CAMEROON
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Interview de

Monsieur Charles ROSNER,
Directeur Général de la SCB-Crédit Lyonnais Cameroun

le 15 novembre 2000

Question 1 : En 1989, la SCB-Crédit Lyonnais Cameroun a été créée, à la suite de la restructuration de l’ex- Société Camerounaise de Banque. Bien que nommé Directeur Général il y a seulement quatre mois, voudriez-vous évoquer ce qui vous a paru être les événements marquants de la SCB-Crédit Lyonnais ?

Réponse 1 : Avant 1989, le Crédit Lyonnais était Actionnaire de l’ex- Société Camerounaise de Banque, sans être cependant majoritaire.

En effet, suite à une "camerounisation" survenue après la première décennie d’indépendance, l’Etat était devenu l’Actionnaire principal à hauteur de 75 % de l’ancienne SCB. En raison d’incidents de parcours enregistrés entre les années 70 et 80, cette Banque s’est retrouvée en quasi- cessation de paiement, avec pour corollaire la démobilisation des partenaires étrangers et la défection de la clientèle. Des négociations furent alors engagées dès 1988 entre l’Etat camerounais et le Crédit Lyonnais qui aboutirent à la scission- dissolution de l’ex- SCB et à la création de la Société Commerciale de Banque Crédit Lyonnais Cameroun en tant que filiale à 65% du Crédit Lyonnais France, le reste du capital, soit 35 % étant apporté par la République du Cameroun.

Cette nouvelle Banque, opérationnelle depuis le 1er août 1989, a repris certains éléments d’actif et de passif de la défunte SCB, ainsi que le tiers de son personnel.

Les premières années de fonctionnement ont été entièrement satisfaisantes, mais au fil du temps, la Banque s’est un peu endormie sur ses lauriers, avec pour preuve le positionnement actuel en deuxième place du marché des ressources derrière la Société Générale de Banques au Cameroun (SGBC).

Une autre raison fondamentale explique cependant ce recul : ayant été restructurée en premier lieu, son modèle a servi pour les cas des autres banques, les erreurs commises profitant ainsi à la deuxième vague d’établissements réhabilités (notamment la façon de négocier la reprise, les exigences non négociables qui pouvaient être opposées aux pouvoirs publics etc.).

Toutefois, dans un environnement difficile, l’esprit de corps prévaut et nous permet de nous renforcer, de fournir un service de qualité en nous rapprochant des standards internationaux dont les pays africains comme ceux de l’Europe de l’Est sont encore un peu loin.

Q. 2 : Bien qu’en seconde position derrière la SGBC, Société Générale de Banques du Cameroun, la SCB-Crédit Lyonnais Cameroun se situe dans le groupe de tête des huit principales banques commerciales en activité dans le pays ; huit banques qui totalisent à elles seules 70% des dépôts bancaires. Quel est votre positionnement sur le marché en termes de ressources ?

R. 2 : Nous avons une part de marché égale à 22,57 % du total des ressources, la SGBC en ayant 25,76 % selon les derniers chiffres publiés dans le "Marché Bancaire", une publication du Conseil National du Crédit.

Q. 3 : Malgré une deuxième vague de restructuration, certaines contraintes semblent encore peser sur l’ensemble du système bancaire camerounais, amenuisant son rôle moteur dans le financement de l’économie. Quel regard portez-vous sur ce système bancaire et quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés ?

R. 3 : Il y a au Cameroun quelques grandes banques à réseau, parmi lesquelles la SCB-CLC, la SGBC, la BICEC (Banque d’investissement et d’épargne du Cameroun) et dans une moindre mesure la Standard Chartered Bank. Les autres Etablissements sont de taille nettement plus petite et les problèmes qu’elles rencontrent dépendent du type de marché qu’elles essayent de couvrir, car elles sont obligées de se spécialiser.

Les quatre Etablissements de tête sont plutôt des banques généralistes et les difficultés auxquelles elles sont confrontées sont liées à l’environnement pas toujours accueillant, à cause de certains aspects liés au système judiciaire. D’autres problèmes existent, relatifs à l’étroitesse ou à l’inexistence de certains marchés : il n’y a pas vraiment de marché monétaire au Cameroun, ce qui en tient lieu étant embryonnaire et extrêmement rigide.

Nous travaillons actuellement sur la création d’un marché financier et étudions l’impact qu’il pourra avoir sur nos activités. Même si les Autorités sont certainement allées trop vite, mettant parfois la charrue avant les bœufs, tous les partenaires ont intérêt à participer à la création et l’animation de ce marché.

Q. 4 : Le Ministre des Finances, M. AKAME MFOUMOU, nous a confié qu’il souhaitait que cette Bourse camerounaise entre en activité dès la fin du mois de décembre 2000. Est-ce selon vous réaliste ?

R.4 : Le marché financier camerounais ne démarrera pas à cette date là. Il sera peut-être annoncé en décembre 2000, ce qui est un objectif politique, mais il est clair qu’en l’état actuel de l’élaboration de la réglementation, de la définition de rôles et des fonctions des différents intervenants, de l’adoption des procédures, il ne pourra pas être opérationnel à la date annoncée. Les représentants des banques qui siègent au sein du Comité de Démarrage de la Bourse du Cameroun pensent que son opérationnalité ne doit pas être attendue avant le 2ème semestre 2001.

Q. 5 : Avec à l’horizon l’ouverture de la Bourse camerounaise, investir dans les nouvelles technologies et diversifier les produits semblent primordial. Quelle est la politique de la SCB-CLC dans ce domaine ?

R. 5 : L’investissement dans les nouvelles technologies est devenu un credo : il faut faire du e-business, offrir des services sur Internet etc., d’autant que la connexion Internet est relativement aisée au Cameroun.

En ce qui nous concerne, cet investissement dépendra en grande partie de l’évolution du secteur des télécommunications, surtout avec la privatisation de l’opérateur principal CAMTEL, rendue publique aujourd’hui même. Quel que soit le cas, nous terminons la mise au point de notre projet e-banking, à mettre sur le marché courant 2001, et qui consistera à faire du cash management à travers Internet en mettant en place toutes les sécurisations nécessaires. A un deuxième stade, les clients pourront par ce canal donner des instructions en plus de la consultation et de la récupération des fichiers. Par ailleurs, d’autres produits sont développés, en dehors des propositions classiques, même si – il faut le reconnaître – nous avons pris du retard, notamment dans le domaine de la monétique.

Certains de nos confrères ont en effet déjà installé quelques distributeurs automatiques de billets, et l’Association Professionnelle des Banques, APECAM, a entamé une réflexion sur la question de l’interbancarité. Il faut considérer ce produit comme étant moderne pour l’Afrique sub-saharienne, avec une pénétration moins rapide que celle qu’ont vécu les pays occidentaux.

Q. 6 : A un niveau interne, est-ce que ces divers projets impliqueront une modernisation conséquente du système informatique de la Banque ?

R. 6 : Même si cela a pris beaucoup de temps, le système informatique est en cours de modernisation. L’ancien système a cohabité pendant deux ans avec le nouveau, le problème restant la qualité des liaisons téléphoniques. Il faut savoir que sur les huit banques principales, deux ont leur Siège social central à Yaoundé. Nous sommes l’une des deux, et nous persistons dans cette appréhension de l’environnement parce qu’il nous semble nécessaire d’être présent dans les deux grandes métropoles du pays. Notre pénétration du marché à Yaoundé dépasse 30%. Les problèmes informatiques étant pratiquement résolus, nous allons accélérer l’évolution, car il fallait pouvoir, via les télécommunications, accéder aux transactions en temps réel avant de finalement se lancer dans la monétique.

Q. 7 : Nous savons d’expérience que l’insuffisance des contrôles internes sont à l’origine de nombreuses déficiences. Quel système de contrôle avez-vous mis en place au sein de la Banque pour garantir une meilleure qualité d’audit ou encore une fiabilité des systèmes d’enregistrement des opérations ?

R. 7 : La mise en place de systèmes de contrôle a en effet représenté une partie importante de notre modernisation. Cependant il n’y a pas une seule Banque qui soit à l’abri d’une fraude organisée par un réseau avec des complicités internes et externes. Toutes les banques camerounaises ont connu ce genre de problèmes, nous y compris, il y a trois ans. Il est clair que cela conduit chaque fois à renforcer les systèmes de contrôle et d’inspection.

Notre secteur d’inspection générale et d’audit interne reste très vigilant. L’informatique contribue également à la surveillance dans le sens où elle permet d’attirer l’attention sur des opérations bizarres ou inhabituelles qui sont autant de pistes d’audit. Mais je persiste à dire quelle que soit la sophistication du système de contrôle que l’on met en place, les risques existeront toujours dans une banque à réseau, d’autant que cela dépend aussi de la qualité du personnel et de son degré de vigilance.

La supervision de la Commission bancaire (COBAC) et les inspections des maisons- mères sont les échelons de contrôle supplémentaire dont disposent les banques. S’agissant de la COBAC, on peut affirmer qu’elle joue bien son rôle et amène progressivement les normes au niveau international. Par exemple, un projet de révision du ratio COOKE est actuellement à l’étude, pour le placer au niveau international classique, même si ce ratio est lui-même appelé à être modifié.
Notre métier a connu une véritable révolution ces cinq dernières années. Les banques sont devenues beaucoup plus conscientes des risques encourus et ont affiné leurs systèmes de détection. En ce qui nous concerne, les déclarations sont plus détaillées et fiabilisées afin de pouvoir être présentées aux sociétés de cotation. Les crises asiatique et russe ont redonné un coup de fouet à cette révolution qui commence à s’installer dans les pays émergents.

Q. 8 : La ré-indexation du ratio Cooke va de fait créer plus de concurrence. Comment la SCB-CLC va-t-elle réagir ?

R. 8 : Par la qualité de service. Beaucoup d’entreprises notamment les PME ou les entreprises individuelles tenues par des professionnels ont tendance à considérer que l’activité des banques ne consiste qu’à faire du crédit. Or une banque ne fait pas que cela, elle rend aussi des services. Elle a un rôle à jouer dans l’économie vis-à-vis de ses clients et des Autorités.

A partir du moment où l’on trouve le créneau sur lequel on peut véritablement générer une valeur ajoutée, à l’exemple des prestations de services bancaires et non bancaires, c’est à ce niveau qu’il faut s’investir.

La clientèle des grandes entreprises étant très disputée puisque toutes les banques internationales se l’arrachent, c’est dans le secteur des services que se fera la différence.

Ce créneau concerne les entreprises qui peuvent nous fournir des comptes audités par un cabinet extérieur ainsi que les particuliers et certains professionnels dans le segment qu’on pourrait appeler "le moyen/haut de gamme". Pour ces catégories de clients, la qualité de service prévaudra plus que la simple distribution de crédits qui bien souvent sont considérés après coup par certains débiteurs comme étant des subventions.

En matière de "corporate banking" nous avons également comme clients des PME mais nous les sélectionnons. Cela ne veut pas dire que la SCB-CLC se désintéresse du reste de la clientèle de dépôt classique qui ne ferait pas partie de ce "moyen/haut de gamme". Cela dit, nous voulons augmenter la part relative des créneaux qui nous intéressent dans le total de notre portefeuille et nous y sommes déjà bien parvenus.

Q. 9 : Se situant entre 9 % et 10 % de la population active occupée, le taux de bancarisation au Cameroun demeure faible. En terme de stratégie de croissance, vous êtes-vous fixé des objectifs précis ?

R. 9 : Nous sommes tributaires du milieu dans lequel nous évoluons. En Afrique Centrale, l’horizon prévisible oscille entre deux et trois ans. Nous n’essayons pas de voir trop loin. Pour les trois ans à venir nous sommes entrés dans une phase positive. La reprise économique se fait déjà sentir même si cela n’a pas encore été constaté au niveau du volume des activités portuaires.

La SCB-CLC enregistre une hausse des demandes de crédit, en général induite par le projet de construction du Pipeline entre le Tchad et le Cameroun, entre autres.

La remontée du prix du pétrole et le retour à une meilleure fluidité de la trésorerie de l’Etat sont des facteurs d’apaisement pour les banques quand on sait que l’une des causes de la crise que nous avons traversée en 1988, et que nos confrères ont connu quelques années après, était aussi le fait des difficultés de trésorerie de l’Etat ; en effet, le premier réflexe de l’Etat-à-court-de-liquidités avait été de ponctionner ses dépôts dans les banques, créant un manque de trésorerie chez celles-ci, surtout que les dépôts de l’Etat y étaient majoritaires et que les banquiers n’étaient pas très actifs dans la collecte des dépôts privés.

En deuxième lieu, l’Etat illiquide ne payait pas ses prestataires qui de fait étaient eux-mêmes dans l’incapacité de rembourser les préfinancements bancaires, aggravant les problèmes de trésorerie de la profession. C’est la raison pour laquelle une bonne partie de l’actif que les banques ont repris dans le cadre de leur restructuration et qui a été titrisée est constituée de créances sur l’Etat.

Il faut savoir que les banques de la zone BEAC disposent essentiellement de ressources à court terme. Il n’y a pas, ou très peu de ressources longues.

Quant une banque octroie un crédit sur cinq ans et qu’elle n’a à sa disposition que de l’argent déposé à court terme qui pourrait repartir après quelques semaines ou quelques mois, elle prend un risque de transformation. Les banques ont des créances à long terme sur l’Etat, elles ont également fait crédit à des entreprises à moyen terme, et en regard elles ont essentiellement, à hauteur de 95 %au moins, des dépôts à court terme.

Q. 10: Comment voyez-vous s’inscrire les activités de la banque dans l’optique des accords de libre échange entre l’Afrique et les pays d’Europe prévus pour 2005 et quelles sont les opportunités que cela pourrait vous procurer ?

R. 10 : Nous saurons peut-être un peu plus profiter des retombées, s’il y en a, que certaines autres banques, ne serait-ce que parce que nous sommes dans un groupe international. J’insiste d’ailleurs sur le fait que nous ne sommes pas une banque française mais une banque camerounaise de dimension internationale ! Nous avons un actionnaire français, un autre camerounais, et avons une vocation internationale.

C’est pourquoi je parlais de valeur ajoutée et de services : notre connaissance des opérations trans-frontières de tous types, dans le cadre de la réglementation des changes représente un réel savoir-faire que nous mettrons à profit pour satisfaire nos clients dans les deux principaux segments de clientèle que nous voulons développer, le "corporate banking" et le milieu haut de gamme. Pas seulement les groupes internationaux, mais aussi les entreprises nationales de bonne qualité ou se situant dans un créneau très porteur, ainsi que la clientèle moyen/haut de gamme des particuliers. Voilà les deux catégories de clients qui pourraient être intéressés par les opérations trans-frontières. Je crois que le Cameroun a les moyens de diversifier ses partenaires commerciaux au-delà de l’Europe et de se tourner vers les intérêts anglo-saxons et américains.

Un autre facteur intéressant à noter est celui de la stabilité du Franc CFA. Pendant 42 ans jusqu’en 1994, c’était un facteur extrêmement sécurisant pour les opérations de commerce extérieur. Puis la dévaluation est survenue. Depuis, certains opérateurs économiques se posent la question de savoir s’il n’y a pas un risque que le Franc CFA connaisse un nouvel ajustement avant la mise en place définitive de l’Euro dans un an. Nous aurons à ce moment là deux mois pour transformer les billets de banque des pays de l’euroland en euro.

En vérité, le seul problème que connaît la zone franc, est actuellement la crise ivoirienne.

Les pays d’Afrique Centrale sont exportateurs de pétrole, avec des économies plus solides : le Cameroun, le Gabon, maintenant le Tchad.

Il y a eu une complète inversion de tendance : la zone Afrique de l’Ouest était excédentaire à l’époque et celle de l’Afrique Centrale déficitaire. Avec le pétrole et une meilleure conduite des politiques des finances publiques, la situation s’est améliorée dans notre zone. L’Afrique de l’Ouest par contre a décliné avec les problèmes de la Côte d’Ivoire que l’on connaît.

Au total, la Banque de France a émis 150 milliards de FF de billets de banque. Elle est capable de mesurer ce qui est en circulation : 28 ou 30 milliards de FF. Le reste est dispersé dans le monde entier, pas seulement dans la zone CFA, ni au Cameroun bien sûr. Sur les 120 milliards qui n’apparaissent pas dans le comptage de la Banque de France, une partie se trouve dans les réserves de banques centrales, le reste chez les entreprises et les particuliers. Cet argent ne repasse pas - on ne sait pour quelle raison - par les circuits bancaires. Une partie importante de cet argent se trouve dans les deux zones CFA et quelques pays limitrophes comme le Nigéria. L’argent qui n’apparaît pas au niveau des banques se retrouve soit dans l’économie informelle, soit dans les "bas de laine".

Or le système bancaire ne sera doté de billets de banque libellés en Euro que dans un an. Après la mise en place de la monnaie unique, il y aura deux mois pendant lesquels tout un chacun pourra échanger ses FF contre des euros auprès des banques. Ensuite, on pourra encore changer ses FF pendant dix ans mais il faudra aller à la Banque de France avec de grosses valises. Pour cette raison, nous recommandons à nos clients de s’organiser à l’avance, pour éviter la cohue des derniers jours.

Nous conseillons aussi à notre clientèle d’ouvrir leurs comptes dès maintenant et d’y faire rentrer progressivement les sommes concernées. Un compte enregistre des écritures qu’il sera aisé de transformer en Euros le moment venu, puis de remettre des billets euros au fur et à mesure des besoins.

Si les clients arrivent au dernier moment avec des valises remplies de billets, il sera difficile de répondre à la demande car la quantité d’euros disponible au démarrage sera contingentée.


Q. 11 : En tant que nouveau venu dans le pays, et ayant des éléments de comparaison avec d’autres pays d’Afrique où vous avez été en poste, quelles sont vos premières impressions sur le Cameroun et plus précisément sur l’environnement des affaires ?

R. 11 : Difficile, mais passionnant !



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© World INvestment NEws, 2001. This is the electronic edition of the special country report on Cameroon published in Forbes Global Magazine, October 1st, 2001. Developed by Agencia E.