THE REPUBLIC OF CONGO
Enormous potential for investors/D'énormes potentialités d'investissements

M. Nagi ABBOUD Interview avec:

M. Nagi ABBOUD
Directeur Général de LIBERTIS TELECOM
4 avril 2002
 
Pouvez-vous nous présenter Libertis Télécom, son histoire et ses installations ?

Libertis Télécom fait partie d'un groupe international appelé Orascom Télécom, qui depuis 2 ans et demi, a commencé une campagne d'expansion en Afrique et au Moyen Orient de manière assez agressive. Orascom possède le groupe Télécel International qui était déjà présent dans une quinzaine de pays en Afrique.
Après la guerre, nous avons trouvé au Congo une potentialité de développement importante, grâce à un retour de la stabilité économique et politique. Nous avons signé la licence en septembre 1999 et on a commencé les travaux préparatoires vers la fin de l'année 1999. Les équipements sont arrivés en janvier 2000 et en février nous avions un réseau opérationnel. Nous n'étions pas les premiers puisque Cyrus était déjà là depuis 4 ou 5 ans avec un réseau ancienne génération de type analogique. Ils ont profité de leur situation monopolistique tout au début pour dispenser des tarifs excessivement chers, avec un service limité.

A partir de 1999, le gouvernement a voulu développer le secteur des télécommunications et de le redynamiser. Nous sommes arrivés pratiquement 6 mois après Celtel. Cette société ayant eu quelques problèmes de qualité de réseau à son lancement, on s'est dit que si on ne démarrait pas avec une qualité de réseau impeccable, nous allions nous décrédibiliser. Nous avons donc délibérément retardé l'ouverture de notre réseau pour s'assurer une qualité optimale. Je pense que cela a payé, puisque lorsque nous avons ouvert, on a réussi en très peu de temps à rattraper Celtel, pour arriver à 40 % des parts du marché en moins de 6 mois. Nous avons donc connu une croissance très rapide, peut être accélérée par le fait que nous soyons une société africaine, née de la collaboration sud-sud.

De plus, l'approche utilisée par Libertis était beaucoup plus une démarche de proximité. Nous avons un service technique et clientèle très accessible. Donc les gens ont apprécié de voir Libertis s'installer après Celtel, qui est beaucoup plus perçue comme une société qui imposait ses produits. C'est ainsi qu'on a pu se faire une place, c'est à dire avec une mentalité tout à fait nouvelle. Nos boutiques ont des couleurs plus chaleureuses, avec du bois. C'est un concept plus local que ce qu'il y avait auparavant chez nos concurrents.
Petit à petit on s'est fait une place en tant qu'opérateur crédible, avec un accent sur la qualité technique du réseau. Dès l'implantation, on a tenu à ce que notre réseau soit interconnecté avec tous les autres déjà existants. Aussi bien avec le réseau de technologie fixe (ONPT) qu'avec Cyrus et Celtel. Nous avons mis en place des interconnexions directes avec tous ces réseaux de manière à ce qu'on puisse appeler et recevoir du premier coup, vers n'importe quel réseau. Les clients ont tout de suite su que Libertis était le seul réseau à pouvoir être aussi facilement joignable de l'étranger et des autres réseaux nationaux. Ils ont beaucoup apprécié cette prouesse.

D'autre part, Cyrus a un système de contrat avec les clients qui reçoivent une fracture en fin de mois. Celtel avait uniquement le système de tarification prépayé, c'est à dire les cartes de recharge. Alors que Libertis était la seule société à proposer les deux systèmes. Nous avons voulu faire la tarification par abonnement mensuel, parce qu'il y a une clientèle d'entreprises qui demande ce genre de produit. La tarification prépayée subsiste aussi pour les clients qui ne veulent pas signer un contrat ou qui veulent garder une liberté. Ils achètent des unités quand ils ont l'argent et quand ils le veulent.
Depuis le début, nous avons mis en place des périodes de validité de notre abonnement très longues. C'est à dire 60 jours pour faire des appels quand on a des unités et 120 jours pour recevoir des appels, même quand on n'a plus d'unités. On a été victime de notre succès en 2001 puisque, à partir de septembre, nous avions un peu dépassé nos prévisions. A ce moment là, nous n'avions pas hésité à suspendre les abonnements pour justement garder la qualité de service qui nous a toujours caractérisé. Nous n'avons donc pas continuer à vendre malgré la demande. Nous n'avons repris qu'après l'extension de notre réseau. Et ça aussi les clients ont apprécié de savoir que nous faisons les choses pas uniquement dans un souci commercial, mais aussi dans un souci de qualité de service.

A partir de 2002, nous avons commencé une nouvelle campagne marketing très agressive. Toutes les semaines il y avait une surprise agréable pour nos abonnés. Ou alors toutes les deux semaines Libertis Télécom faisait une nouvelle proposition commerciale à ses abonnés. Cela a eu énormément de succès.

Comment se présente le marché aujourd'hui ?

Aujourd'hui, Celtel est leader sur le marché avec un plus grand nombre d'abonnés. Ils sont aux alentours de 110.000. Libertis vient en deuxième position avec 70.000 abonnés. Cyrus qui était le premier opérateur à s'installer tend à disparaître. Il ne tourne qu'autour de 1500 à 2000 abonnés tout au plus. Donc c'est Celtel et Libertis qui ont raflé le marché, sachant que le marché au Congo a mûri très vite. C'est une courbe de croissance des abonnés qui est plus ou moins exponentielle, mais qui en 2 ans a pratiquement atteint toute la population. Au Congo la croissance a été beaucoup plus rapide qu'ailleurs. Le téléphone mobile est devenu non pas seulement un outil de travail, mais également un outil social, un phénomène de mode. Tout le monde s'est débattu pour avoir son téléphone portable. Nous sommes aujourd'hui à près de 200.000 abonnés à Pointe-Noire et Brazzaville, sur une population de 1,5 millions d'habitants sur les deux villes. Le pourcentage a donc atteint des niveaux importants en une période aussi courte.

Je ne pense pas que dans les prochaines années, la tendance va continuer de la sorte. C'est clair qu'il y a ralentissement de la croissance des abonnés qui consomment. On a commencé à le sentir depuis le mois de mars. C'est vrai qu'il y a toujours des clients qui veulent avoir un abonnement. Mais on commence à entrer dans une couche de la population qui n'a pas toujours les moyens de consommer. Je dirai que c'est une bonne chose, puisque ça veut dire qu'on a fait du téléphone un outil à la portée de tout le monde. Le nombre d'abonnés fait qu'on a réussi à faire en 2 ans ce que le téléphone fixe (ONPT) n'a jamais réussi à faire au Congo. Aujourd'hui dans ce pays, le téléphone mobile a dépassé de loin le téléphone fixe de l'ONPT qui n'a que 15.000 abonnés.
Nous souffrons beaucoup du mauvais fonctionnement de l'ONPT, puisque dans le cadre des accords d'interconnexion, il y a des reversements qui sont payés de part et d'autre. Pour les appels qui proviennent de l'ONPT, on doit nous reverser des montants. Et pour les appels que nous envoyons vers l'ONPT nous devons reverser des redevances. Or au niveau de l'ONPT il y a un très grand nombre d'impayés puisque, dans la majeure partie, ce sont les administrations publiques qui consomment le téléphone et ne payent pas. L'ONPT se retrouve avec une dette très importante vis à vis de Celtel et Libertis. Ce n'est pas loin de 8 millions de dollars. Mais elle n'a pas les moyens de payer, parce que cet argent ne peut pas être collecté auprès de l'utilisateur final, c'est à dire l'administration publique. C'est un manque de trésorerie qui nous pénalise en tant qu'opérateur mobile, pour la croissance de nos activités.

L'ONPT est entrain de se reprendre. Elle a révisé ses tarifs qui étaient extrêmement bas précédemment. C'était aux alentours de 6 F cfa la minute, alors que nous vendons la minute autour de 200 F cfa. L'ONPT pratiquait par contre des tarifs à l'international très élevés. Dans sa situation de monopole ça allait bien. Mais à partir du moment où l'entreprise a commencé à avoir des concurrents, ça ne peut plus marcher. L'ONPT a donc mis en place un nouveau programme où elle a réussi à remonter les tarifs. Elle a lancé depuis peu un système de carte prépayée. Ces administrations qui ne payent pas seront obligées de payer d'avance. Ce qui fait que, espérons le, l'ONPT va réussir à recouvrer des fonds pour payer ses dettes et ses frais généraux.
Pour ce qui est du développement du secteur, il n'y a malheureusement pas de politique nationale des télécom au Congo. C'est à dire qu'il manque une vision stratégique claire du pays, pour savoir où on veut aller dans le secteur, combien d'opérateurs mobiles il faut, combien d'opérateurs fixes, d'opérateurs internet, etc.
Dans quels sites êtes-vous implantés ?

En réalité nous avons des sites implantés dans plusieurs localités. Ce qui pose problème dans la majorité des localités, ce sont les infrastructures de transmission. Ce qui fait que chaque fois qu'on veut atteindre un village, il faut qu'on installe des antennes satellitaires pour pouvoir relier nos centraux téléphoniques. Or les redevances satellitaires sont extrêmement chères. On parle de 20.000 dollars par mois pour un petit village. C'est clair que ce n'est pas du tout rentable de faire une couverture nationale de grande envergure.

Par contre ce qui est important ou intéressant à faire, c'est de combiner nos forces avec les autres opérateurs de téléphonie, de manière à pouvoir se partager les frais d'infrastructures. Pas de manière à éliminer la concurrence, mais de manière à optimiser la couverture nationale, dans la plus grande partie des régions. C'est un peu ce qu'on essaie de faire avec l'ONPT dans le cadre de la couverture nationale. L'ONPT a un gros projet là-dessus. Nous essayons de lui louer des infrastructures de transmission que nous allons utiliser pour raccorder nos sites au niveau des villes et villages à l'intérieur du pays. Comme ça on arriverait à faire rentrer des revenus à l'ONPT et à fournir ce service de téléphonie mobile dans ces villages de l'intérieur du pays. Mais on est quand même exigeant au niveau de la qualité des services puisqu'on loue un service de transmission à l'ONPT. Il faut que le service marche de façon continue. Il ne faut pas que ce soit aléatoire ou qu'il ne marche que de temps en temps. Parce qu'au bout de compte c'est Libertis que le client va voir et non le transporteur des transmissions.

L'ONPT avait des infrastructures de transmission, mais qui malheureusement ont été détruites pendant la guerre ou par manque de maintenance. Nous sommes obligés de tout reconstruire nous même. Pour certaines villes c'est trop cher, on n'arrivera pas à rentrer dans nos frais.

Combien d'employés avez-vous ?

Nous avons à peu près 90 employés (emplois directs). Mais ce qu'il ne faut pas oublier, ce sont les emplois indirects que l'implantation de Libertis Télécom a créé. On estime à environ 5.000 emplois ou familles qui vivent grâce à l'implantation de notre société. Et cela dans plusieurs secteurs. Le plus grand nombre est dans la redistribution des cartes de recharges d'unités. Nous avons plus de 2.500 points de vente de cartes de recharges, sachant qu'un point représente une ou deux personnes à nourrir. Plus toutes les activités parallèles qui naviguent autour de notre implantation. Par exemple pour les sociétés de gardiennage, nous avons plus de 25 sites implantés sur l'ensemble du territoire. On a une moyenne de 4 gardiens sur chacun des sites, il y a les jardiniers, les agents d'entretien. On voit tout de suite que le nombre d'emplois qu'on a généré est de plus de 5.000. C'est donc 7 à 8 mille personnes qui en bénéficient.

Depuis le début, Libertis a investi plus de 25 millions de dollars. A part les sociétés pétrolières qui sont là depuis longtemps, il n'y a pas d'autres sociétés qui aient autant investi ces deux ou trois dernières années que les sociétés de téléphonie mobile.

Quel est votre chiffre d'affaires ?

Dès notre installation, nous avons mis en place un business plan qui démontrait une rentabilité au bout de 6 ans. Des investissements d'une telle envergure ne sont pas rentabilisés immédiatement. Le chiffre d'affaire qu'on dégage tous les mois ou tous les ans ce n'est pas du bénéfice net. Parfois les gens ont tendance à confondre le chiffre d'affaires avec le bénéfice. Notre chiffre d'affaire se situe autour de 15 millions de dollars par an. mais si on regarde tout l'investissement à refinancer, toutes les charges, la maintenance, on est encore loin du compte

Quelles sont vos prévisions en terme de croissance ?

Aujourd'hui le nombre d'abonnés est de 70.000. Dans les trois prochaines années, nous devons monter à 130.000 abonnés pour Libertis, peut être 150 à 200.000 abonnés pour la concurrence. Je crois que ce sera un grand maximum pour le Congo. Les taux de pénétration qu'on commence à atteindre sont beaucoup plus importants que ce qu'on trouve dans certains pays européens.

Quelle est votre stratégie à long terme ?

La stratégie à long terme, c'est ce qui a été prévu initialement. A un moment donné on ne savait pas que le marché allait atteindre un rythme de saturation. Le tout c'est que ça soit bien pris en compte au niveau des prévisions initiales d'investissement. Dans notre plan, il était prévu de faire des investissements pendant les trois premières années, pour décroître au fil des ans. Mais il y a la maintenance et la remise à niveau de nos équipements qui doivent se poursuivre.
On a parlé de technologie de troisième génération à un moment donné. Mais je crois que les opérateurs se rendent compte que les marchés ne sont pas assez mûrs pour ces téléphones où on peut voir son interlocuteur. Le client n'est pas encore prêt à payer le prix d'une telle technologie. Aujourd'hui la première chose à faire en Afrique, c'est faire en sorte que la téléphonie de base existe et soit répandue. Par la suite rajouter les services à valeur ajoutée comme le fax et la transmission des données.

Libertis va diversifier ses services. Notre prospect est beaucoup plus orienté vers les entreprises avec les conférences, etc.

Allez-vous étendre vos services dans la sous-région ?

Tout à fait. Brazzaville et Kinshasa sont les capitales les plus rapprochées du monde. Il y a énormément d'échanges entre les deux villes. Nous sommes déjà présents à Kinshasa et dans d'autres villes de la sous-région. Ce qui est sûr, c'est qu'avec la stabilité politique et la reprise économique au Congo Brazza, nous allons faire de Brazzaville un mini Hub sous-régional. Ça va servir de plate-forme pour notre consolidation dans la sous-région.

Quels conseils donnez-vous à un investisseur qui veut venir s'installer au Congo ?

Avant de s'installer c'est de bien voir quel est le marché qui s'offre. Techniquement il y a beaucoup de choses à faire au Congo. Il y a énormément de secteurs à développer et qui ne le sont pas encore. Il faut faire un bon business plan, qui soit réaliste avant de démarrer. Essayer de voir les charges, car le Congo est un pays où les charges sont très élevées. Heureusement il y a des dispositions qui aident les investisseurs à bénéficier de certaines exonérations fiscales, douanières et autres, pour encourager les investisseurs à venir s'implanter.
Je crois qu'il y a beaucoup de potentialités qui s'offrent. Tout est à faire au Congo Brazzaville

Qu'est ce qui retenu votre attention, quelle satisfaction avez-vous eu dans ce pays ?

Je crois que c'est la proximité des gens. Le Congolais c'est quelqu'un de très amicale, qui n'hésite pas à partager. Il est d'un contact très facile.

Je crois que la grosse leçon c'est vraiment de comprendre la mentalité des gens du pays et de savoir comment réagir de manière à ne pas heurter les susceptibilités, de manière à rendre le service qu'ils sont en droit d'attendre. C'est très différent de ce qui se passe dans beaucoup de pays d'Afrique francophone. Mais les Congolais sont exigeants. Ils savent ce qu'ils veulent. Donc quand on a un abonné qui se présente, il ne faut pas faire semblant. Il faut être honnête. En fait ce n'est pas compliqué.

Avez-vous un message pour nos lecteurs ?

Je crois que depuis notre installation il y a 2 ans, on a vu énormément de progrès se faire. Avant les seules voitures qui circulaient étaient celles de Libertis. Aujourd'hui on commence à attendre dans les ronds-points. Il y a des embouteillages. C'est dire que la vie reprend et que la reconstruction suit son cours. Donc je dirai aux investisseurs, s'ils ont des plans, qu'ils ne tardent pas trop puisque le train est en marche, il ne faut pas le rater.

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