Pouvez-vous nous présenter
Libertis Télécom, son histoire et
ses installations ?
Libertis Télécom fait partie d'un
groupe international appelé Orascom Télécom,
qui depuis 2 ans et demi, a commencé une
campagne d'expansion en Afrique et au Moyen Orient
de manière assez agressive. Orascom possède
le groupe Télécel International qui
était déjà présent dans
une quinzaine de pays en Afrique.
Après la guerre, nous avons trouvé
au Congo une potentialité de développement
importante, grâce à un retour de
la stabilité économique et politique.
Nous avons signé la licence en septembre
1999 et on a commencé les travaux préparatoires
vers la fin de l'année 1999. Les équipements
sont arrivés en janvier 2000 et en février
nous avions un réseau opérationnel.
Nous n'étions pas les premiers puisque
Cyrus était déjà là
depuis 4 ou 5 ans avec un réseau ancienne
génération de type analogique. Ils
ont profité de leur situation monopolistique
tout au début pour dispenser des tarifs
excessivement chers, avec un service limité.
A partir de 1999, le gouvernement a voulu développer
le secteur des télécommunications
et de le redynamiser. Nous sommes arrivés
pratiquement 6 mois après Celtel. Cette
société ayant eu quelques problèmes
de qualité de réseau à son
lancement, on s'est dit que si on ne démarrait
pas avec une qualité de réseau impeccable,
nous allions nous décrédibiliser.
Nous avons donc délibérément
retardé l'ouverture de notre réseau
pour s'assurer une qualité optimale. Je
pense que cela a payé, puisque lorsque
nous avons ouvert, on a réussi en très
peu de temps à rattraper Celtel, pour arriver
à 40 % des parts du marché en moins
de 6 mois. Nous avons donc connu une croissance
très rapide, peut être accélérée
par le fait que nous soyons une société
africaine, née de la collaboration sud-sud.
De plus, l'approche utilisée par Libertis
était beaucoup plus une démarche
de proximité. Nous avons un service technique
et clientèle très accessible. Donc
les gens ont apprécié de voir Libertis
s'installer après Celtel, qui est beaucoup
plus perçue comme une société
qui imposait ses produits. C'est ainsi qu'on a
pu se faire une place, c'est à dire avec
une mentalité tout à fait nouvelle.
Nos boutiques ont des couleurs plus chaleureuses,
avec du bois. C'est un concept plus local que
ce qu'il y avait auparavant chez nos concurrents.
Petit à petit on s'est fait une place en
tant qu'opérateur crédible, avec
un accent sur la qualité technique du réseau.
Dès l'implantation, on a tenu à
ce que notre réseau soit interconnecté
avec tous les autres déjà existants.
Aussi bien avec le réseau de technologie
fixe (ONPT) qu'avec Cyrus et Celtel. Nous avons
mis en place des interconnexions directes avec
tous ces réseaux de manière à
ce qu'on puisse appeler et recevoir du premier
coup, vers n'importe quel réseau. Les clients
ont tout de suite su que Libertis était
le seul réseau à pouvoir être
aussi facilement joignable de l'étranger
et des autres réseaux nationaux. Ils ont
beaucoup apprécié cette prouesse.
D'autre part, Cyrus a un système de contrat
avec les clients qui reçoivent une fracture
en fin de mois. Celtel avait uniquement le système
de tarification prépayé, c'est à
dire les cartes de recharge. Alors que Libertis
était la seule société à
proposer les deux systèmes. Nous avons
voulu faire la tarification par abonnement mensuel,
parce qu'il y a une clientèle d'entreprises
qui demande ce genre de produit. La tarification
prépayée subsiste aussi pour les
clients qui ne veulent pas signer un contrat ou
qui veulent garder une liberté. Ils achètent
des unités quand ils ont l'argent et quand
ils le veulent.
Depuis le début, nous avons mis en place
des périodes de validité de notre
abonnement très longues. C'est à
dire 60 jours pour faire des appels quand on a
des unités et 120 jours pour recevoir des
appels, même quand on n'a plus d'unités.
On a été victime de notre succès
en 2001 puisque, à partir de septembre,
nous avions un peu dépassé nos prévisions.
A ce moment là, nous n'avions pas hésité
à suspendre les abonnements pour justement
garder la qualité de service qui nous a
toujours caractérisé. Nous n'avons
donc pas continuer à vendre malgré
la demande. Nous n'avons repris qu'après
l'extension de notre réseau. Et ça
aussi les clients ont apprécié de
savoir que nous faisons les choses pas uniquement
dans un souci commercial, mais aussi dans un souci
de qualité de service.
A partir de 2002, nous avons commencé une
nouvelle campagne marketing très agressive.
Toutes les semaines il y avait une surprise agréable
pour nos abonnés. Ou alors toutes les deux
semaines Libertis Télécom faisait
une nouvelle proposition commerciale à
ses abonnés. Cela a eu énormément
de succès.
Comment se présente le marché
aujourd'hui ?
Aujourd'hui, Celtel est leader sur le marché
avec un plus grand nombre d'abonnés. Ils
sont aux alentours de 110.000. Libertis vient
en deuxième position avec 70.000 abonnés.
Cyrus qui était le premier opérateur
à s'installer tend à disparaître.
Il ne tourne qu'autour de 1500 à 2000 abonnés
tout au plus. Donc c'est Celtel et Libertis qui
ont raflé le marché, sachant que
le marché au Congo a mûri très
vite. C'est une courbe de croissance des abonnés
qui est plus ou moins exponentielle, mais qui
en 2 ans a pratiquement atteint toute la population.
Au Congo la croissance a été beaucoup
plus rapide qu'ailleurs. Le téléphone
mobile est devenu non pas seulement un outil de
travail, mais également un outil social,
un phénomène de mode. Tout le monde
s'est débattu pour avoir son téléphone
portable. Nous sommes aujourd'hui à près
de 200.000 abonnés à Pointe-Noire
et Brazzaville, sur une population de 1,5 millions
d'habitants sur les deux villes. Le pourcentage
a donc atteint des niveaux importants en une période
aussi courte.
Je ne pense pas que dans les prochaines années,
la tendance va continuer de la sorte. C'est clair
qu'il y a ralentissement de la croissance des
abonnés qui consomment. On a commencé
à le sentir depuis le mois de mars. C'est
vrai qu'il y a toujours des clients qui veulent
avoir un abonnement. Mais on commence à
entrer dans une couche de la population qui n'a
pas toujours les moyens de consommer. Je dirai
que c'est une bonne chose, puisque ça veut
dire qu'on a fait du téléphone un
outil à la portée de tout le monde.
Le nombre d'abonnés fait qu'on a réussi
à faire en 2 ans ce que le téléphone
fixe (ONPT) n'a jamais réussi à
faire au Congo. Aujourd'hui dans ce pays, le téléphone
mobile a dépassé de loin le téléphone
fixe de l'ONPT qui n'a que 15.000 abonnés.
Nous souffrons beaucoup du mauvais fonctionnement
de l'ONPT, puisque dans le cadre des accords d'interconnexion,
il y a des reversements qui sont payés
de part et d'autre. Pour les appels qui proviennent
de l'ONPT, on doit nous reverser des montants.
Et pour les appels que nous envoyons vers l'ONPT
nous devons reverser des redevances. Or au niveau
de l'ONPT il y a un très grand nombre d'impayés
puisque, dans la majeure partie, ce sont les administrations
publiques qui consomment le téléphone
et ne payent pas. L'ONPT se retrouve avec une
dette très importante vis à vis
de Celtel et Libertis. Ce n'est pas loin de 8
millions de dollars. Mais elle n'a pas les moyens
de payer, parce que cet argent ne peut pas être
collecté auprès de l'utilisateur
final, c'est à dire l'administration publique.
C'est un manque de trésorerie qui nous
pénalise en tant qu'opérateur mobile,
pour la croissance de nos activités.
L'ONPT est entrain de se reprendre. Elle a révisé
ses tarifs qui étaient extrêmement
bas précédemment. C'était
aux alentours de 6 F cfa la minute, alors que
nous vendons la minute autour de 200 F cfa. L'ONPT
pratiquait par contre des tarifs à l'international
très élevés. Dans sa situation
de monopole ça allait bien. Mais à
partir du moment où l'entreprise a commencé
à avoir des concurrents, ça ne peut
plus marcher. L'ONPT a donc mis en place un nouveau
programme où elle a réussi à
remonter les tarifs. Elle a lancé depuis
peu un système de carte prépayée.
Ces administrations qui ne payent pas seront obligées
de payer d'avance. Ce qui fait que, espérons
le, l'ONPT va réussir à recouvrer
des fonds pour payer ses dettes et ses frais généraux.
Pour ce qui est du développement du secteur,
il n'y a malheureusement pas de politique nationale
des télécom au Congo. C'est à
dire qu'il manque une vision stratégique
claire du pays, pour savoir où on veut
aller dans le secteur, combien d'opérateurs
mobiles il faut, combien d'opérateurs fixes,
d'opérateurs internet, etc.
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Dans quels sites
êtes-vous implantés ?
En réalité nous avons des sites
implantés dans plusieurs localités.
Ce qui pose problème dans la majorité
des localités, ce sont les infrastructures
de transmission. Ce qui fait que chaque fois qu'on
veut atteindre un village, il faut qu'on installe
des antennes satellitaires pour pouvoir relier
nos centraux téléphoniques. Or les
redevances satellitaires sont extrêmement
chères. On parle de 20.000 dollars par
mois pour un petit village. C'est clair que ce
n'est pas du tout rentable de faire une couverture
nationale de grande envergure.
Par contre ce qui est important ou intéressant
à faire, c'est de combiner nos forces avec
les autres opérateurs de téléphonie,
de manière à pouvoir se partager
les frais d'infrastructures. Pas de manière
à éliminer la concurrence, mais
de manière à optimiser la couverture
nationale, dans la plus grande partie des régions.
C'est un peu ce qu'on essaie de faire avec l'ONPT
dans le cadre de la couverture nationale. L'ONPT
a un gros projet là-dessus. Nous essayons
de lui louer des infrastructures de transmission
que nous allons utiliser pour raccorder nos sites
au niveau des villes et villages à l'intérieur
du pays. Comme ça on arriverait à
faire rentrer des revenus à l'ONPT et à
fournir ce service de téléphonie
mobile dans ces villages de l'intérieur
du pays. Mais on est quand même exigeant
au niveau de la qualité des services puisqu'on
loue un service de transmission à l'ONPT.
Il faut que le service marche de façon
continue. Il ne faut pas que ce soit aléatoire
ou qu'il ne marche que de temps en temps. Parce
qu'au bout de compte c'est Libertis que le client
va voir et non le transporteur des transmissions.
L'ONPT avait des infrastructures de transmission,
mais qui malheureusement ont été
détruites pendant la guerre ou par manque
de maintenance. Nous sommes obligés de
tout reconstruire nous même. Pour certaines
villes c'est trop cher, on n'arrivera pas à
rentrer dans nos frais.
Combien d'employés avez-vous ?
Nous avons à peu près 90 employés
(emplois directs). Mais ce qu'il ne faut pas oublier,
ce sont les emplois indirects que l'implantation
de Libertis Télécom a créé.
On estime à environ 5.000 emplois ou familles
qui vivent grâce à l'implantation
de notre société. Et cela dans plusieurs
secteurs. Le plus grand nombre est dans la redistribution
des cartes de recharges d'unités. Nous
avons plus de 2.500 points de vente de cartes
de recharges, sachant qu'un point représente
une ou deux personnes à nourrir. Plus toutes
les activités parallèles qui naviguent
autour de notre implantation. Par exemple pour
les sociétés de gardiennage, nous
avons plus de 25 sites implantés sur l'ensemble
du territoire. On a une moyenne de 4 gardiens
sur chacun des sites, il y a les jardiniers, les
agents d'entretien. On voit tout de suite que
le nombre d'emplois qu'on a généré
est de plus de 5.000. C'est donc 7 à 8
mille personnes qui en bénéficient.
Depuis le début, Libertis a investi plus
de 25 millions de dollars. A part les sociétés
pétrolières qui sont là depuis
longtemps, il n'y a pas d'autres sociétés
qui aient autant investi ces deux ou trois dernières
années que les sociétés de
téléphonie mobile.
Quel est votre chiffre d'affaires ?
Dès notre installation, nous avons mis
en place un business plan qui démontrait
une rentabilité au bout de 6 ans. Des investissements
d'une telle envergure ne sont pas rentabilisés
immédiatement. Le chiffre d'affaire qu'on
dégage tous les mois ou tous les ans ce
n'est pas du bénéfice net. Parfois
les gens ont tendance à confondre le chiffre
d'affaires avec le bénéfice. Notre
chiffre d'affaire se situe autour de 15 millions
de dollars par an. mais si on regarde tout l'investissement
à refinancer, toutes les charges, la maintenance,
on est encore loin du compte
Quelles sont vos prévisions en terme
de croissance ?
Aujourd'hui le nombre d'abonnés est de
70.000. Dans les trois prochaines années,
nous devons monter à 130.000 abonnés
pour Libertis, peut être 150 à 200.000
abonnés pour la concurrence. Je crois que
ce sera un grand maximum pour le Congo. Les taux
de pénétration qu'on commence à
atteindre sont beaucoup plus importants que ce
qu'on trouve dans certains pays européens.
Quelle est votre stratégie à
long terme ?
La stratégie à long terme, c'est
ce qui a été prévu initialement.
A un moment donné on ne savait pas que
le marché allait atteindre un rythme de
saturation. Le tout c'est que ça soit bien
pris en compte au niveau des prévisions
initiales d'investissement. Dans notre plan, il
était prévu de faire des investissements
pendant les trois premières années,
pour décroître au fil des ans. Mais
il y a la maintenance et la remise à niveau
de nos équipements qui doivent se poursuivre.
On a parlé de technologie de troisième
génération à un moment donné.
Mais je crois que les opérateurs se rendent
compte que les marchés ne sont pas assez
mûrs pour ces téléphones où
on peut voir son interlocuteur. Le client n'est
pas encore prêt à payer le prix d'une
telle technologie. Aujourd'hui la première
chose à faire en Afrique, c'est faire en
sorte que la téléphonie de base
existe et soit répandue. Par la suite rajouter
les services à valeur ajoutée comme
le fax et la transmission des données.
Libertis va diversifier ses services. Notre prospect
est beaucoup plus orienté vers les entreprises
avec les conférences, etc.
Allez-vous étendre vos services dans
la sous-région ?
Tout à fait. Brazzaville et Kinshasa sont
les capitales les plus rapprochées du monde.
Il y a énormément d'échanges
entre les deux villes. Nous sommes déjà
présents à Kinshasa et dans d'autres
villes de la sous-région. Ce qui est sûr,
c'est qu'avec la stabilité politique et
la reprise économique au Congo Brazza,
nous allons faire de Brazzaville un mini Hub sous-régional.
Ça va servir de plate-forme pour notre
consolidation dans la sous-région.
Quels conseils donnez-vous à un investisseur
qui veut venir s'installer au Congo ?
Avant de s'installer c'est de bien voir quel
est le marché qui s'offre. Techniquement
il y a beaucoup de choses à faire au Congo.
Il y a énormément de secteurs à
développer et qui ne le sont pas encore.
Il faut faire un bon business plan, qui soit réaliste
avant de démarrer. Essayer de voir les
charges, car le Congo est un pays où les
charges sont très élevées.
Heureusement il y a des dispositions qui aident
les investisseurs à bénéficier
de certaines exonérations fiscales, douanières
et autres, pour encourager les investisseurs à
venir s'implanter.
Je crois qu'il y a beaucoup de potentialités
qui s'offrent. Tout est à faire au Congo
Brazzaville
Qu'est ce qui retenu votre attention, quelle
satisfaction avez-vous eu dans ce pays ?
Je crois que c'est la proximité des gens.
Le Congolais c'est quelqu'un de très amicale,
qui n'hésite pas à partager. Il
est d'un contact très facile.
Je crois que la grosse leçon c'est vraiment
de comprendre la mentalité des gens du
pays et de savoir comment réagir de manière
à ne pas heurter les susceptibilités,
de manière à rendre le service qu'ils
sont en droit d'attendre. C'est très différent
de ce qui se passe dans beaucoup de pays d'Afrique
francophone. Mais les Congolais sont exigeants.
Ils savent ce qu'ils veulent. Donc quand on a
un abonné qui se présente, il ne
faut pas faire semblant. Il faut être honnête.
En fait ce n'est pas compliqué.
Avez-vous un message pour nos lecteurs ?
Je crois que depuis notre installation il y a
2 ans, on a vu énormément de progrès
se faire. Avant les seules voitures qui circulaient
étaient celles de Libertis. Aujourd'hui
on commence à attendre dans les ronds-points.
Il y a des embouteillages. C'est dire que la vie
reprend et que la reconstruction suit son cours.
Donc je dirai aux investisseurs, s'ils ont des
plans, qu'ils ne tardent pas trop puisque le train
est en marche, il ne faut pas le rater.
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