THE REPUBLIC OF GUINEA
L'Exception Africaine


V.I.P. INTERVIEWS
  Interview avec

MONSIEUR JEAN PAUL SARR

MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'ELEVAGE
Q1 Monsieur le Ministre merci de nous recevoir. Tout d'abord, nous aimerions vous demander de nous présenter en bref la situation actuelle du secteur agricole en Guinée.

A1: Je dois dire que ces dernières années ont vu une progression du développement rural à 5,9% par rapport à la croissance du pays, qui est de 4,2%, et la croissance démographique de 3,5%. Cela veut dire que, dans la sous-région, notre développement agricole a connu quand même un important développement. Et cela nous réjouit à plus d'un titre parce que c'est en fonction de la politique que nous avons engagé déjà depuis longtemps et qui commence à porter ses fruits. Nous avons donc défini prioritairement les objectifs, qui sont la sécurité alimentaire, relancer les cultures d'exploitation, professionnaliser le secteur et assister les plus hauts de manière à ce que progressivement ils puissent remplacer l'Etat dans les fonctions d'évolution et de commercialisation. Aujourd'hui donc, ces différents objectifs sont atteints à des degrés divers dans la mesure où l'importation a été réduite presque de moitié et la couverture des besoins a connue une progression qui avoisine aujourd'hui 65% à 70% en céréales.

Les cultures d'exportation ont connu aussi une nette avancée quand on parle du café qui avoisinait près de 25 000 tonnes et le coton qui a atteint 37 000 tonnes.

Malheureusement, le coton, comme vous le savez, a des sérieux problèmes de prix sur le marché international. C'est très cyclique. Ce qu'il se passe aujourd'hui c'est que malheureusement le coton accuse un prix très bas. Nous avons donc dû faire appel à l'Etat pour subventionner, parce que derrière cette filière, il y a des milliers de familles, près de 40 000 familles qui vivent de cela. L'Etat est obligé d'intervenir. Il faut donc prendre le coton avec les producteurs et le stocker jusqu'à ce que le prix s'améliore sur le marché. Comme vous le savez aussi, nous exportons un peu d'ananas, de mangues et de fruits divers, un peu d'horticulture, aussi du bois que nous avons naturellement arrêté pour l'instant, en tenant compte de la déforestation progressive mais le bois a constitué à un moment donné un produit d'exportation important. Concernant la professionnalisation du secteur, il y a aujourd'hui des unions, des groupements qui se spécialisent par filière : producteurs de riz, producteurs de café, producteurs de coton... et puis la privatisation de certaines activités comme le programme " Somacier ", à l'intention des groupements et des fédérations. Tout cela a été chapoté par la mise en place du Chambre Nationale d'Agriculture. Donc sur le plan potentiel, déjà sur les 6 millions d'hectares de terre, on a pu maintenant mettre en valeur près de deux 2 millions d'hectares, il reste 4 millions à valoriser. Nous allons donc nous attaquer à cela en faisant appel naturellement aux investisseurs privés. Il y en a déjà qui se sont manifestés. La Chine dans la production du riz, les Belges dans la production légumineuse. Malheureusement avec la guerre qui s'est passée à la frontière, on a été obligé d'arrêter l'activité, mais c'était déjà très bien parti avec la production de 4 variétés de melons qui se plaçaient très bien sur le marché international et ça faisait des rentrés de devises importantes. Aujourd'hui il y a des tendances pour reprendre justement cette activité là. Il n'y a pas longtemps, j'ai signé deux contrats avec un groupe américains, mais malheureusement je n'ai pas sur place les noms. Ils se proposent de produire le piment, le transformer en poudre et l'exporter. Il y a donc deux 2 groupes américains qui sont installés en Basse Guinée actuellement, qui ont commencé déjà à travailler. C'est pour vous dire que, d'une manière générale, le développement rural se présente très bien en potentiel et en valorisation du potentiel en fonction de la politique libérale que nous avons, que le gouvernement a traité à ce niveau ; et grâce aux partenaires au développement tels que les Organisations des Nations Unies, le financement de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire, de la AFD…

Q2 Quel est le rôle de l'Etat pour favoriser le développement de l'agriculture notamment avec la LPDA I et II ?

A2: Dans la Lettre de Politique de Développement Agricole dans sa phase I et II, il est mentionné spécialement que l'Etat doit dégager ses fonctions régaliennes. Les fonctions régaliennes de l'Etat doivent se situer dans le cadre de la réglementation, de l'incitation, définir vraiment une atmosphère permettant un investissement et la sécurisation des investissements. Naturellement, cela revient à l'Etat. Maintenant, tout ce qui est production et commercialisation revient de facto au privé.

Q3 Qu'en est-il du volet social de toutes ces réformes ?

A3: Bon, vous savez dans le secteur agricole, l'essentielle des activités reposent sur les femmes. Donc nous avons un aspect genre très prononcé dans le développement rural, ce qui entraîne automatiquement l'aspect social. Voyez vous, la femme est plus sensible à ce développement là, et de la production, à la distribution, ou à la commercialisation, elle se retrouve pratiquement sur toutes les étapes. L'effet d'accompagnement social de notre activité, c'est que nous développons parallèlement l'éducation, la santé et les désenclavements des zones, la fourniture d'eau potable par la réalisation des forages, parfois des pompages solaires qui permettent donc d'éviter les infections et la réduction des maladies. Donc il y a tout un ensemble de paquets qui accompagne les actions agricoles, donc qui ont un caractère très social prononcé parce que nous nous sommes dit " pour que nos producteurs puissent avoir le maximum de sa capacité il faut tout un effet d'accompagnement, l'éducation, la santé, la sécurité… et surtout l'évacuation, les marchés ". Voilà, j'oubliais les marchés aussi, et en même temps les maisons de jeunesse. Voyez vous, tous ceux-ci constituent des aspects que nous appelons des aspects sociaux du développement rural, et qui sont pris en compte dans notre politique de développement agricole.

Q4 Avec toutes ces potentialités agricoles, ce secteur va t-il devenir le fer de lance de l'économie guinéenne ?

A4: Absolument, et il l'est déjà parce que ce que nous nous sommes proposés dans la lettre de politique dans sa deuxième phase, c'est de procéder à une mutation de l'agriculture de subsistance en agriculture de marché. Naturellement, nous comptons déclasser les mines parce que les mines, comme vous le savez la bauxite, l'or, le diamant jouent énormément contre l'environnement, alors que la production agricole restaure l'environnement, si on la mène de façon naturellement scientifique. Et c'est ce que nous nous efforçons de faire aujourd'hui dans les 4 zones naturelles de la Guinée ; nous avons déterminé des locomotives, des spéculations qui permettent de développer ces zones. En Guinée Forestière, c'est l'huile de palme, le café, le cacao… En Haute Guinée c'est le coton qui guide la locomotive parce que là, il y a des ristournes de 9 à 10 milliards qui sont redistribuées dans le secteur et qui permettent justement d'améliorer l'habitat, la santé, les routes et le bien être dans la zone.
En Moyenne Guinée, c'est la pomme de terre et l'oignon qui permettent aujourd'hui à la Fédération de Producteurs de pommes de terre, comme je vous l'ai dit, d'avoir vraiment un niveau de vie qui s'améliore d'année en année. En Basse Guinée, ce sont les légumes, le maraîchage et les fruits et légumes, le riz... Donc, dans ces 4 zones naturelles avec ces 4 micro-climats, ces différents types de sols, ça nous permet vraiment d'amorcer un développement, mais dans le sens pérint, dans la mesure où progressivement, les groupements se prennent en charge et le transfert de technologie se fait, et aujourd'hui le paysage Guinéen peut faire son programme d'activité, ce qui n'était pas vrai il n'y a pas longtemps. Il subit une alphabétisation assez poussée, qui lui permet de lire et de compter, parce que les grandes filières que je viens de dégager permettent aussi l'alphabétisation du groupement, du moins des leaders au niveau des groupements, si bien que toutes les pesés quand je prends par exemple le coton qui s'effectue en tandem avec le paysan. Le cadre fait sa comptabilité, le paysan aussi fait sa comptabilité. Et quand on arrive au paiement, il faut qu'ils tombent d'accord sur le même chiffre, sinon c'est des palabres interminables jusqu'à ce qu'un consensus soit trouvé. C'est pour vous dire qu'avant c'est quelque chose qui se faisait dans un sens, maintenant c'est dans les deux sens. Donc le cadre fait attention, parce qu'il sait maintenant qu'il n'est plus seul à faire la comptabilité. Donc l'agriculture est la priorité des priorités du gouvernement, et cela se fait sentir par des rentrées de devises que nous opérons actuellement. N'eut été le problème du prix de coton, dans l'année 2000, nous avons vendu à la banque centrale près de 45 millions de FRF. C'est-à-dire qu'avec l'exportation agricole, on peut tout de suite mobiliser les devises sur le pays et rapidement ; différemment de la bauxite qui doit d'abord trouver un certain nombre de transformation. Moi avant que je ne cueille le coton, j'ai déjà les marchés que je passe pour les campagnes à venir, voyez vous. Il y en a qui s'inscrivent pour 2 000, 3 000, ou 4 000 tonnes avant même que la campagne n'arrive. Une caution est déjà payée à l'avance, ce qui n'est pas vrai pour la bauxite, ce qui n'est pas vrai pour le diamant, ce qui n'est pas vrai pour l'or. Il faut qu'ils arrivent, qu'ils soient testés, contrôlés. Et puis finalement on détermine le prix, et comme vous le savez, il y a tout un processus qui se développe.

Q5 Vous avez parlé brièvement de la sécurité alimentaire qui est un point important pour le Président Lansana Conté. Où en est exactement ce sujet ?

A5: Alors il y a beaucoup d'espoirs parce qu'aujourd'hui, je vous ai parlé de la croissance du développement rural qui est de 5,9%. Malgré l'attaque rebelle qui a fait un frein à un moment donné, la reprise s'est toute suite accentuée parce que les producteurs ont compris que la meilleure façon de sauvegarder la sécurité et la paix, c'est d'avoir à manger. Malgré ce temps là, la solidarité nationale et internationale s'est développée. Nous ne nous sommes pas contentés simplement de donner à manger, mais nous avons donné les semences, les outils pour qu'ils continuent à produire. Donc la sécurité alimentaire aujourd'hui est à 65% de couverture de nos besoins, et comme je vous l'ai dit, si le guinéen acceptait de diversifier sa nourriture, je crois qu'on n'est pas loin de l'autosuffisance. Mais malheureusement, nous consommons beaucoup plus de riz qu'autre chose. Aujourd'hui on en est à 90 kilos par personne et par an, ce qui est énorme. Parce que malheureusement pour le guinéen, le petit-déjeuner, c'est le riz, le déjeuner, c'est le riz, et le dîner, c'est le riz. Quand vous vous promenez à travers la ville, vous voyez de petits " gargotes ", il n'y a rien d'autre à vendre que du riz. S'il acceptait ne serait-ce que de prendre un bouillon de légumes, du maïs ou du fonio, nous serions autosuffisants. Mais il n'accepte pas de varier. Même avec le manioc, on peut faire jusqu'à 7 plats différents. Dans certaines zones de la Guinée, il y a des familles qui mangent le " tôt ", c'est-à-dire la pâte de manioc avec la sauce. Si dans l'ensemble, les familles acceptaient de manger, ne serait-ce qu'une ou deux fois par semaine, autre chose que du riz, nous serions autosuffisants. Il n'y a pas longtemps, avec l'association pour le développement de l'Agriculture en Afrique de l'Ouest, nous avons mis au point le nerical, le nouveau riz pour l'Afrique, qui a 90 jours de végétation et qui fait 1,200 tonnes sans engrais et qui fait 2,500 voire 3 tonnes avec engrais. Il y a longtemps en Afrique du Sud pour le développement rural, la Guinée a été plébiscitée, et c'est à cette occasion que j'ai reçu pratiquement tous les médias qui avaient eu à couvrir cette conférence ici. Je les ai accompagné à Faranah pour visiter les différents sites où le nerica a été adopté. Je dois dire que ça fait partie des éléments qui pourront nous aider très rapidement à rattraper le reste du pourcentage que nous avons à développer dans les 5 prochaines années, nous nous sommes fixés comme objectifs la LPDA pour 2005. Pourquoi 2005 ? Parce qu'en développant ces semences à haut rendement, à forte productivité et à cycle végétatif court, nous sommes à même de pouvoir cultiver 2 fois au cours d'une saison pluvieuse de 6 mois. Alors nous sommes en train de développer certaines variétés irrigables. Ça veut dire que pendant la saison sèche, avec la maîtrise de l'eau, qui reste l'une de nos préoccupations majeures parce que dans ce pays ils tombent au moins plus de 400 milliards de mètre cube d'eau du mois de juin à décembre, nous avons donc développé un certain nombre de projets : retenues collinaires, mise en valeur des eaux de surface avec la FAO... Nous recherchons maintenant le financement pour que nous puissions établir des retenues collinaires sur l'ensemble du territoire national et nous permettre de produire, pendant la saison sèche, des cultures de contre saison. C'est plus rémunérateur et ça nous permet, au lieu d'1 récolte ou 2, de faire au moins 4 récoltes dans l'année. Voilà tout un ensemble de paquets technologiques, de Recherche & Développement, de vulgarisation que nous engageons pour atteindre nos objectifs en 2005.

Q6 Comme dernière question, j'aimerais vous demander de nous expliquer un peu votre parcours professionnel et votre plus grande satisfaction depuis votre nomination comme Ministre de l'Agriculture ?

A6: Vous savez il n'est pas facile de parler de soi même. Je préfère agir et laisser les autres me juger, voir ce que je fais par rapport à ce je fais. Sinon aujourd'hui je dois dire que je suis très satisfait d'avoir choisi cette option parce que c'est par vocation, c'est par amour que j'ai choisi l'agronomie voyez vous. J'ai fait la mission catholique avec les prêtres. Ensuite, le collège technique, le lycée technique et l'Université de Conakry, l'université que vous voyez à Donka, à côté du stade du 28 septembre. Donc mon cursus s'est développé à ce niveau. J'avais le choix entre la médecine, la pharmacie et l'agronomie. En tenant compte de l'option bio-chimie que j'ai eu à faire au lycée, j'ai choisi l'agronomie parce que j'aime la terre et j'estime que c'est une activité qui permet à l'homme de s'exprimer, d'être indépendant. Je suis de nature indépendante, je préfère ne pas être dans une contrainte ; et là, avec l'agronomie, ça me donnait la voix avec la nature de vraiment et de faire fructifier et de nourrir le maximum de gens. Parce que je me suis dit que, quelque part, les besoins essentiels de l'humain c'est se nourrir, se vêtir et se loger. Mais ce qui est fondamental parmi ces trois là, c'est manger. Alors je me suis dit " en faisant l'agronomie, non seulement je suis indépendant, je suis libre, je peux faire ma plantation, vivre des fruits que je fais, exporter, avoir l'argent sur tout ce que je veux, et en même temps nourrir aussi bien les animaux de la brousse que les humains ".

Q7 Est-ce que vous avez un message final pour les 800 000 lecteurs de l'Express qui sont également des investisseurs potentiels ?

A7: Je leur demande de venir en Guinée. Je l'ai dit tantôt, il y a 4 millions d'hectares à mettre en valeur. Il y a l'eau, il y a la terre fertile et il y a une réglementation qui permet de sécuriser les investissements dans le domaine agricole. Je les invite donc à être là et à nous prendre au mot, parce que ceux qui sont venus n'ont pas été déçus, n'eût été l'agression à nos frontières. Toutefois, nous avons pris des dispositions pour qu'on ne soit plus surpris.

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