ne pouvait ni payer les salaires, ni les loyers des avions. Sans avoir reçu aucun soutien financier de lEtat qui est le principal actionnaire, nous avons réussi à rétablir un certain équilibre dexploitation. Les salaires sont payés à temps, les pétroliers ont retrouvé une certaine confiance et les loueurs davions ont accepté de mettre à notre disposition le nouveau Boeing 767. Dautre part, un Boeing 757 sera livré le mois prochain ainsi que deux Bombardiers qui seront la propriété de la CAMAIR.
Même si je ne me risque pas à faire un bilan aujourdhui, je constate que les indicateurs sont aujourdhui à lorange plutôt quau rouge. Parler de privatisation est aussi trop tôt. La compagnie nest pas encore privatisable mais seulement liquidable.
Q. 2 : Limmobilisation à Paris suite à un accident du Boeing 747 Combi de la CAMAIR a quelque peu bouleversé la stratégie de restructuration de la compagnie, bâtie notamment sur la mise en exécution sur cet avion de loption cargo. Compte tenu de ce handicap, comment sarticule la politique de restructuration que vous avez choisie et quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
R. 2 : Comme vous le savez, le fait que la CAMAIR se sépare de ce 747 était devenu un problème national. Nous avions donc décidé de le garder tout en trouvant une astuce pour le rendre rentable. Linconvénient de cet avion est quil était mixte, passager et fret. En haute saison, nous ne pouvions pas assurer un nombre suffisant de sièges, et le reste de lannée suffisamment despace cargo. Lastuce a consisté à réussir à canaliser le fret Europe-Cameroun sur la CAMAIR. Avant laccident, nous avions commencé à rentabiliser cet avion. Chacune de nos rotations était rentable car nous avions un minimum de 35 tonnes de fret transporté. Le coût moyen du kilo transporté ayant aussi été relevé.
Survint laccident. Les deux mois qui ont suivi ont été très difficiles. Nous avons redéfini une nouvelle stratégie en tenant compte de la nouvelle donne qui était lindisposition du 747. Nous savons déjà que lexercice 2000-2001 sera déficitaire. A cause de laccident nous avons consommé en location tout ce que nous avions pensé générer comme liquidités ou bénéfices dexploitation.
Il faut aujourdhui reconsidérer les choses au regard de la nouvelle stratégie mise en place. Le nouveau Boeing 767 revient moins cher à lexploitation, tout en transportant le même nombre de passagers quavec le 747 accidenté. Concernant le fret, nous avons passé des accords avec Air France où nous faisons des vols conjoints et partageons les coûts dexploitation et les recettes. Ce qui permet de maintenir le prix du kilo transporté à un taux assez élevé.
Dautre part, le 25 mars prochain, nous recevrons un nouvel avion qui desservira lAfrique de lOuest, puisque nous allons maintenant jusquà Dakar et Bamako et qui servira de « backup », davion de remplacement à notre 767. Car lorsque la CAMAIR navait quun seul avion, les passagers étaient obligés dattendre, en cas de panne, que problème technique soit résolu. Ceci nous a fait perdre de nombreux clients à « haute-contribution ». Dès le mois de mars donc, notre message sera : « vous nattendrez jamais plus 24 heures pour être dépannés ». Dès que le délai excèdera six heures, on fera décoller lavion de remplacement. Cette stratégie nous donne plus de souplesse dans lexploitation.
Q. 3 : Concernant le Boeing 747 accidenté immobilisé à Paris. Pensez-vous quil puisse être à nouveau opérationnel et quil vole à nouveau sous les couleurs du Cameroun. Quel serait le budget nécessaire pour mener à bien la campagne de réparation ?
R. 3 : Conserver cet appareil au sein de notre flotte est anti-économique et anti-social. En tant que mandataire social, je déconseille de faire réparer cet avion. Je ne serai pas en mesure de mener à bien la mission qui ma été confiée si lon me redonne cet avion à gérer. Sur un plan commercial, la CAMAIR nayant quun seul 747, le jour où il sera réparé et remis en ligne, les passagers auront peur de monter à bord. Les pilotes camerounais de 747 quant à eux se défendent en arguant du fait quAir France a déjà connu ce genre de sortie de piste sur ses 747, notamment à Tahiti. La différence est pourtant grande : Air France a les moyens daffréter dès le lendemain un autre avion sur la même destination. Et quand après réparation, le Boeing reprend du service, personne ne se doute quil sagit de lavion accidenté. Il nen va pas de même pour la CAMAIR qui na quun seul 747. Tout le monde saura que cest celui-là qui est de retour et personne ne voudra voler dedans.
En ce qui concerne le coût de la réparation. Vous nêtes pas sans savoir que Boeing na pas dateliers en France. Il faut donc trouver quelquun qui soit agréé par Boeing pour faire cette réparation. Boeing va fournir les pièces telles que lélectronique et les trains datterrissage et faire déplacer ses ingénieurs pour la partie qui ne peut être déléguée à un sous-traitant. Coût de lopération : à peu près 47 millions de dollars (32milliards de FCFA). Concernant les travaux de chaudronnerie, ceux à effectuer sur les structures de lavion, Air France estimé les travaux à 15 ou 17 millions de dollars. Ces deux opérations nous amènent donc à un total denviron 65 millions de dollars pour réparer cet avion. Ce Boeing avait une valeur marchande avant laccident de 23 millions de dollars. Si nous voulons vraiment un 747, autant en acheter un autre vieux de vingt ou trente ans. Il nous coûtera toujours moins cher que le nôtre.
Dailleurs, je nexclue pas que le Gouvernement veuille un autre 747. Mais ça ne peut pas être celui-là. Il serait anti-commercial et anti-économique dimaginer que notre 747 puisse un jour voler à nouveau pour Cameroon Airlines.
Q. 4 : En guise daccompagnement des réformes engagées au sein de la compagnie depuis le mois de juin, vous envisagez dune part délargir votre flotte et deuxièmement de tabler sur la conquête ou la reconquête des passagers internationaux. Quelle est votre politique en ce domaine ?
R. 4 : Nous envisageons doccuper tous les espaces laissés libres dans les zones rentables. Nous avons déjà commencé en ouvrant Bamako et Dakar qui nétaient plus desservis. Nayant pas pu trouver un accord avec Air Afrique, nous en avons signé avec Air Mali qui a les droits Bamako-Abidjan et Dakar. Si bien quaujourdhui nous prolongeons les vols sur ces destinations en étant plein si bien quà partir du 25 mars nous mettrons deux vols supplémentaires sur Bamako-Dakar.
Dautre part, nous avons fait le constat quil y avait environ une vingtaine de vols par semaine qui partaient de Bamako pour Paris. Le groupe duquel je suis issu à de forts intérêts au Mali. Les vols sont pour sy rendre sont toujours pleins. Ce qui veut dire quil y a un fort potentiel sur cette ligne. Nous affecterons notre Boeing 757 de « backup » sur la ligne Douala-Lagos-Bamako-Paris. Nous chercherons avec cette ligne à amortir le coût de location de notre avion « backup » et seront satisfait si son exploitation rapporte à la CAMAIR.
Pour des raisons internes au Cameroun il faut maintenir ouverte la desserte de Londres même si elle nest pas rentable. Malgré toutes les sollicitudes des pouvoirs publics, jai refusé de faire cette desserte en 747 car trop coûteux. Desservir Londres en 767 est encore trop gros pour le nombre de passagers transportés. Par contre, sera mis en place un vol par semaine qui fera Lagos-Douala-Londres et retour, en espérant compléter le Boeing 757 en prenant des passagers à Lagos.
Les deux Bombardiers de 50 et 70 places serviront à faire des liaisons directes Douala-Yaoundé-NJamena, Douala-Abidjan-Dakar sans escale par Lagos. Ces avions sont plus rapides quun 737. Ils volent à Mag 85 contre Mag 80 pour un 737. Le vol Douala-Abidjan durera 1h45 et 1h05 dAbidjan à Dakar. Nous pensons là encore glaner une clientèle daffaire qui na pas besoin de sarrêter à Lagos. Si ce vol savère rentable, nous volerons six jours sur sept entre Abidjan, Dakar et Douala.
Q. 5 : Avec 290 000 passagers transportés dans lannée, Cameroon Airlines se place au 16eme rang des compagnies africaines. Pour faire grimper la CAMAIR dans le « hit parade » des compagnies aériennes les plus performantes, a été évoquée notamment une révision des tarifs pratiqués vers des prix plus attractifs. Cette politique de baisse des prix fait-elle partie de votre plan daction ?
R. 5 : La baisse des prix ne fait pas partie de notre plan daction. On ne peut pas à la fois prétendre rentabiliser une entreprise tout en révisant les prix à la baisse. La qualité de service permettra de maintenir les prix à leur niveau actuel voire de les réajuster à la hausse. Réorienter à la hausse ne veut pas dire laugmentation des prix mais la réduction des avantages qui étaient accordés jusqualors.
Jenvisage que CAMAIR devienne une référence dans la ponctualité et dans un délai de cinq à six mois, offrir une qualité de services qui soit comparable à celle de SWISSAIR.
Q. 6 : Quand le président Biya vous désigné en juin dernier pour prendre la tête de la compagnie aérienne nationale, les journaux ont titré : « M. Fotso a six mois pour redresser la CAMAIR ». Considérez-vous avoir encore un long chemin à parcourir et dans combien de temps pensez-vous que la CAMAIR soit suffisamment attractive et pour intéresser déventuels repreneurs ?
R. 6 : Quand je suis entré en fonction, le Ministre des Transports a déclaré que javais six mois pour rendre lentreprise privatisable. La situation était alors catastrophique, la CAMAIR étant en quasi-cessationn de paiement. Javais six mois, non pas pour « redresser la CAMAIR » comme lont titré les journaux, mais pour déterminer si la compagnie était viable ou non. Si la sortie de piste de notre 747 à Paris navait pas eu lieu, nous aurions pu dégager en juin 2001 un bénéfice dexploitation appréciable. Le budget prévisionnel élaboré en octobre dernier prévoyait en effet 4 milliards de FCFA de bénéfices.
Concernant les délais, les pouvoirs publics ainsi que le chef de lEtat me font confiance pour ne pas chercher à méterniser à la tête de la CAMAIR mais pour dire le moment venu que la compagnie est prête pour la privatisation ou quau contraire, il ny à rien à en tirer. Cependant je suis confiant.
Q. 7 : Concernant le processus de restructuration, quel agenda vous êtes-vous fixé ? Quand pensez-vous mener à bien ce processus ?
R. 7 : Je demande à lEtat dassumer sa part de responsabilités dans la situation dans laquelle se trouve la CAMAIR. La première étape de ma mission est de démontrer que lexploitation de la compagnie peut être bénéficiaire. En ce qui concerne le bilan, au 30 juin 2001 ou au plus tard au 31 décembre 2001, je pense être en mesure de montrer que la CAMAIR gagne de largent dans son exploitation quotidienne.
Cependant, ce nest pas ce qui rend la CAMAIR attractive, car elle traîne plusieurs milliards de déficit derrière elle. Dici à la fin de lannée, les effectifs auront été allégés, ce que répugne toujours à faire le repreneur dune compagnie. Jaurai dans le même temps discipliné les structures de lEtat qui avaient pris lhabitude de bénéficier davantages divers. Il restera à tenter déquilibrer le bilan. Pour ce faire, jai saisi le ministre dEtat chargé de lEconomie et de Finances pour demander que me soient appliquées les même règles que celles qui sont appliquées aux entreprises à privatiser ou à liquider. A savoir que si lon décidait de liquider la CAMAIR, lEtat devrait reprendre à sa charge toutes les cotisations de sécurité sociale qui nont pas été versées, à sa charge ainsi que le coût des licenciements. Ce que je demande à lEtat aujourdhui, cest de faire comme si la compagnie était en liquidation et de me retirer toutes ces charges maintenant. Compte tenu que la CAMAIR va devoir payer 6 milliards de FCFA pour les 600 personnes que je vais faire partir, si lEtat acceptait de prendre en charge une partie de ces frais qui correspondrait à ce quil aurait payé si la compagnie avait été liquidée, cela nous permettrait de créer un compte dexploitation positif au 31 décembre prochain. Ainsi, la compagnie deviendrait attractive et lon pourrait commencer à parler de privatisation.
Q. 8 : Voudriez-vous nous donner en résumé un bref aperçu de votre parcours professionnel, de ce que vous attendez du futur et ce que vous considérez comme étant les opportunités dinvestissement au Cameroun ?
R. 8 : Je suis le principal dirigeant du groupe industriel et bancaire de mon père, Victor Fotso. Après des études en France et un MBA aux Etats Unis, jintègre lentreprise familiale dans la cellule parisienne qui sert de bureau dachat et de contrôle de gestion pour 11 unités industrielles de notre groupe en Afrique. Stagiaire, attaché de direction puis directeur adjoint, je pars faire de lintérim de direction dans divers pays dAfrique avant de devenir directeur général adjoint de la cellule parisienne. En 1994, je prends réellement les rênes du groupe. Le groupe était alors surtout industriel avec des papeteries, des distilleries, des usines dallumettes, de pile ou dinsecticides. Je décide alors dorienter la politique de diversification vers le secteur bancaire. Jai à mon actif la création de la Commercial Bank of Cameroon, CBC, le rachat des anciens Crédit Lyonnais de République Centrafricaine et du Tchad et la création en cours de filiales au Congo et en Guinée Equatoriale.
Q. 9 : Directeur de compagnie aérienne ne vous tente donc pas ?
R. 9 : Il est vrai quau Cameroun, on ne tient pas compte du délit dinitié. Je pourrais donc diriger la compagnie après lavoir moi-même redressée. Mais le rachat de la CAMAIR nintéresse pas notre groupe. De plus, dun point de vue local, le public verrait dun très mauvais il que nous mettions la main sur la CAMAIR. Pourtant le potentiel est énorme et nous aurions pu y penser. On a pu lire dailleurs dans les journaux quil sagissait dune privatisation qui ne disait pas son nom et quil était impossible que nous ayons accepté de travailler pour lEtat sans que le groupe Fotso soit sur les rangs pour la privatisation. Mais il nen est rien.
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