Interview avec S.E. M. Cheick
Ahmadou Camara
Ministre de l'Economie et des Finances de la
République de Guinée
(26-03-2003)
Question 1 - Tout d'abord, M. le Ministre,
merci de nous recevoir. Pour commencer, pourriez-vous
nous donner les chiffres clés qui, selon
vous, reflètent au mieux les efforts du
Gouvernement ?
Réponse 1 - Merci Mme Dounia et
M. Vannier. Je suis très heureux de vous
accueillir ici à Conakry, et plus particulièrement
dans mes installations de Boulbinet. Je vous donnerais
2 chiffres clés. L'un est l'expression
achevée de la gestion macro-économique
; et l'autre, l'un des éléments
de cette gestion macro-économique qu'est
la politique budgétaire et financière
de l'Etat. Donc, le premier chiffre est l'inflation.
Depuis près d'une décennie déjà,
nous sommes autour de 5% de taux d'inflation.
Et dans le domaine de la politique budgétaire
et financière, depuis 10 ans, ce n'est
qu'en 2002 que nous avons pu atteindre et même
dépasser les objectifs de recettes budgétaires
de l'Etat. En fait, nous avons réalisé
des recettes budgétaires en terme de recouvrement
d'actifs à 101,6%. Pour moi, ce sont deux
indicateurs clés des efforts d'amélioration
de la gestion macro-économique auxquels
le gouvernement est attelé depuis 1986.
Question 2 - et quels sont les objectifs
programmés à moyen terme ?
Réponse 2 - A moyen terme, les objectifs
programmés sont de divers ordres. Il s'agit
pour nous de poursuivre les efforts axés
essentiellement sur la mise en uvre de notre
stratégie nationale pour la croissance
et la réduction de la pauvreté,
ainsi que la mise en uvre d'une stratégie
régionale. En Guinée, après
l'élaboration et l'adoption par le Gouvernement
et les population guinéennes concernées
de la stratégie nationale pour la croissance
et la réduction de la pauvreté,
nous sommes passés à une phase secondaire
qui est celle de concevoir une stratégie
de proximité, spécifique à
chacune des régions administratives de
notre pays. Nous en avons 8, et aujourd'hui, nous
avons au total une stratégie pour l'ensemble
de la Nation, et 8 stratégies régionales
de réduction de la pauvreté, de
sorte que nous puissions cerner de près
et identifier avec exactitude les problèmes
et les préoccupations que rencontrent les
populations guinéennes, que nous puissions
connaître avec beaucoup plus de netteté
et de précision les atouts et les potentialités
de chacune des régions administratives.
Car pour nous, Gouvernement Guinéen, il
ne saurait y avoir de stratégie efficace
de réduction de la pauvreté en l'absence
d'une très forte implication des populations
bénéficiaires finales de l'atteinte
des objectifs de ces stratégies. Il faut
savoir ce que veulent les populations, il faut
qu'elles se sentent impliquées, il faut
qu'elles sachent que leur bonheur ne se construit
pas à leur insu et qu'il faut pleinement
leur contribution et leur participation. En fait,
il s'agit de faire comprendre aux populations
qu'elles doivent d'abord compter sur elles-mêmes
avant de compter sur le Gouvernement central.
L'approche participative, à cet égard,
constituait la pierre angulaire de notre démarche,
tant dans la conception, l'élaboration,
l'approbation que dans la mise en oeuvre et le
suivi de la mise en uvre de la stratégie
de réduction de la pauvreté. C'est
une démarche, je crois, qui a été
apprécié par les populations elles-mêmes,
et également apprécié par
le Gouvernement du fait de l'engouement que les
populations ont manifesté pour cette démarche
fortement participative.
Question 3 - Dans le cadre de cette lutte
pour la réduction de la pauvreté,
le Gouvernement s'appuie, entre autres, sur l'intégration
sous-régionale, sur l'harmonisation des
différentes économies de la sous-région.
La Guinée fait des efforts pour respecter
les préalables au lancement de la ZMAO,
à savoir le respect des critères
de convergences et la réalisation de la
stabilité macro-économique. Je rappelle
que l'union monétaire est prévue
pour le 1er juillet 2005 et qu'elle est considérée
comme une étape importante vers la création
de la zone monétaire unique de la CEDEAO.
Pourriez vous nous décrire brièvement
les implication et les perspectives de la participation
de la République de Guinée à
la ZMAO ?
Réponse 3 - Nous sommes Etat partie
dans la réalisation de la 2ème zone
monétaire, qui est une phase importante
vers la création d'une zone économique
et monétaire unique en Afrique de l'Ouest.
Cette 2ème zone monétaire, appelée
la ZMAO, doit fusionner à terme avec la
zone UMOA. Les gouvernements de la République
Fédérale du Nigeria, du Ghana, de
la Sierra-Léone, de la Guinée et
de la Gambie se sont retrouvés à
Conakry, le 7 novembre 2002, pour examiner les
différents préalables à la
création de la 2ème zone monétaire
qui devait intervenir en janvier 2003. Au regard
des résultats macro-économiques
réalisés par chacun des états,
les Chefs d'Etat et de Gouvernement, au sommet
du 7 novembre à Conakry, ont jugé
utile de proroger la date de création de
la 2ème zone monétaire, de janvier
2003 au mois de juin 2005.
Comme vous le savez pour avoir été
des témoins privilégiés de
la création de l'Union Européenne,
la création d'une zone monétaire
n'est pas une tâche facile pour les gouvernements,
surtout pour des gouvernements de pays en développement,
confrontés que nous sommes, dans la sous-région
ouest-africaine, à des conflits politiques,
civils et armés depuis plus d'une décennie.
Ces considérations, avec leurs conséquences
négatives sur la gestion macro-économique
de nos 5 états respectifs, ont amené
nos Chefs d'Etat et de Gouvernement à proroger
la date convenue en avril 2000 à Accra,
date convenue pour la création de la 2ème
zone monétaire de janvier 2003 à
juin 2005. Je rentre d'une mission à Abuja
où il a été question de la
mise en uvre de décisions du sommet
des Chefs d'Etat de Conakry, notamment la rencontre
trimestrielle des Ministres chargés des
Finances, donc des Ministres responsables de la
mise en uvre effective des critères
de convergence. Les Chefs d'Etat ont jugé
utile de mettre cet atelier en place, parce que
par le passé, n'ayant pas réussi
cela, nous nous sommes rendus compte que nous
étions assez loin, chacun, des objectifs
de convergence macro-économiques. Donc,
l'accent a été mis, à Conakry,
sur la réalisation préalable des
critères de convergence macro-économiques
avant de parler de la création de la 2ème
zone monétaire de l'Afrique de l'Ouest.
Aujourd'hui, les Gouvernements des 5 Etats parties
travaillent d'arrache pied, chacun de leur côté,
tant au niveau des politiques macro-économiques
qu'au niveau des politiques budgétaires
et de leur politique monétaire respectives,
à inscrire dans leur programme économique
et financier toutes les dispositions qu'il leur
faut pour être au rendez-vous du 30 juin
2005.
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Question 4 -
Depuis votre nomination à tête du Département
de l'Economie et des Finances, on a pu enregistré
des progrès notables, notamment au niveau
de l'adoption régulière de votre programme
par les institutions de Bretton Woods. Aujourd'hui,
comment définiriez-vous vos relations avec
les principaux bailleurs de fonds et les différentes
institutions financières internationales
?
Réponse 4 - Avec les IBW, les Institutions
de Bretton Woods, nos relations sont excellentes,
notamment avec le Fonds Monétaire International
et la Banque Mondiale. Le Gouvernement a réussi,
ces dernières années, à entretenir
des relations constantes, continues, efficaces et
responsables. Nous avons, à ce titre, conclu
le 30 septembre 2000 le programme triennal précédent,
et négocié avec eux un nouveau programme
triennal dont les résultats macro-économiques
et structurels de la première année
ont été approuvés par le conseil
d'administration du FMI le 24 juillet 2002, et celui
de la Banque Mondiale le 25 juillet 2002. Auparavant,
mon gouvernement a bénéficié
d'appuis budgétaires substantiels de la Banque
Mondiale pour un montant d'environ USD 50 millions
en août 2001, et de la Banque Africaine de
Développement pour USD 20 millions en septembre
2001, appuis budgétaires consacrés
à la mise en uvre de la stratégie
pour la croissance et la réduction de la
pauvreté. Nous sommes dans la 2ème
année de ce nouveau programme triennal axé
sur la croissance et la réduction de la pauvreté.
Et dans quelques jours, j'attends l'arrivée
de la mission trimestrielle d'évaluation
de nos résultats macro-économiques.
Avec les partenaires bilatéraux, nous entretenons
également des relations réciproquement
fructueuses, notamment avec la France, le Canada,
ou encore le Japon.
Question 5 - Le Gouvernement mène
depuis 1985 une politique de type libérale.
Aujourd'hui, quel bilan dresseriez-vous du programme
de privatisation mené depuis bientôt
presque 20 ans ?
Réponse 5 - Mené depuis 17
ans, ce programme est globalement positif. Vous
devez mentionné que la Guinée revient
de très loin. Nous avons chez nous aujourd'hui
toutes les caractéristiques d'une économie
encore en transition. Nous sommes passés
d'une gestion de type socialiste et révolutionnaire
où tous les moyens de production appartenaient
à l'Etat, où l'Etat détenait
l'intégralité des actions de toutes
les sociétés et entreprises à
un type de gestion économique où l'Etat
n'est plus présent et a volontairement accepté,
depuis le discours programme du 22 décembre
1985 du Président de la République,
de se désengager du secteur productif pour
travailler à encourager la création
d'un secteur privé moderne capable de prendre
le relais de l'Etat et de créer des emplois,
de générer des revenus. Je crois que
de plus en plus, sans occulter les difficultés
que l'on peut rencontrer dans ce genre d'entreprise,
nous commençons à récolter
les fruits de ce désengagement de l'Etat
du secteur productif. En 1986, plus de 90% des recettes
de l'Etat provenaient d'un seul secteur : le secteur
minier ; parce qu'il n'y avait pas de secteur privé
disposant de revenus pouvant servir de matière
fiscale. Aujourd'hui, nous sommes aux alentours
de 20% de recettes budgétaires issues du
secteur minier. Les 80% sont procurés à
l'Etat par le secteur privé, notamment au
niveau de la fiscalité de porte, les recettes
douanières, et de la fiscalité intérieure,
la Direction Nationale des Douanes. Depuis 1986,
l'Etat a, avec l'ambitieux Programme des Réformes
Economiques et Financières (PREF), opéré
des réformes institutionnelles très
importantes qui lui ont permis petit à petit,
lentement mais sûrement, de mettre en pace
les jalons d'un système économique
fondé sur le libéralisme et le secteur
privé comme moteurs de la croissance.
Question 6 - La Guinée assure la présidence
du Conseil de Sécurité des Nations
Unies durant tout le mois de mars 2003, au sein
d'une conjoncture internationale qu'on pourrait
qualifier de tendue. Quelles sont les implications
de cette présidence pour la Guinée
en terme de politique internationale ?
Réponse 6 - La première implication
hautement positive, c'est que ça a permis
à la Guinée de mieux se faire connaître
sur la scène internationale. Notre présidence
au Conseil de Sécurité est arrivée,
comme vous venez de le dire à juste raison,
à un moment capital sur la scène politique
internationale. Moment important pour les décideurs
de ce monde en ce sens que nous avons été
confrontés à la crise irakienne. Je
crois que pour la République de Guinée,
l'histoire retiendra qu'elle est arrivée
à la présidence du Conseil de Sécurité
dans une période extrêmement palpitante
et pleine d'enseignements sur la scène internationale,
et qu'elle a essayé de faire de son mieux
pour faire entendre d'abord sa voix, pour partager
avec le reste du monde ses principes ; principes
qui fondent l'Etat Guinéen, à savoir
la paix et la sécurité - qui sont
des gages indispensables pour le développement
économique et la lutte contre la pauvreté
- l'amitié et la solidarité entre
les peuples. Ces sont ces principes cardinaux qui
ont donc marqué la présidence de la
Guinée au Conseil de Sécurité.
Je crois d'ailleurs que c'est une présidence
qui arrive à son terme le lundi 31 mars 2003.
Nous continuons à uvrer avec les 5
états membres permanents du Conseil de Sécurité,
ainsi qu'avec les autres non permanents, pour un
monde de paix, un monde de solidarité, un
monde où les pays riches feront beaucoup
plus attention à la situation qui prévaut
dans les pays en développement.
Question 7 - Auriez vous un message final
aux lecteurs de l'Express et aux investisseurs potentiels
qui seraient intéressés par la Guinée
?
Réponse 7 - Je voudrais les inviter
à choisir la Guinée comme destination
d'investissement. Non pas à cause de l'importance
des ressources naturelles de ce pays, mais aussi
et surtout parce que la Guinée est aujourd'hui
un havre de paix dans une sous-région ouest-africaine
encore agitée par des conflits internes chez
certains de nos voisins. Nous avons, au cours des
douze dernières années, offert gîtes
et couverts à plus d'1,5 millions de réfugiés
et personnes déplacées en provenance
de Guinée Bissau, de Sierra Léone,
du Libéria et de Côte d'Ivoire. Malgré
les attaques rebelles dont notre pays a été
victime durant 10 mois - de septembre 2000 à
juin 2001 - nous avons réussi à garder
le cap, c'est-à-dire continuer à donner
asile, paix, pain et liberté aux populations
en détresse venant de chez nos voisins. Le
Gouvernement a aussi veillé à la stabilité
politique, à une meilleure gestion de l'environnement
macro-économique et a, à cet effet,
mis en place des instruments très attractifs
pour les investisseurs. Malheureusement, c'est une
autre image de la Guinée qui est présentée
par certains médias, et qui fait qu'il y
a une mauvaise perception de la Guinée ;
mauvaise perception qui fait que ceux qui n'ont
pas encore choisi la Guinée comme destination
d'investissement hésitent ; mais ceux qui
ceux venus ne comptent plus quitter la Guinée
et travaillent aujourd'hui à l'extension
de leurs activités. Je pense notamment à
certaines sociétés importantes dans
l'exploitation de l'or, de la bauxite et à
une autre société internationale,
Rio Tinto, qui a signé avec le Gouvernement
Guinéen, le 26 novembre 2002, une convention
d'établissement pour l'exploitation des riches
et importants gisements de fer des Monts Simandou.
Avec l'exploitation de ces riches gisements de fer,
nous comptons, avec nos partenaires Rio Tinto et
plus tard, BHP Billiton, construire un rêve
guinéen qui est le " trans-guinéen
", qui va quitter la côte pour aller
chercher les minerais de fer du Simandou dans le
Guinée Forestière. Ce chemin de fer
permettra de désenclaver une très
bonne partie de la Guinée et faciliter le
drainage des marchandises et des personnes.
Je voudrais donner l'assurance aux candidats investisseurs
de la Guinée que nous sommes un pays politiquement
stable, en dépit de tout ce qui se dit sur
la Guinée à l'étranger, et
qui date d'ailleurs de 1958 depuis l'accession à
l'indépendance. Nous avons des instruments
adéquats, attractifs, notamment le code des
investissements, le code minier, le code foncier
rural, leur garantissant non seulement la sécurité
de leurs investissements, mais aussi et surtout
le rapatriement de leurs capitaux quand ils le désirent,
et où ils le désirent. |