Q1 Monsieur
le Ministre merci de nous recevoir. Tout d'abord,
nous aimerions vous demander de nous présenter
en bref la situation actuelle du secteur agricole
en Guinée.
A1: Je dois dire que ces dernières
années ont vu une progression du développement
rural à 5,9% par rapport à la
croissance du pays, qui est de 4,2%, et la
croissance démographique de 3,5%. Cela
veut dire que, dans la sous-région,
notre développement agricole a connu
quand même un important développement.
Et cela nous réjouit à plus
d'un titre parce que c'est en fonction de
la politique que nous avons engagé
déjà depuis longtemps et qui
commence à porter ses fruits. Nous
avons donc défini prioritairement les
objectifs, qui sont la sécurité
alimentaire, relancer les cultures d'exploitation,
professionnaliser le secteur et assister les
plus hauts de manière à ce que
progressivement ils puissent remplacer l'Etat
dans les fonctions d'évolution et de
commercialisation. Aujourd'hui donc, ces différents
objectifs sont atteints à des degrés
divers dans la mesure où l'importation
a été réduite presque
de moitié et la couverture des besoins
a connue une progression qui avoisine aujourd'hui
65% à 70% en céréales.
Les cultures d'exportation ont connu aussi
une nette avancée quand on parle
du café qui avoisinait près
de 25 000 tonnes et le coton qui a atteint
37 000 tonnes.
Malheureusement, le coton, comme vous le
savez, a des sérieux problèmes
de prix sur le marché international.
C'est très cyclique. Ce qu'il se
passe aujourd'hui c'est que malheureusement
le coton accuse un prix très bas.
Nous avons donc dû faire appel à
l'Etat pour subventionner, parce que derrière
cette filière, il y a des milliers
de familles, près de 40 000 familles
qui vivent de cela. L'Etat est obligé
d'intervenir. Il faut donc prendre le coton
avec les producteurs et le stocker jusqu'à
ce que le prix s'améliore sur le
marché. Comme vous le savez aussi,
nous exportons un peu d'ananas, de mangues
et de fruits divers, un peu d'horticulture,
aussi du bois que nous avons naturellement
arrêté pour l'instant, en tenant
compte de la déforestation progressive
mais le bois a constitué à
un moment donné un produit d'exportation
important. Concernant la professionnalisation
du secteur, il y a aujourd'hui des unions,
des groupements qui se spécialisent
par filière : producteurs de riz,
producteurs de café, producteurs
de coton... et puis la privatisation de
certaines activités comme le programme
" Somacier ", à l'intention
des groupements et des fédérations.
Tout cela a été chapoté
par la mise en place du Chambre Nationale
d'Agriculture. Donc sur le plan potentiel,
déjà sur les 6 millions d'hectares
de terre, on a pu maintenant mettre en valeur
près de deux 2 millions d'hectares,
il reste 4 millions à valoriser.
Nous allons donc nous attaquer à
cela en faisant appel naturellement aux
investisseurs privés. Il y en a déjà
qui se sont manifestés. La Chine
dans la production du riz, les Belges dans
la production légumineuse. Malheureusement
avec la guerre qui s'est passée à
la frontière, on a été
obligé d'arrêter l'activité,
mais c'était déjà très
bien parti avec la production de 4 variétés
de melons qui se plaçaient très
bien sur le marché international
et ça faisait des rentrés
de devises importantes. Aujourd'hui il y
a des tendances pour reprendre justement
cette activité là. Il n'y
a pas longtemps, j'ai signé deux
contrats avec un groupe américains,
mais malheureusement je n'ai pas sur place
les noms. Ils se proposent de produire le
piment, le transformer en poudre et l'exporter.
Il y a donc deux 2 groupes américains
qui sont installés en Basse Guinée
actuellement, qui ont commencé déjà
à travailler. C'est pour vous dire
que, d'une manière générale,
le développement rural se présente
très bien en potentiel et en valorisation
du potentiel en fonction de la politique
libérale que nous avons, que le gouvernement
a traité à ce niveau ; et
grâce aux partenaires au développement
tels que les Organisations des Nations Unies,
le financement de la Banque Mondiale, du
Fonds Monétaire, de la AFD
Q2 Quel est le rôle de l'Etat pour
favoriser le développement de l'agriculture
notamment avec la LPDA I et II ?
A2: Dans la Lettre de Politique de
Développement Agricole dans sa phase
I et II, il est mentionné spécialement
que l'Etat doit dégager ses fonctions
régaliennes. Les fonctions régaliennes
de l'Etat doivent se situer dans le cadre
de la réglementation, de l'incitation,
définir vraiment une atmosphère
permettant un investissement et la sécurisation
des investissements. Naturellement, cela revient
à l'Etat. Maintenant, tout ce qui est
production et commercialisation revient de
facto au privé.
Q3 Qu'en est-il du volet social de toutes
ces réformes ?
A3: Bon, vous savez dans le secteur
agricole, l'essentielle des activités
reposent sur les femmes. Donc nous avons un
aspect genre très prononcé dans
le développement rural, ce qui entraîne
automatiquement l'aspect social. Voyez vous,
la femme est plus sensible à ce développement
là, et de la production, à la
distribution, ou à la commercialisation,
elle se retrouve pratiquement sur toutes les
étapes. L'effet d'accompagnement social
de notre activité, c'est que nous développons
parallèlement l'éducation, la
santé et les désenclavements
des zones, la fourniture d'eau potable par
la réalisation des forages, parfois
des pompages solaires qui permettent donc
d'éviter les infections et la réduction
des maladies. Donc il y a tout un ensemble
de paquets qui accompagne les actions agricoles,
donc qui ont un caractère très
social prononcé parce que nous nous
sommes dit " pour que nos producteurs
puissent avoir le maximum de sa capacité
il faut tout un effet d'accompagnement, l'éducation,
la santé, la sécurité
et surtout l'évacuation, les marchés
". Voilà, j'oubliais les marchés
aussi, et en même temps les maisons
de jeunesse. Voyez vous, tous ceux-ci constituent
des aspects que nous appelons des aspects
sociaux du développement rural, et
qui sont pris en compte dans notre politique
de développement agricole.
Q4 Avec toutes ces potentialités
agricoles, ce secteur va t-il devenir le
fer de lance de l'économie guinéenne
?
A4: Absolument, et il l'est déjà
parce que ce que nous nous sommes proposés
dans la lettre de politique dans sa deuxième
phase, c'est de procéder à une
mutation de l'agriculture de subsistance en
agriculture de marché. Naturellement,
nous comptons déclasser les mines parce
que les mines, comme vous le savez la bauxite,
l'or, le diamant jouent énormément
contre l'environnement, alors que la production
agricole restaure l'environnement, si on la
mène de façon naturellement
scientifique. Et c'est ce que nous nous efforçons
de faire aujourd'hui dans les 4 zones naturelles
de la Guinée ; nous avons déterminé
des locomotives, des spéculations qui
permettent de développer ces zones.
En Guinée Forestière, c'est
l'huile de palme, le café, le cacao
En Haute Guinée c'est le coton qui
guide la locomotive parce que là, il
y a des ristournes de 9 à 10 milliards
qui sont redistribuées dans le secteur
et qui permettent justement d'améliorer
l'habitat, la santé, les routes et
le bien être dans la zone. |
En Moyenne Guinée,
c'est la pomme de terre et l'oignon qui permettent
aujourd'hui à la Fédération
de Producteurs de pommes de terre, comme je
vous l'ai dit, d'avoir vraiment un niveau
de vie qui s'améliore d'année
en année. En Basse Guinée, ce
sont les légumes, le maraîchage
et les fruits et légumes, le riz...
Donc, dans ces 4 zones naturelles avec ces
4 micro-climats, ces différents types
de sols, ça nous permet vraiment d'amorcer
un développement, mais dans le sens
pérint, dans la mesure où progressivement,
les groupements se prennent en charge et le
transfert de technologie se fait, et aujourd'hui
le paysage Guinéen peut faire son programme
d'activité, ce qui n'était pas
vrai il n'y a pas longtemps. Il subit une
alphabétisation assez poussée,
qui lui permet de lire et de compter, parce
que les grandes filières que je viens
de dégager permettent aussi l'alphabétisation
du groupement, du moins des leaders au niveau
des groupements, si bien que toutes les pesés
quand je prends par exemple le coton qui s'effectue
en tandem avec le paysan. Le cadre fait sa
comptabilité, le paysan aussi fait
sa comptabilité. Et quand on arrive
au paiement, il faut qu'ils tombent d'accord
sur le même chiffre, sinon c'est des
palabres interminables jusqu'à ce qu'un
consensus soit trouvé. C'est pour vous
dire qu'avant c'est quelque chose qui se faisait
dans un sens, maintenant c'est dans les deux
sens. Donc le cadre fait attention, parce
qu'il sait maintenant qu'il n'est plus seul
à faire la comptabilité. Donc
l'agriculture est la priorité des priorités
du gouvernement, et cela se fait sentir par
des rentrées de devises que nous opérons
actuellement. N'eut été le problème
du prix de coton, dans l'année 2000,
nous avons vendu à la banque centrale
près de 45 millions de FRF. C'est-à-dire
qu'avec l'exportation agricole, on peut tout
de suite mobiliser les devises sur le pays
et rapidement ; différemment de la
bauxite qui doit d'abord trouver un certain
nombre de transformation. Moi avant que je
ne cueille le coton, j'ai déjà
les marchés que je passe pour les campagnes
à venir, voyez vous. Il y en a qui
s'inscrivent pour 2 000, 3 000, ou 4 000 tonnes
avant même que la campagne n'arrive.
Une caution est déjà payée
à l'avance, ce qui n'est pas vrai pour
la bauxite, ce qui n'est pas vrai pour le
diamant, ce qui n'est pas vrai pour l'or.
Il faut qu'ils arrivent, qu'ils soient testés,
contrôlés. Et puis finalement
on détermine le prix, et comme vous
le savez, il y a tout un processus qui se
développe.
Q5 Vous avez parlé brièvement
de la sécurité alimentaire
qui est un point important pour le Président
Lansana Conté. Où en est exactement
ce sujet ?
A5: Alors il y a beaucoup d'espoirs
parce qu'aujourd'hui, je vous ai parlé
de la croissance du développement rural
qui est de 5,9%. Malgré l'attaque rebelle
qui a fait un frein à un moment donné,
la reprise s'est toute suite accentuée
parce que les producteurs ont compris que
la meilleure façon de sauvegarder la
sécurité et la paix, c'est d'avoir
à manger. Malgré ce temps là,
la solidarité nationale et internationale
s'est développée. Nous ne nous
sommes pas contentés simplement de
donner à manger, mais nous avons donné
les semences, les outils pour qu'ils continuent
à produire. Donc la sécurité
alimentaire aujourd'hui est à 65% de
couverture de nos besoins, et comme je vous
l'ai dit, si le guinéen acceptait de
diversifier sa nourriture, je crois qu'on
n'est pas loin de l'autosuffisance. Mais malheureusement,
nous consommons beaucoup plus de riz qu'autre
chose. Aujourd'hui on en est à 90 kilos
par personne et par an, ce qui est énorme.
Parce que malheureusement pour le guinéen,
le petit-déjeuner, c'est le riz, le
déjeuner, c'est le riz, et le dîner,
c'est le riz. Quand vous vous promenez à
travers la ville, vous voyez de petits "
gargotes ", il n'y a rien d'autre à
vendre que du riz. S'il acceptait ne serait-ce
que de prendre un bouillon de légumes,
du maïs ou du fonio, nous serions autosuffisants.
Mais il n'accepte pas de varier. Même
avec le manioc, on peut faire jusqu'à
7 plats différents. Dans certaines
zones de la Guinée, il y a des familles
qui mangent le " tôt ", c'est-à-dire
la pâte de manioc avec la sauce. Si
dans l'ensemble, les familles acceptaient
de manger, ne serait-ce qu'une ou deux fois
par semaine, autre chose que du riz, nous
serions autosuffisants. Il n'y a pas longtemps,
avec l'association pour le développement
de l'Agriculture en Afrique de l'Ouest, nous
avons mis au point le nerical, le nouveau
riz pour l'Afrique, qui a 90 jours de végétation
et qui fait 1,200 tonnes sans engrais et qui
fait 2,500 voire 3 tonnes avec engrais. Il
y a longtemps en Afrique du Sud pour le développement
rural, la Guinée a été
plébiscitée, et c'est à
cette occasion que j'ai reçu pratiquement
tous les médias qui avaient eu à
couvrir cette conférence ici. Je les
ai accompagné à Faranah pour
visiter les différents sites où
le nerica a été adopté.
Je dois dire que ça fait partie des
éléments qui pourront nous aider
très rapidement à rattraper
le reste du pourcentage que nous avons à
développer dans les 5 prochaines années,
nous nous sommes fixés comme objectifs
la LPDA pour 2005. Pourquoi 2005 ? Parce qu'en
développant ces semences à haut
rendement, à forte productivité
et à cycle végétatif
court, nous sommes à même de
pouvoir cultiver 2 fois au cours d'une saison
pluvieuse de 6 mois. Alors nous sommes en
train de développer certaines variétés
irrigables. Ça veut dire que pendant
la saison sèche, avec la maîtrise
de l'eau, qui reste l'une de nos préoccupations
majeures parce que dans ce pays ils tombent
au moins plus de 400 milliards de mètre
cube d'eau du mois de juin à décembre,
nous avons donc développé un
certain nombre de projets : retenues collinaires,
mise en valeur des eaux de surface avec la
FAO... Nous recherchons maintenant le financement
pour que nous puissions établir des
retenues collinaires sur l'ensemble du territoire
national et nous permettre de produire, pendant
la saison sèche, des cultures de contre
saison. C'est plus rémunérateur
et ça nous permet, au lieu d'1 récolte
ou 2, de faire au moins 4 récoltes
dans l'année. Voilà tout un
ensemble de paquets technologiques, de Recherche
& Développement, de vulgarisation
que nous engageons pour atteindre nos objectifs
en 2005.
Q6 Comme dernière question, j'aimerais
vous demander de nous expliquer un peu votre
parcours professionnel et votre plus grande
satisfaction depuis votre nomination comme
Ministre de l'Agriculture ?
A6: Vous savez il n'est pas facile
de parler de soi même. Je préfère
agir et laisser les autres me juger, voir
ce que je fais par rapport à ce je
fais. Sinon aujourd'hui je dois dire que je
suis très satisfait d'avoir choisi
cette option parce que c'est par vocation,
c'est par amour que j'ai choisi l'agronomie
voyez vous. J'ai fait la mission catholique
avec les prêtres. Ensuite, le collège
technique, le lycée technique et l'Université
de Conakry, l'université que vous voyez
à Donka, à côté
du stade du 28 septembre. Donc mon cursus
s'est développé à ce
niveau. J'avais le choix entre la médecine,
la pharmacie et l'agronomie. En tenant compte
de l'option bio-chimie que j'ai eu à
faire au lycée, j'ai choisi l'agronomie
parce que j'aime la terre et j'estime que
c'est une activité qui permet à
l'homme de s'exprimer, d'être indépendant.
Je suis de nature indépendante, je
préfère ne pas être dans
une contrainte ; et là, avec l'agronomie,
ça me donnait la voix avec la nature
de vraiment et de faire fructifier et de nourrir
le maximum de gens. Parce que je me suis dit
que, quelque part, les besoins essentiels
de l'humain c'est se nourrir, se vêtir
et se loger. Mais ce qui est fondamental parmi
ces trois là, c'est manger. Alors je
me suis dit " en faisant l'agronomie,
non seulement je suis indépendant,
je suis libre, je peux faire ma plantation,
vivre des fruits que je fais, exporter, avoir
l'argent sur tout ce que je veux, et en même
temps nourrir aussi bien les animaux de la
brousse que les humains ".
Q7 Est-ce que vous avez un message final
pour les 800 000 lecteurs de l'Express qui
sont également des investisseurs
potentiels ?
A7: Je leur demande de venir en Guinée.
Je l'ai dit tantôt, il y a 4 millions
d'hectares à mettre en valeur. Il y
a l'eau, il y a la terre fertile et il y a
une réglementation qui permet de sécuriser
les investissements dans le domaine agricole.
Je les invite donc à être là
et à nous prendre au mot, parce que
ceux qui sont venus n'ont pas été
déçus, n'eût été
l'agression à nos frontières.
Toutefois, nous avons pris des dispositions
pour qu'on ne soit plus surpris. |