Pouvez-vous nous donner
un aperçu historique de votre société
?
Notre société s'appelle PEMACO (Pêche
Maritime Congolaise). C'est une société
de pêche maritime spécialisée
dans la crevette. Nous ne faisons essentiellement
que de l'export, principalement vers l'Espagne.
Tout au début nous avons essayé la
vente sur le marché local, mais il y a un
problème d'habitudes culinaires des clients.
On ne consomme pas beaucoup la crevette au Congo.
Actuellement, nous sommes en train d'essayer la
pêche aux poissons. Nous sommes sur une expérience
qui devrait se dénouer peut être d'ici
la fin du mois prochain. Nous avons des contacts
pour prendre des bateaux en affrètement.
Ce serait essentiellement des poissons de fonds.
Quelle est la structure de votre société,
le capital, le nombre d'employés ?
Au départ on a commencé avec des bateaux
d'affrètement espagnols. Au fil du temps,
nous avons réussi à affréter
trois bateaux sous pavillon congolais. Mais la pêche
n'est pas facile, cela demande de très gros
moyens. Nos bateaux sont assez vieux.
Nous avons une cinquantaine d'employés permanents.
Avec les temporaires on tourne autour de 70 employés.
Le problème que nous rencontrons, en dehors
des bateaux qui sont vieux, est celui de la qualification
du personnel. Il n'y a pas d'école de pêche
ici. On a presque tout fait sur le tas. Quand les
bateaux sont arrivés on a profité
de la présence et de l'expérience
des espagnols qui nous ont appris le travail. Et
au fur et à mesure, ces espagnols ont été
remplacés par le personnel local.
Quelle évaluation faites-vous du secteur
de la pêche au Congo ?
En ce qui concerne mon secteur, je pense qu'il y
a encore des crustacés. Parce que nous sommes
les seuls (heureusement ) à faire ce type
de pêche. Les autres font plutôt de
la pêche côtière. Nous, nous
pêchons un peu plus loin, dans les eaux plus
profondes. C'est pourquoi nous avons cette chance
d'être seuls.
En ce qui concerne cette pêche au grand large,
il n'y a que 4 bateaux sur une côte de 170
km. En une journée on a fait le chalutage.
C'est le petit avantage que nous avons. Je continue
à penser que 5 à 6 bateaux pourraient
venir. Cela ne gênerait pas la production.
Par contre sur les bas côtés ou les
petits fonds, je ne sais pas. Je vois beaucoup de
bateaux qui s'entrelacent et je ne pense pas qu'il
y ait autant de potentialités. Sauf si éventuellement
on étend la zone de pêche jusqu'en
Angola ; il y a en effet des accords de réciprocité
avec ce pays et la même chose est en cours
avec le Gabon. Et éventuellement avec la
Namibie.
Quelle quantité de crustacés sortez-vous
de l'eau?
On tourne autour de 400 à 500 tonnes par
an de crustacées, principalement des crevettes.
Soit des prises de 400 kg par jour et par unité.
Que représente votre chiffre d'affaires et
quelles sont vos prévisions en terme de croissance
?
Pour le C.A., prenez un taux moyen de 7000 F cfa
( 9.33 $) le kilo et faites les calculs. En terme
de croissance, la grosse préoccupation que
nous avons c'est la vétusté du matériel.
Un bateau performant coûte aujourd'hui autour
de 1 milliard de F.cfa. On a parlé de chiffre
d'affaires, mais il s'évapore vite dans les
charges.
A côté de cela, il y a le problème
de structures. Le Port de Pointe-Noire a été
coupé du monde pendant près de deux
ans, sans carénage. Cela veut dire que, vous
le vouliez ou pas, vous étiez obligé
de garder le bateau dans un état de non-fonctionnement,
puisqu'on ne peut pas le hisser pour caréner
afin de refaire la structure. L'activité
a heureusement repris depuis décembre 2001.
Mais il y a toujours un manque de matériel.
Petit à petit on va avoir de nouveaux bateaux.
C'est bien ! Mais en même temps, il y a l'environnement
qui n'est pas favorable. Je veux parler des banques
qui n'existent pas. L'aide et l'accès aux
crédits sont inexistants. C'est une grave
entrave à l'achat de nouveaux bateaux. Il
y a beaucoup de choses qui nous empêchent
d'évoluer normalement.
Votre produit est destiné à l'exportation
; le marché de l'Union européenne
est soumis à des réglementations très
strictes en matière d'hygiène et de
qualité, est-ce un problème pour vous
?
Nous en avons fait la triste expérience !
Aujourd'hui la nouvelle réglementation est
telle qu'on ne fait pas la différence entre
les USA et le Congo. Quand le produit entre en Europe,
il y en a qui n'ont que faire de savoir s'il sort
des USA ou du Congo. A l'époque où
nous n'avions pas notre autorisation d'exporter,
les USA étaient eux aussi exclus de la liste.
C'est pour vous montrer la rigueur de cette institution.
Moi-même j'ai dû aller à Bruxelles
pour des négociations. On y a associé
le gouvernement par après. En ce moment,
le Congo a été remis en selle. Mais
uniquement pour les bateaux qui font toutes les
opérations en mer. C'est à dire qui
font l'extraction, l'emballage et le conditionnement
en mer. C'est notre cas heureusement. Donc aucune
opération au sol n'est possible.
Il y a un déséquilibre commercial
entre le poisson importé et le poisson congolais
?
Oui ! Tout à fait. J'imagine que le poisson
importé est de qualité inférieure
et donc moins cher. Il y a là des poissons
qui sont restés en congélation pendant
6 mois et plus ! Mais je pense que cela suppose
simplement que la demande est plus forte que ce
que les pêcheurs locaux ne produisent. Ils
ne peuvent fournir localement que 20 à 30
% de la demande.
Mais il y a toujours, sous jacent à cela,
cette question de matériels qui ralenti notre
production. Les filets sont importés, les
huiles les câbles, etc., tout vient de l'étranger.
A la limite il est plus facile d'être importateur
que pêcheur. A ce niveau, je pense que la
solution ne viendra que des pouvoirs publics pour
renverser la tendance.
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Est-ce que l'activité
pétrolière au large gêne votre
activité ? Avec réduction du périmètre
de pêche par exemple.
Nous avons constaté en ce qui concerne la
crevette que plus l'activité pétrolière
a augmenté, plus les captures ont baissé.
Est-ce lié aux changements climatiques constatés
dans le monde ou à l'afflux des sites pétroliers
? On ne sait pas ? En tous les cas, il est sûr
que les captures ont baissé.
Et paradoxalement, on a aussi constaté que
les sites pétroliers constituent des refuges
pour les poissons et malheureusement, nous n'avons
pas le droit de chaluter autour d'un site pétrolier.
Nous n'avons que 170 km de côte. S'il faut
en plus ajouter le nombre de sites pétroliers
qui nous sont interdits, vous voyez qu'il ne nous
reste pas grand chose.
Où en sont vos accords avec les pays voisins
?
J'ai participé moi-même à des
missions en Namibie, qui sont toujours restés
dans les tiroirs. Mais parlant de la Namibie, il
faut du temps pour y arriver à partir du
Congo. Donc il faut des outils ou des navires performants,
avec beaucoup d'autonomie. Pour les petits navires
par contre, des accords avec l'Angola nous arrangent.
Mais là encore nous sommes confrontés
à des obstacles.
Je prends un cas de figure : Aujourd'hui, on s'achemine
vers la taxation des produits venant de l'Angola.
Le Congo a des accords de réciprocité
avec l'Angola. Ce pays nous autorise de pêcher
le poisson. Mais notre pays le Congo est en train
de nous taxer ou de facturer le poisson pêché
en Angola. C'est à dire que le poisson pêché
en Angola doit être déclaré
et soumis à la taxation. Donc en réalité
cet accord ne nous profite pas réellement.
La loi est en train de se mettre en place. Au niveau
du syndicat nous avons essayé de protester,
on ne comprend pas ce genre d'attitude de la part
des pouvoirs publics.
Votre société reste donc principalement
sur les côtes congolaises ?
Oui ! Principalement. On peut aller en Angola pour
le poisson. Par contre, ils ont protégé
la crevette.
Devez-vous faire face à la concurrence des
sociétés internationales ?
Ce sont beaucoup plus des navires qui pêchent
illégalement. On nous signale tout le temps
des navires étrangers, on ne va pas citer
lesquels, qui viennent pêcher dans les eaux
congolaises. Pour des raisons qu'on peut imaginer,
les eaux congolaises ne sont pas protégées.
Il n'y a aucun bâtiment qui garde les eaux
territoriales.
Moi personnellement j'ai été arraisonné
au Congo. C'est drôle ! Il est vrai qu'à
l'époque mon navire avait pêché
illégalement en Angola. Mais mon bateau a
été poursuivis jusque devant le Port
de Pointe-Noire. C'est à dire que la marine
de l'armée angolaise est rentré tranquillement
jusqu'au Congo, venir chercher notre navire et le
ramener en Angola. Tout simplement, nous n'avons
pas de garde frontière. Donc des étrangers
peuvent venir pêcher tranquillement chez nous,
et être sûr de ressortir sans être
inquiétés.
La pêche maritime artisanale a une importance
significative au Congo. Ne gêne -t-elle pas
votre activité ?
Moi je pêche plus loin. Mais il nous a été
rapporté des accrochages avec les pêcheurs
artisans qui eux sont censés pêcher
à moins de 6 miles. Ils vont plus loin. Quand
vous discutez avec eux, ils disent que nous poursuivons
le poisson. Mais comme ils n'ont pas d'engins de
repère, ils dépassent souvent les
limites qui leur sont imparties ; quand ce n'est
pas nous qui venons chercher le poisson un peu plus
bas. Mais je ne pense pas que ce soit là
le vrai problème qui empêche de pêcher.
Ce sont plutôt des problèmes d'infrastructures.
Y a-t-il assez de réserves de poissons et
de crustacés ou alors ces réserves
s'épuisent ?
Il y a eu des chutes de prises, mais cela ne peut
pas empêcher de travailler. Je pense que pour
le moment, 3 à 5 bateaux de plus peuvent
encore venir pêcher, la crevette essentiellement.
Je parlai tantôt des prises de 400 kg par
jour, mais il y a des jours et des périodes
où on peut atteindre 600 à 700 kg
par jour et par unité.
Quel est le plus gros frein au développement
de votre activité?
Je pense que tout est lié à l'environnement
du pays. On ne peut pas parler de développement
dans un secteur si le pays ne s'y prête pas
économiquement et politiquement.
Par exemple, on n'a jamais eu de crédits
en banques. Vous êtes obligés de vous
débrouiller. Il n'y a pas non plus d'école
pour former les travailleurs. Tout le matériel
que nous utilisons vient d'ailleurs, même
les emballages sont importés. Personnellement
on peut faire des efforts, mais pour un grand développement,
tout passe par l'Etat.
Vous avez quand même de l'espoir ?
Oui bien sûr ! Beaucoup de choses ont été
faites depuis la dernière guerre. Nous osons
espérer que ça va aller en s'améliorant.
Il y a également des changements au niveau
bancaire, de nouvelles agences sont en train d'ouvrir.
Elles apportent de l'espoir.
Comment voyez-vous l'évolution du secteur
de la pêche à court terme ?
J'ai espoir que les Congolais sauront se prendre
en charge et se rendre compte qu'il faut aller à
l'essentiel. Nous avons perdu beaucoup de temps.
Je pense qu'il y a un désir national qui
est en train de se dessiner pour que les choses
marchent.
Quelle est l'expérience la plus satisfaisante
que vous ayez vécue ?
C'est d'être parti de rien et être arrivé
à ce que nous avons fait. En 10 ans nous
sommes partis de bateaux affrétés
à des bateaux qui nous sont personnels. Nous
sommes partis avec aucun travailleur qualifié,
nous avons maintenant des patrons de pêche
et des chefs mécaniciens. En dix ans nous
avons quand même donné du boulot à
plus de 50 congolais, avec ce que cela représente
comme effets induits. Nous avons fait tourner le
Port de Pointe-Noire ; je crois qu'il y a des raisons
d'être fier.
Aujourd'hui, dans le secteur de la pêche maritime,
nous pouvons nous targuer d'être parmi les
premiers.
Avez-vous un message pour les 600.000 lecteurs de
Forbes ?
Mon plus grand message c'est l'espoir. |