Pouvez-vous nous donner un aperçu de
l'énergie hydraulique au Congo ?
Disons qu'à l'heure actuelle, les potentialités
hydroélectriques recensées sont
de l'ordre de 2.500 mégawatts. Nous avons
à peine 89 mégawatts qui sont exploités.
C'est à dire 15 pour le Djoué et
74 pour Moukoukoulou. Donc il n'y a pas besoin
de faire un dessin, notre réseau est très
mal développé. Et sans électricité,
le développement devient très difficile.
Le Ministère a essayé de faire un
travail de prévision d'électrification
du pays pour ouvrir un boulevard énergétique
qui partirait de Pointe-Noire jusqu'à l'extrême
nord du Congo, à Bétou. Cela devait
se faire sur une période de 10 ans. Nous
commencions d'abord par des micro-barrages dans
les régions pour, dans un premier temps,
alimenter les capitales de ces régions
qui sont quand même importantes. Il y avait
une dizaine de projets de micro-barrages, dont
les plus importants sont à Gamboma, Ouesso
et Mbomo. Il était ensuite prévu
de les réaliser sur une période
de 4 ans, pour faire en sorte qu'il y ait de l'électricité
un peu partout dans le pays. Dans une deuxième
phase, on devait s'atteler à construire
un barrage de dimension moyenne à Imboulou,
où il y a la possibilité d'exploiter
de 100 à 300 mégawatts. Cela devait
prendre 4 à 5 ans pour réaliser
ce projet, ensuite il aurait fallu interconnecter
le réseau. Aujourd'hui, je dois dire que
je suis assez déçu. Parce que 5
ans après, on est presque toujours sur
la case départ.
De même, on avait prévu pour Pointe-Noire,
qui est la capitale économique, une centrale
thermique évolutive à gaz. On partirait
de 25 à 50 mégawatts. Avec le gaz
torché et non encore exploité, on
devrait pouvoir arriver à quelque chose
comme 310 - 320 mégawatts d'énergie
gazière. Là aussi je suis déçu
parce qu'on a beaucoup tergiversé et on
n'a pas encore démarré. Donc 5 ans
après que le cabinet et l'ensemble des
cadres qui travaillent à ce projet fixé
sur 10 ans ont commencé, on est encore
à la case départ. On a essayé
de faire un contrat de probabilité avec
une entreprise tchèque, le travail a commencé
mais malheureusement il n'est pas encore achevé
par manque de financement.
Pour la centrale thermique, après avoir
longtemps tergiversé, finalement les pétroliers
ont accepté de se mettre de la partie.
C'est à dire Chevron et Agip.
Puis nous avons été en Chine au
mois d'août 2001. Nous y avons conclu un
marché pour nous construire un barrage
à Imbouli. Là aussi, les conditions
à remplir par le Congo ne le sont pas encore.
Nous sommes donc en position d'attente. Tout est
à faire. Les opérateurs économiques
doivent investir dans ce secteur énergétique,
mais ce n'est pas facile de les en convaincre.
Je suis un peu déçu, parce que pour
l'appel d'offres qui a été lancé
pour la privatisation de la Société
Nationale d'Electricité (SNE), on n'a pas
vu les plus grandes sociétés tels
EDF, ESCOM ou Général Electric se
manifester.
C'est peut être pour des raisons d'insécurité
ou de stabilité ?
Peut-être. La sous-région d'Afrique
centrale est quand même dans une situation
préoccupante. Quand vous partez de l'Afrique
du sud jusqu'au Cameroun, vous avez les deux Congo
qui étaient en guerre jusqu'il y a peu
et on n'est pas encore tout à fait sorti
du tunnel. L'Angola a été en guerre
lui aussi, pendant 30 ans. Bref, la situation
est telle qu'il y a comme une hésitation.
Moi je pense que le Congo a choisi de sortir de
la guerre. Nous avons à la tête du
pays M. Denis Sassou-Nguesso qui est un meneur
d'hommes. C'est quelqu'un d'expérience,
qui avait réussi à hisser le Congo,
lors de son premier mandat, au rang de pays à
revenus intermédiaires. Avec M. Lissouba
nous étions parmi les PMA (pays les moins
avancés). Et aujourd'hui la volonté
de faire mieux est là. Avec tout ce que
nous avons comme potentialités, s'il y
a des gens qui peuvent être intéressés
par le Congo, il ne faudrait pas qu'ils hésitent.
L'insécurité au niveau zéro
n'existe nulle part. Ce n'est pas parce qu'on
a tué M. Hérignac en Corse que la
France est ingouvernable. Les faits divers douloureux
ça existe partout.
Le Congo est 11 fois plus grand que la Belgique,
mais il est dramatiquement sous-peuplé.
3 millions d'habitants seulement. On a de l'eau,
une terre fertile. On a de l'or, du diamant, 20
millions d'hectares de forêt à essences
nobles, du pétrole. Alors qu'est ce qu'on
demande au bon Dieu ? Pourquoi les investisseurs
ne viennent-ils pas? Ils le faut, parce que c'est
dans l'intérêt de tout le monde.
Ou bien il faut développer l'Afrique et
y retenir les intelligences ou alors on n'aura
pas les moyens de mettre en place la vie que les
jeunes veulent et on sera alors obligé
d'aller " embêter " (excusez-moi
le mot) les occidentaux, chez eux, dans leur confort.
Sur la desserte, quels sont les chiffres dans
le secteur énergétique ?
Disons que dans les centres urbains on a à
peu près 55 - 60 % de couverture en besoins.
Dans l'arrière pays on est à 10
- 11 %
Quelle est la situation en ce qui concerne
l'hydraulique ?
En ce qui concerne l'hydraulique, le pays est
très arrosé. Notre problème
ce n'est pas le manque d'eau, c'est plutôt
le trop d'eau, mais qu'il faudrait rendre potable
pour l'ensemble des populations. En dehors des
centres urbains comme Pointe-noire et Brazzaville,
et dans une moindre mesure Dolisie et Nkayi, il
reste là aussi à faire en sorte
que dans tout l'arrière pays, on apporte
de l'eau potable. L'eau existe en abondance dans
l'ensemble du pays, il faut simplement la rendre
potable. Parce que si l'eau est le premier aliment,
c'est aussi le premier vecteur de fléaux.
Beaucoup de maladies ici sont dues à la
qualité de l'eau.
Là aussi c'est pareil. Quand on a fait
l'appel d'offres pour la Société
Nationale de Distribution d'Eau (SNDE) et on n'a
pas vu un grand nombre de sociétés
se bousculer. Vivendi, Saure, et By Watter ont
remporté le morceau. Mais vous savez, les
grosses entreprises quand elles arrivent, c'est
avec leurs conditions qui ne sont pas toujours
à notre goût.
|
Où en êtes-vous
avec la reprise de la SNDE par By Watter ?
Nous sommes prêts et attendons de discuter
avec By Watter sur le contrat de concession. Nous
n'avons pas encore été approchés
à ce sujet. Le comité de privatisation
est sur le sujet. Mais plus on attend, plus le
temps passe avec pour nous la lourde charge de
préserver l'existant. Pour le moment cahin-caha,
la SNDE essaie d'alimenter Brazzaville et Pointe-Noire.
On attend que By Watter vienne avec sa technologie,
pour assainir le secteur.
Je pense que public ou privé, l'eau sera
toujours un service public. En amont on a quand
même pris des précautions tout aussi
bien en ce qui concerne l'eau que l'électricité,
pour garantir la qualité. Il y aura Congo
Electricité qui sera l'interface entre
l'état et les opérateurs privés.
Parce que l'eau et l'électricité
c'est tellement stratégique qu'on ne peut
pas faire preuve de laxisme là-dessus.
Il faut être vigilant. Au niveau du gouvernement
on a pris des précautions en mettant en
place un code de l'eau et un code de l'électricité
qui rassurent un peu tout le monde : les opérateurs
économiques, le public et le gouvernement.
Comme prévu, nous avons eu des discussions
avec la Banque Mondiale, la BAD, la CFD. Nous
avons pris en compte leurs observations et arrêté
un document, un texte de lois voté. Nous
avons tenu compte de la fourniture d'électricité
par la RDC qui est plus ou moins de l'ordre de
30 - 50 mégawatts.
Comment voyez-vous l'évolution de votre
secteur ?
S'il n'y avait pas de perturbations récurrentes
avec la guerre, peut être que d'ici là
on devrait pouvoir démarrer les travaux
du barrage d'Imboulou. Si on le démarre,
ce sera au départ avec une capacité
de 120 mégawatts. Plus les 89 existants,
on améliorerait quand même de façon
substantielle la distribution de l'électricité
dans le pays. Parce qu'une partie de l'électricité
serait consommée à Brazzaville et
l'autre partie dans le nord du pays. On pourrait
ainsi alimenter les industries du bois. Donc si
Imboulou est réalisé, on n'aura
pas résolu tous les problèmes, mais
les ¾ seraient maîtrisés.
Est-ce que vous sentez la communauté
internationale attentive à ce qui se passe
ici ?
Je ne pense pas. Il suffit q'une mouche aille
piquer M. Sharon en Israël, et c'est le monde
entier qui est dans le noir. Mais qu'une catastrophe
nous tombe ici, ça n'intéresse personne.
Je pense que c'est une grosse interrogation que
la communauté internationale devrait pouvoir
prendre en compte pour faire en sorte que les
choses changent.
Nous avons la responsabilité de faire avancer
les choses. Mais la communauté internationale
doit faire en sorte que les pays du 1/3 monde
s'en sortent. Je me souviens qu'au lendemain de
la 2ème guerre mondiale il y a eu un plan
Marshall pour réparer l'Europe. L'Afrique
est à peu près au même niveau.
Mais on parle aujourd'hui du NEPAD ?
Le NEPAD, oui mais il y a à boire et à
manger la-dedans. Je ne peux pas juger les chefs
d'Etats africains, mais il faut souhaiter qu'il
y ait une forte solidarité, pour que tous
les pays aient et expriment le même point
de vue. Dans tous les cas, pour développer
le monde aujourd'hui, on n'a pas d'autres choix
que d'arrimer l'Afrique au train du développement.
Quelle a été pour vous l'expérience
la plus satisfaisante à ce Ministère
?
Je pense que le contrat d'Imboulou est quelque
chose de fabuleux. Si ça pouvait démarrer,
ce sera un ouvrage sur lequel on pourrait s'attacher
de façon positive.
Avez-vous un message pour les lecteurs de
Forbes ?
Pour vos lecteurs disséminés à
travers le monde, je pense qu'ils doivent se rendre
compte que l'intérêt pour nous tous
c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de disparités
trop grandes. Il faut que les décideurs
à travers le monde, notamment en occident
comprennent bien qu'on peut tuer des terroristes,
mais qu'on ne pourra jamais tuer le terrorisme
tant qu'il y a des fortes disparités. C'est
impossible. On peut tuer Yasser Arafat ou des
dirigeants palestiniens mais on ne pourra pas
tuer tout le peuple palestinien, parce qu'il y
a une injustice flagrante. Il faut qu'ils aient
une terre. C'est tout ça qui engendre le
terrorisme.
Ce qui s'est passé le 11 septembre à
New York engendre un sentiment de révolte,
de la nausée, ça secoue le ventre.
Des hommes et des femmes qui sont écrasés
comme ça dans ces deux tours, c'est ignoble.
Ça peut cependant arriver à tout
le monde et n'importe où, tant que la conscience
collective et universelle ne prend pas en compte
le fait qu'il ne faut pas qu'il y ait trop de
disparités entre le nord et le sud, entre
les possédants et ceux qui n'ont rien.
C'est un peu illuminé ce que je dis là,
mais si on veut la paix et la stabilité,
il faudra s'y résoudre. Parce que quand
un homme n'a plus rien, tout ce qui lui reste
c'est essayer de se défendre.
|