Voulez-vous nous présenter
le Port Autonome de Pointe-Noire, son historique
et ses activités ?
Il s'agit d'un port qui a été construit
en 1934. On l'appelle la " porte océane
d'Afrique Centrale ", parce qu'il était
destiné à sortir tous les produits
qu'on pouvait collecter dans cette zone. C'était
une idée de génie car on a su exploiter
la géographie. En reliant la mer au fleuve
on s'est donné des moyens pour couvrir une
zone de 4 millions de km2 et de plus de 100 millions
d'habitants. Ce port était destiné
jusqu'à sortir les mines du Shaba en RDC.
Le Port de Pointe-noire faisait partie de ce qu'on
appelait l'Agence Transéquatoriale de Communication.
" Trans " parce qu'elle allait au-delà
de l'équateur. Cette Agence Transéquatoriale
de Communication regroupait le Port de Pointe-Noire,
le Chemin de fer et toute la logistique fluviale.
Elle employait plus de 10.000 travailleurs. C'était
une agence inter étatique héritée
de la colonisation. C'était donc des moyens
communs de transport entre la RCA, le Congo et
le Tchad.
Pointe-Noire est un port en eau profonde. C'est
à dire dès que vous franchissez
les passes, vous êtes à des profondeurs
de 14-15 mètres. Pour le commerce c'est
formidable, parce que cela permet de faire des
gains d'échelles. C'est à dire quand
vous pouvez transporter sur des grands navires
des quantités importantes de marchandises
qui financent le voyage. Avoir un port en eaux
profondes est donc très important. C'est
un avantage pour nous car nous pouvons aisément
concurrencer le port voisin de Matadi qui est
un port d'estuaire et qui nécessite donc
de remonter un bras de fleuve, avec tous les inconvénients
que cela implique. Aujourd'hui dans la sous-région,
il n'y a pas de port concurrent. Celui de Matadi
en RDC n'est pas performant et au Cabinda, ils
n'ont pas de port digne de ce nom. A Libreville
il n'y a pas de véritable port également.
Quant au Cameroun c'est encore un port d'estuaire.
Ce qui fait que Pointe-Noire et Dakar sont les
deux grands ports en eaux profondes sur la côte
ouest de l'Afrique.
La chance de ce pays est le transit. Si vous regardez
le Congo et son port, il est vraiment situé
à un endroit idéal. Et malheureusement
jusqu'ici nous n'avons pas su exploiter cette
opportunité. Il faut s'imaginer la chance
que représente le port de Pointe-Noire
pour la population de Kinshasa. En quatre heures
on pourrait mettre un produit sur Kinshasa. Et
avec ça on peut abaisser les coûts
dans la sous région. Par exemple, une tonne
de farine rendue à Kinshasa en passant
par le port de Pointe-noire, voit son coût
diminué de moitié par rapport à
quand il passe par Matadi. Mais malheureusement
nous sommes encore pénalisés par
les problèmes de souveraineté.
Donc, en reliant la mer au fleuve, on s'est donné
les moyens de desservir l'Afrique Centrale, avec
des modes de transport très compétitifs.
Le chemin de fer permet des coûts moindres,
ensuite vous avez le fleuve Congo qui peut drainer
nombres de marchandises, par exemple du bois en
grume par flottaison.
Dans quelles mesures les différents conflits
qui ont affecté la région ont-ils
entravé l'activité du port ?
Le problème de la rébellion en RDC,
c'est aussi vers la frontière avec la RCA
le long du fleuve. Dès qu'il y a des dangers,
le commerce en prend un coup. Et avec la guerre
qu'on a connue ici au Congo des voies concurrentes
se sont développées par le Cameroun.
Mais elles ne sont pas aussi performantes que les
nôtres. Le port fluvial de Brazzaville a aussi
été détruit. Il y a des convois
de la RCA et du Tchad qui passent encore par ici
mais ils sont vraiment réduits. Le travail
au niveau du port est actuellement réduit
en terme de manutention. Et puis il y a le chemin
de fer qui constitue un verrou car il ne peut pas
convenablement transporter les marchandises de Pointe-Noire
à Brazzaville ; il y a comme un seuil qu'on
ne peut pas dépasser.
Quel est le statut du Port de Pointe-Noire ? Est-ce
une structure d'Etat ?
Le port faisait partie de l'Agence Transéquatoriale
de Communication. Après la sortie de l'ère
coloniale, il a fait partie de l'Agence Transcongolaise
de Communication (ATC). Il est maintenant autonome
depuis février 2000. Je suis le directeur
général, il y a un conseil d'administration
et nous avons de réels pouvoirs financiers.
C'est un port autonome comme vous en voyez en Europe.
Je paie l'impôt comme n'importe quelle entreprise.
Je recrute mon personnel.
Quel est votre chiffre d'affaires ?
Nous faisons un chiffre d'affaires de 12 milliards
de F cfa
Quelles sont vos prévisions en terme
de croissance ?
On a connu une période de ralentissement
à cause de l'état du Chemin de fer.
Comme je vous le disais tout à l'heure, l'idée
de génie était de relier la mer au
fleuve Congo. Mais cet élément fédérateur
qu'est le Chemin de fer connaît actuellement
des problèmes et il ne peut plus transporter
ce qu'il faut. C'est ainsi qu'il y a des pénuries
de toutes sortes à Brazzaville. Donc en terme
de croissance nous sommes relativement pénalisés
par le défaut de fonctionnement du CFCO.
Actuellement, on connaît une croissance de
près de 33 % en terme de chiffre d'affaires
et de 14 % en terme de trafic par rapport à
la période de 1997.
Quels sont les atouts du Port ?
Ce port a donc des atouts géographiques importants.
C'est un port en eaux profondes, c'est à
dire qu'il peut recevoir des navires à grand
tirant d'eau. Il est idéalement placé
à la croisée des grandes routes maritimes
et à l'entrée d'un vaste interland
de 4 millions de km2 et de plus de 100 millions
d'habitants.
Dans les scénarios imaginés pour
le commerce international du futur, ce sera beaucoup
plus du côté de l'Atlantique que
du côté du Pacifique que va se jouer
le développement. Dans ce cas, le Port
autonome de Pointe-Noire pourrait jouer le rôle
d'un port Hub, d'un pivot. C'est à dire
que les grands armateurs ne pourront pas desservir
chacun des ports. Ils choisiront des ports qui
ont une grande capacité d'accueil, y entreposeront
des marchandises. Et au moyen de petits navires
iront desservir les autres ports. Cette situation
serait formidable pour le port de Pointe-Noire.
Quelles sont vos ambitions à court terme
?
Notre action se porte sur deux directions : vers
la mer et vers l'interland. Vers la mer c'est pour
servir de port d'éclatement, de port Hub,
pour redistribuer le trafic vers les autres ports
de moindre capacité d'accueil. Nous pourrions
avoir le trafic qui vient d'Asie du sud-est, du
Moyen-Orient, etc. Nous avons mené des missions
commerciales vers l'Amérique du sud parce
que ce sont nos voisins d'en face. C'était
pour promouvoir le commerce. Et je peux aussi parler
des lignes avec les USA pourquoi pas, notamment
en terme de commerce des produits pétroliers.
Il ne faut pas oublier que port de Pointe-Noire
sert de base logistique pour l'industrie pétrolière
de la sous-région.
Comment allez-vous vous y prendre pour conquérir
ou reconquérir vos clients ?
Quelles que soient les performances du manager,
la santé d'un port dépend de la vitalité
de l'économie nationale et régionale.
Un bateau ne vient pas dans un port parce qu'il
est beau. Il vient plutôt parce qu'il a de
la marchandise à embarquer et à débarquer.
Donc le seuil de l'activité dépend
de la santé de l'économie nationale
et sous-régionale. Maintenant il y a un effort
qui est fait au niveau des prix, au niveau des performances
de gestion. Si vous avez des armateurs qui n'ont
pas de tracasseries administratives dans votre port,
ainsi que des coûts intéressants ;
à ce moment là votre port devient
compétitif et ils attirent de nouveaux clients.
Par ailleurs, nous sommes l'un des ports les plus
sûrs d'Afrique, sans vol ni banditisme. Ce
sont des éléments très importants
qui aident à ce que les armateurs choisissent
ce port pour dispatcher les marchandises. A partir
de là, même si le trafic ne rentre
pas dans ce pays, il peut aller dans un autre port.
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L'avantage d'un port
autonome, c'est la garantie qu'on peut donner aux
investisseurs. Ce sont les investisseurs privés
qui font aujourd'hui le développement de
ce port. Il est largement privatisé dans
sa gestion. L'acconage est fait par des privés
à plus de 90 %. Nous n'avons gardé
que les activités régaliennes. Je
peux consentir à de larges concessions du
domaine. Par exemple Bouygues Offshore Congo est
dans le domaine du port. Ce système fonctionne
parce qu'il y a des garanties aux investisseurs.
Dès lors que vous avez fait des investissements
dans le domaine public, ces investissements tombent
sous le coup de la domanialité. En quelque
sorte ils ne vous appartiennent pas. Il s'agit de
mettre en place un échéancier de remboursement
avant de poursuivre la gestion du produit qu'on
a mis en place. C'est parce que nous avons les mains
libres que nous pouvons faire des concessions de
domaines qui peuvent aller jusqu'à une trentaine
d'années. Nous rassurons nos investisseurs.
L'Etat n'y est pour rien. Ces éléments
devraient nous aider à trouver de nouveaux
clients.
Quant un investisseur arrive et veut s'installer
au port, que lui dites-vous?
C'est une très bonne question. Le Congo est
un petit pays de 3 millions d'habitants. La chance
que nous avons, c'est qu'on prend pied au Congo
pour aller à l'assaut des grands pays voisins.
Vous avez la RDC et l'Angola à côté.
Vous avez aussi la RCA et le Tchad. Mais aucun de
ces pays n'a les dés dont nous disposons.
Il y a une façon d'être Congolais.
Les relations qu'on développe avec les
privés, la sécurité qu'ils
ressentent et aussi la qualification des gens
qui sont en mesure de vous accueillir, de mettre
à votre disposition tout ce qu'il faut
pour pouvoir travailler. Il s'agit ici d'une nation,
qui a été une ancienne colonie française.
Donc il y a une espèce d'intelligentsia
qui est en mesure aujourd'hui de produire tout
ce qu'il faut pour qu'un investisseur puisse travailler
en toute sérénité.
J'ai installé dans le port des malaisiens,
des chinois, etc. La dernière société
qui est venue c'est TAMAN (exploitation du bois).
Ils avaient des à priori en disant que
c'était très bureaucratique, etc.
Je lui ai alors dit que s'il voulait un contrat
pour demain, je le lui apportais. Et il m'a mis
au défi en me disant en me menaçant
de ne pas s'installer si le contrat n'était
pas là comme prévu. Et le lendemain
je lui ai donné le contrat. Il m'a dit
" vous n'êtes pas un congolais, vous
êtes chinois ! ". Je lui ai répondu
que si c'était pour gagner de l'argent
je voulais bien être chinois ! Ce Monsieur
m'a fait plaisir. Je lui ai donné le domaine,
il s'est installé. Aujourd'hui c'est le
plus grand exploitant de bois au sud du pays.
Et après il a pris la palmeraie grâce
à l'action du chef de l'Etat. Ils ont investi
et ont même arrangé le séjour
du chef de l'Etat en Malaisie. Une excellente
coopération s'est donc développée
grâce à notre politique de libéralisation.
L'époque marxiste et sa bureaucratie étaient
comme un boulet au pied des congolais. Aujourd'hui
au sein de notre conseil d'administration il y a
un représentant des usagers privés,
un représentant de la ville. Quand je mets
un franc dans le port, les usagers en mettent 10
mille. Les hangars que vous voyez sont des investissements
privés. Vous voyez le chiffre d'affaires
n'est pas très important, mais en terme d'investissements
faits par les privés c'est très important.
Et quand un privé investit des sommes très
importantes, cet investissement le relie au port.
Parce que s'il abandonne, il perd son argent. Alors
qu'à contrario quand c'est le port qui fait
l'investissement, à tout moment le client
peut s'en aller quand ça ne marche pas.
Il est aussi question d'une zone franche. Où
en êtes-vous avec ce projet?
Certaines personnes passionnées disent, quand
ils viennent au Congo, que tout ce pays devrait
être une zone franche. C'est vous dire que
c'est vraiment un pays de transit. On peut tout
faire ici. Non pas au Congo, mais c'est un marche-pied
pour aller vers les pays les plus peuplés.
Evidemment quand on a lancé cette idée
de zone franche, ça a emballé les
gens. Mais aujourd'hui tout est un peu timide au
niveau institutionnel. Il faudrait que le ministère
des finances et de la douane s'affranchisse un peu
de certaines peurs. Qu'on ouvre réellement
les procédures, qu'on arrive à faire
passer les conteneurs. Parce que si vous pensez
qu'il des trafics d'armes, vous ne pouvez pas réellement
faire une zone franche. Parce q'une zone franche
veut dire des contrôles allégés.
C'est pourquoi aujourd'hui on a encore seulement
ce que moi j'appelle des zones de facilitation.
C'est pour le trafic en transit, par exemple pour
Kinshasa et Bangui.
Mais j'avoue que faire une zone franche n'est pas
une mince affaire. En Tunisie et à l'Île
Maurice ça été fait, mais ce
n'est pas toujours facile à réussir.
Il y a déjà la confiance dans un pays.
Il faut que les gens aient réellement confiance.
Cela peut être une zone franche de services
ou une zone franche industrielle. Dans un pays où
le syndicat est très fort c'est difficile,
parce qu'il y aura des grèves, des revendications
des salaires élevés, etc. Aujourd'hui
les industriels préfèrent aller en
Asie où il y a des habitudes de travail plus
ardues que dans les pays où les gens connaissent
leurs droits et les revendiquent. Il y a aussi des
dispositions réglementaires et institutionnelles
à voir.
Avez-vous des investissements à courts et
moyens termes ?
Oui, j'ai un grand projet, c'est l'extension du
port, essentiellement vers la zone industrielle.
Relier le port public au port industriel. C'est
ce que j'appelle le port de l'horizon 2010 - 2015.
il y a aussi le problème des ressources humaines.
Maintenant il faut spécialiser le personnel
dans les métiers portuaires.
Quelle est la plus grosse satisfaction que vous
avez vécue en tant que DG du port ?
La plus grosse satisfaction, je crois que c'est
le virage qui a été opéré
dans ce pays, dans le sens de la libéralisation.
Ce qui fait qu'un directeur général
comme moi peut rassurer les investisseurs, les partenaires.
Et cela se sent en moins de deux ans avec la croissance
du port. Il y a moins d'ingérence de l'Etat.
Pour le reste, les perspectives sont bonnes. Je
connais de grands groupe comme Bolloré qui
veut desservir la Guinée Equatoriale à
partir de Pointe-Noire. Le port autonome sert donc
de base logistique.
J'ai de la reconnaissance à l'égard
des autorités politiques qui on su amorcer
le virage vers la libéralisation.
Il y a peut être d'autres projets en cours
?
Vous savez, avec un port, on offre des potentialités.
On offre des atouts. C'est l'armateur qui profite
de ces atouts pour développer le port. Le
port a des infrastructures physiques qu'il développe.
Mais au-delà de cela, c'est l'investisseur
privé qui prend un terminal, qui ouvre des
lignes maritimes. Donc à mon niveau je dois
améliorer les performances portuaires en
termes de capacités de manutention, d'accueil,
de la qualité des infrastructures.
Avez-vous un message aux lecteurs de Forbes ?
Aujourd'hui ce port est relié au port de
Houston en ce qui concerne les produits pétroliers.
Essentiellement avec des grands armateurs comme
MAERSK. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qu'on
peut découvrir dans ce pays, en matière
de tourisme par exemple. A travers le tourisme,
les gens peuvent découvrir les réelles
opportunités d'investissements qu'offre ce
pays. |